JustPaste.it

Marine Le Pen veut gouverner par référendum en contournant le Parlement et le Conseil constitutionnel

La candidate du Rassemblement national à l’élection présidentielle 2022 a développé mardi son programme de gouvernance, pour « faire face à une crise démocratique sans précédent » : un mélange d’appels au peuple et de passage en force dans les institutions.

Par Franck Johannès(Vernon (Eure), envoyé spécial) et Ivanne Trippenbach

 

Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national à la présidentielle, lors d’une conférence de presse, à Vernon (Eure), le 12 avril 2022. Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national à la présidentielle, lors d’une conférence de presse, à Vernon (Eure), le 12 avril 2022. AGNES DHERBEYS / MYOP POUR «LE MONDE»

Marine Le Pen s’est tiré une balle dans le pied dans les cinq dernières et fatales minutes de sa conférence de presse, mardi 12 avril. La candidate du Rassemblement national (RN) se proposait de développer sa conception de « la démocratie et de l’exercice du pouvoir », à Vernon, dans l’Eure. Un journaliste d’Arrêt sur images, ayant constaté que plusieurs médias s’étaient vu refuser l’entrée à la soirée électorale du RN – « Quotidien », Les Jours –, lui a demandé si « cela n’augurait pas de mauvais rapports avec les médias ».

« Vous êtes bien le seul à vous plaindre », a commencé Marine Le Pen, avant de s’écrier : « Ah, mais, pardon, si ce n’est que “Quotidien”… “Quotidien”, ce n’est pas une émission d’information ou de journalistes. “Quotidien”, ce sont des amuseurs. Parfois très drôles, je ne dis pas. Mais c’est une émission de divertissement. Nous préférons accréditer les journalistes plutôt que les émissions de divertissement. » Un reporter de Libération est intervenu : « C’est vous qui décidez qui est journaliste et qui ne l’est pas ? » « Ah oui. Je suis chez moi ! a-t-elle répondu. Si, si, c’est moi qui décide. J’assume quand c’est moi qui décide ! J’accrédite l’ensemble des autres, y compris des médias qui sont extrêmement hostiles… Comme vous. » Et elle est partie dans un éclat de rire.

 

Le propos a soulevé un tollé. Le piquant de l’affaire est que la candidate s’était sentie « obligée », dix minutes plus tôt, « d’évoquer la relation aux médias de nos dirigeants », en s’écartant un instant de son discours écrit : « Je suis assez effarée de la manière dont Emmanuel Macron traite aujourd’hui les médias, et donc, en cette période d’équité, traite aussi sa concurrente. » La veille, Jordan Bardella avait accusé, sur CNews, la journaliste Anne-Sophie Lapix d’« hostilité », pour justifier le refus de Marine Le Pen que la présentatrice de France 2 anime le débat d’entre-deux-tours, le 20 avril. Selon nos informations, la candidate du RN avait aussi réussi à écarter Patrick Cohen, autre intervieweur star de la chaîne publique, pour l’émission « Elysée 2022 » du 31 mars.

 

Christophe Castaner, le président du groupe La République en marche (LRM) à l’Assemblée, a aussitôt tweeté : « Les leçons de liberté de la presse de Marine Le Pen. Derrière le sourire affiché, le mépris total de la liberté d’expression. » Et Emmanuel Macron, en meeting le soir à Strasbourg, a répliqué : « Quand l’extrême droite se met à dire : “Je choisis les journalistes qui viennent ou qui ne viennent pas”, c’est la même chose qu’on fait aujourd’hui en Hongrie, c’est-à-dire méthodiquement et progressivement, dégrader les droits, a attaqué le président candidat. Ce qu’elle veut faire, c’est ce qu’on voit en Hongrie. »

 

Un premier ministre « politique et patriote »

La référence au modèle d’Etat illibéral renvoie aussi bien au contrôle des médias qu’à une gouvernance autoritaire. Quel serait le mode de gouvernement de Marine Le Pen et quelles personnalités participeraient à son exécutif ? La candidate annonce depuis plus d’un an qu’elle opterait pour un « gouvernement d’union nationale ». A dix jours du second tour, alors qu’Emmanuel Macron engrange les soutiens, elle apparaît très seule et dépourvue de personnalités d’expérience pour gouverner. « Je sais que les journalistes croient tout savoir, mais vous n’en savez rien, sur qui souhaite ou qui ne souhaite pas gouverner avec moi, s’est-elle exaspérée mardi. Il y a des gens qui viennent de la droite ou de la gauche, qui souhaitent gouverner avec moi, en cas de victoire. » Elle avait déjà fermement indiqué, le matin sur France Inter, qu’Eric Zemmour ne ferait pas partie de son équipe : « Il n’en a pas le souhait. Je n’en ai pas le souhait non plus. » Elle a aussi écarté, à Vernon, la possibilité que sa nièce Marion Maréchal entre dans un gouvernement.

Selon ses proches, la candidate du RN aurait mené des entretiens en tête-à-tête avec les personnalités qu’elle imagine aux postes-clés. Mais, parmi ses seuls potentiels ministrables, elle ne cite que deux eurodéputés RN, peu connus : l’ancien magistrat Jean-Paul Garraud pour le ministère de la justice, et l’essayiste Hervé Juvin, adepte de l’écologie identitaire, pour le ministère de l’environnement. Elle a déclaré, fin mars sur BFM-TV, que l’ex-ministre UMP prorusse Thierry Mariani « aurait sa place dans un gouvernement » –, mais pas au Quai d’Orsay. Contrairement à l’entre-deux-tours de 2017, lorsqu’elle s’était alliée avec Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen a choisi de taire le nom de son éventuel premier ministre. Tout juste dit-elle qu’elle l’imagine « politique et patriote ».

 

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Marine Le Pen : un programme fondamentalement d’extrême droite derrière une image adoucie

Marine Le Pen a surtout déroulé sans ciller son programme de gouvernance, pour « faire face à une crise démocratique sans précédent », un mélange d’appel au peuple et de passage en force dans les institutions, sans faire mention une seule fois de l’Etat de droit ou des libertés fondamentales. Elle s’alarme du « fossé »entre élus et citoyens, de l’abstention, de la crise des vocations de maire, du « millefeuille territorial » et de la complexité des modes de scrutin… Elle s’est indignée de l’enterrement de la « banque de la démocratie », une loi pourtant votée et qui permettrait de financer les campagnes plus facilement, et du parcours du combattant pour trouver des parrainages. C’est à ses yeux la faute d’Emmanuel Macron, qui « n’a rien fait », et même « pas tenu les maigres promesses qu’il avait prises en 2017 ».

Dans son projet, elle préfère contourner le Parlement en recourant massivement au référendum d’initiative citoyenne, qu’elle qualifie de « puissant outil de pacification du débat politique » et qui aurait pu, selon elle, éviter le mouvement des « gilets jaunes ». Aujourd’hui, le référendum d’initiative populaire existe avec 10 % du corps électoral, soit près de 4 millions d’électeurs. Marine Le Pen préfère le référendum à la démocratie représentative et à la délibération, comme dans la plupart des régimes populistes, où le chef en appelle au « peuple au-dessus de nous tous ». « Le peuple ne peut pas être mis de côté pendant cinq ans, argumente la candidate. On lui dit : bon ben voilà, vous avez des représentants ? Merci beaucoup, tout le monde à la maison. Ce n’est pas comme ça que ça doit fonctionner. »

 

« Pas de débat interdit » pour les référendums

Marine Le Pen veut pour cela réformer la Constitution dès son arrivée, avec son référendum sur « la priorité nationale » –, et maintient, à tort, que le Conseil constitutionnel n’aura pas son mot à dire. La loi fondamentale sera alors modifiée pour « rendre possible l’organisation de référendums d’initiative populaire sur tous les sujets », y compris la peine de mort –, même si elle n’y est pas personnellement favorable –, puisqu’« il n’y a pas de débat interdit dans une grande démocratie mature ». Ces référendums, qui pourront être proposés par au moins 500 000 électeurs, s’imposeront « sur les actes des pouvoirs publics » : une loi votée par le Parlement pourra être abrogée, et, si le peuple rejette un texte, il ne pourra pas être proposé à nouveau pendant quinze ans.

 

Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés « Comme tous les leaders autoritaires, Marine Le Pen veut dynamiter la démocratie libérale en faisant appel au peuple »

Elle se réserve cependant le droit de bloquer, après une décision conjointe avec le Parlement, un référendum qui porterait « une atteinte particulièrement grave aux intérêts nationaux ». A l’inverse du général de Gaulle en 1969, Marine Le Pen ne démissionnerait pas en cas d’échec d’un référendum : « En cas d’échec, eh bien c’est un échec, on ne met pas en place la loi qu’on a soumise au peuple. » Elle envisage même de sortir si besoin de l’Union européenne après un vote populaire, ce qui ne lui semble pas contraire « aux intérêts vitaux du pays ». « Cette élection est aussi un référendum sur l’Europe », a répliqué Emmanuel Macron, le soir, depuis Strasbourg.

Sans rééquilibrer les pouvoirs exécutif et législatif au profit du second, Marine Le Pen entend instiller le scrutin proportionnel pour deux tiers des députés, avec une prime majoritaire pour le dernier tiers. Elle propose d’instaurer un septennat non renouvelable pour le chef de l’Etat et ne compte pas se passer du très contesté article 49 alinéa 3, qui permet à l’exécutif de faire adopter une loi sans vote à l’Assemblée nationale. « Je ne renonce à utiliser aucun des articles de la Constitution, a-t-elle justifié, car cette Constitution est une merveille d’équilibre et, par conséquent, elle a été conçue pour que l’ensemble des articles puissent être utilisés. » Une merveille qu’elle entend cependant modifier en profondeur, en se passant le plus possible des contrôles du Conseil constitutionnel ou du Parlement.