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A Marseille, les « écoles du futur » d’Emmanuel Macron se mettent en place

Cinquante-neuf écoles participent à cette expérimentation qui doit conférer plus de libertés aux équipes pédagogiques.

Par Sylvie Lecherbonnier et Gilles Rof(Marseille, correspondant)

 

Il en a fait son laboratoire. En septembre 2021, à Marseille, Emmanuel Macron créait la surprise en évoquant, lors de l’annonce de sa stratégie « Marseille en grand » pour la ville, le lancement de projets pour une « école du futur », afin de donner plus de libertés et d’autonomie aux équipes pédagogiques et à leurs directeurs. Depuis, à chaque discours sur l’école, le président de la République, désormais candidat à sa réélection, mentionne cette expérimentation, qu’il « regarde avec attention ».

 

Six mois plus tard, 59 écoles participent à 41 projets qui impliquent près de 11 000 élèves et 630 enseignants. Soit un élève sur huit de la cité phocéenne – 80 % des projets concernent l’éducation prioritaire. L’opposition à cette expérimentation reste vive, il est vrai. « Quand on a vu passer l’appel à projets, on a été pris entre deux feux. L’idée de voir se créer des écoles à deux vitesses ne nous plaisait pas, mais on ne pouvait pas laisser passer l’occasion d’avoir les moyens que l’on réclame en vain depuis tant d’années », confie un directeur d’école des quartiers nord, qui requiert l’anonymat, comme nombre de ses collègues, preuve des dissensions que provoque le sujet.

 

La méthode étonne dès le départ. A rebours de la structure verticale de l’éducation nationale, aucun cadrage précis n’est donné. « On avait l’impression d’une liste au père Noël. On pouvait proposer tout ce qu’on voulait », se remémore une directrice. « On aurait presque pu demander une voiture de fonction ! Maintenant, cela s’est réduit. On nous demande de faire des devis et de mettre les associations en concurrence », tempère un autre.

 

Contours encore flous

Que proposent les enseignants quand on leur laisse le champ libre ? Des projets déjà dans les tuyaux ou dans les tiroirs faute de financement. Six thèmes ont été identifiés : les langues et l’international, l’EPS, les arts et la culture, les sciences, l’éducation au développement durable et la mise en place d’« espaces d’apprentissages innovants ». L’école maternelle Extérieur et l’école primaire Arenc-Bachas, qui forment un même groupe scolaire, ont proposé ensemble un projet intitulé « Elèves d’aujourd’hui, citoyens de demain », particulièrement axé sur le « hors temps scolaire ». Une façon d’intégrer les parents d’élèves à l’acte pédagogique mais aussi de pousser plus loin leur collaboration avec les associations culturelles et sportives d’un quartier difficile. Au programme : ateliers artistiques, après-midi sportives, initiations au jardinage et aux échecs, travail sur l’alimentation.

 

A l’école primaire La Blancarde, l’idée est d’adapter les apprentissages au rythme de chaque élève en décloisonnant les classes et en créant des groupes de besoin. Des discussions sont engagées avec l’agence régionale de santé pour que des équipes paramédicales – orthophonistes, entre autres – viennent effectuer leur consultation sur place. L’école Menpenti vient, elle, de créer un laboratoire de mathématiques pour faciliter les manipulations et permettre la mise en place de classes flexibles, où les élèves ont la liberté de choisir comment s’installer pour travailler. Pour les aider, le rectorat a pris contact avec une équipe finlandaise, pour un retour d’expériences.

A la mairie de Marseille, on regarde toujours ce plan avec circonspection. Et pas seulement parce que l’adjoint chargé du patrimoine scolaire, Pierre-Marie Ganozzi, est un ancien pilier du syndicat FSU. Les contours encore flous de l’opération font craindre des interférences avec le plan écoles de la ville, grand projet de rénovation du bâti de 174 écoles, pour lequel l’Etat engage 410 millions d’euros sur les 1,2 milliard d’euros qui doivent être investis. « Certains établissements, et comment ne pas les comprendre, ont trouvé l’occasion d’accélérer les choses pour la rénovation de leurs écoles », constate l’élu. Dix-huit d’entre eux participent aux deux dispositifs.

 

« Réfléchir et avancer »

Au niveau de l’Etat, 2,5 millions d’euros de crédits pédagogiques ont été fléchés pour l’achat de matériel ou la rétribution d’intervenants. Les directeurs ont obtenu des décharges supplémentaires d’enseignement pour pouvoir coordonner les projets et les équipes des indemnités pour les réunions et les formations. Au rectorat, une équipe spécifique accompagne les écoles. « Ces projets sont vivants. Ils nécessitent un dialogue constant avec et entre les équipes. Leur première demande était d’avoir du temps pour se rencontrer, réfléchir et avancer », explique le préfet Christian Abrard, chargé du volet pédagogique de « Marseille en grand ».

Début mars, une nouvelle étape a été franchie avec la publication de 38 postes à « exigences particulières ». Les directeurs d’école ont participé à la rédaction de leur descriptif pour définir les besoins et les compétences requises, comme « disposer de bonnes connaissances en arts plastiques », « maîtriser les outils numériques », « s’engager dans des séances en co-intervention avec des partenaires », selon les cas. Une procédure qui ne nécessite aucun nouveau texte juridique – elle est d’ores et déjà permise par le code de l’éducation.

Cent quarante-neuf personnes viennent de postuler. Un directeur d’école participera à la commission de recrutement, pilotée par deux inspecteurs de l’éducation nationale. Un chiffon rouge pour beaucoup d’opposants au projet, même parmi les plus réformistes. Une intersyndicale CGT, FO, SNUipp-FSU et SUD a demandé aux personnels de ne pas répondre à l’enquête du rectorat sondant l’intérêt des personnels pour cette campagne de recrutement. Pour cette directrice d’école qui participe à l’expérimentation, cependant, « s’assurer que le candidat adhère au projet ne paraît pas scandaleux ».

 

Ce début de mise en œuvre ne rassure pas ses opposants. Le Collectif des écoles de Marseille, formé de parents d’élèves et d’enseignants, s’étonne du « manque de transparence du projet Ecoles innovantes » : « Ces moyens exceptionnels accordés à certains sites devraient être les moyens de base attribués à toutes les écoles »,souligne sa porte-parole, Cécile Baron. « La vraie école du futur, ce sera quand toutes les écoles de Marseille seront salubres et qu’on ne trouvera pas de rats en ouvrant un placard », abonde Franck Delétraz, responsable du SE-UNSA à Marseille, rappelant l’état dégradé des écoles marseillaises. Au niveau national, des enseignants s’inquiètent aussi. Ils voient dans cette expérimentation une reproduction du modèle de l’enseignement privé, voire de l’entreprise, et une mise en concurrence des écoles.