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Une présence généralisée des pesticides dans les sols agricoles de France, selon une étude-pilote

Une centaine de molécules ont été recherchées sur 47 sites répartis sur le territoire français. Au moins une substance a été retrouvée sur 46 des 47 sites examinés, y compris sur des terrains n’ayant jamais été traités.

Par Stéphane Foucart

Publié le 25 mai 2023

 

Un agriculteur prépare la terre de sa parcelle avant des semis, dans le Calvados, en février 2022.

 Un agriculteur prépare la terre de sa parcelle avant des semis, dans le Calvados, en février 2022. ED ALCOCK/MYOP POUR « LE MONDE »

 

Sur la question des pesticides, le travail législatif et réglementaire en cours à Bruxelles n’a jamais été aussi peu en phase avec l’actualité scientifique. Alors que le projet de règlement européen sur l’« usage durable » des agrotoxiques est encalminé au Parlement de Strasbourg, des chercheurs français publient, dans la dernière édition de la revue Environmental Science & Technology, la première étude-pilote conduite à l’échelle nationale, sur la présence de ces produits dans les sols agricoles de France.

 

Sur un échantillon d’une cinquantaine de sites, leurs résultats font suspecter une présence quasi généralisée d’une soixantaine de substances actives dans les terres arables, mais aussi sur des terrains n’ayant jamais été traités. Pour les chercheurs, la présence de tels produits dans les sols n’est en soi pas surprenante, mais leur rémanence, leur nombre et les concentrations mesurées sont « inattendus et inquiétants » avec des niveaux présentant fréquemment un risque pour les organismes du sol.

 

Un peu plus d’une centaine de molécules ont été recherchées sur 47 sites répartis sur le territoire français, sélectionnés parmi les quelque 2 200 lieux formant le Réseau de mesure de la qualité des sols, lancé voilà une vingtaine d’années et piloté par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Au moins une substance a été retrouvée sur 46 des 47 sites inclus dans l’étude, soit 98 %. En moyenne, 15 molécules différentes ont été détectées dans chaque échantillon, le maximum étant atteint avec 33 produits distincts sur un même site. Toutes les terres arables testées contenaient au moins sept substances différentes.

Un échantillon restreint

« C’est l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail] qui nous a demandé, en 2018, d’étudier la possibilité d’utiliser notre réseau de surveillance des sols à des fins de phytopharmacovigilance, raconte Claire Froger, chercheuse (Inrae) dans l’unité InfoSol d’Orléans et première autrice de ces travaux. Le budget alloué à ce travail nous a permis de sélectionner une cinquantaine de sites, principalement des parcelles de grandes cultures et, dans une moindre mesure, vignes et vergers, mais aussi des sites “témoins”, prairies et forêts n’ayant pas été traités. »

 

Réparti sur l’ensemble du territoire et représentant une diversité de caractéristiques, l’échantillon est cependant trop restreint pour permettre la généralisation à l’ensemble du territoire métropolitain, ajoute Mme Froger.

 

Sans surprise, les molécules les plus fréquemment retrouvées sont des herbicides et, en premier lieu, le glyphosate et son principal produit de dégradation, l’AMPA, retrouvés respectivement dans 70 % et 83 % des sites étudiés. Des fongicides de la famille controversée des SDHI (dits « inhibiteurs de la succinate déshydrogénase ») sont notamment présents dans plus de 40 % des échantillons. Au total, soulignent les auteurs, la majorité des produits retrouvés ne sont utilisés qu’en agriculture conventionnelle, à l’exception de certains insecticides dérivés du pyrèthre, également autorisés en agriculture biologique.

Une grande mobilité des produits dans l’environnement

Les chercheurs ont, en outre, eu accès aux cahiers d’épandages tenus par les agriculteurs exploitant les parcelles testées : ils ont pu démêler les effets d’une application récente de ceux liés à la rémanence à plus long terme de certaines molécules. « L’un des faits notables de ces résultats est que, pour certains produits, on retrouve des concentrations auxquelles on ne s’attendait pas, au vu de leur temps de résidence théorique dans l’environnement », explique Dominique Arrouays (Inrae), pionnier de la surveillance des sols en France et coauteur de ces travaux.

Autre surprise : la présence de produits sur des terrains forestiers ou des prairies n’ayant jamais vu un pulvérisateur, signe de la grande mobilité de ces produits dans l’environnement, par le biais des précipitations, de la contamination de l’air ou des eaux de ruissellement.

 

Quant aux concentrations mesurées – dont la somme varie de quelques microgrammes à un peu plus d’un milligramme par kilo –, elles n’ont guère de sens en tant que telles. D’autant que chaque produit a sa toxicité propre. Pour estimer la réalité du risque, les chercheurs ont utilisé les données de toxicité chronique disponibles, pour chaque molécule, sur le ver de terre (Eisenia fetida) – espèce cruciale pour la santé et la fertilité des sols, leur aération et leur perméabilité – une caractéristique importante pour le maintien de leur humidité et la circulation de l’eau.

« Pas de réglementation de portée générale »

Au total, les substances décelées dans 76 % des sols prélevés dans des forêts ou des prairies ne présentent qu’un risque « négligeable à faible » pour les vers de terre. A l’inverse, 58 % des terres cultivées présentent un risque « moyen à élevé » pour ces mêmes organismes. « De telles données sont très rares, en France comme à l’étranger, explique Antonio Bispo, directeur de l’unité InfoSol et coauteur de l’étude. Cela provient sans doute de ce qu’il n’existe pas de réglementation de portée générale pour protéger les sols. Il existe des normes, et donc des systèmes de surveillance pour l’eau et l’air, mais pas pour les sols. Nos résultats plaident fortement pour une pérennisation de cette surveillance. »

Et ce, d’autant plus que les échantillons ont été analysés en 2019 et 2020, c’est-à-dire avant que ne soient découverts, dans les ressources hydriques françaises – nappes phréatiques et cours d’eau – des métabolites très persistants de la chloridazone, du S-métolachlore et du chlorothalonil, notamment.

 

Depuis plusieurs mois, les plans de surveillance et les campagnes de mesure menées par l’Anses indiquent que plusieurs millions de Français (sans doute plus d’un tiers pour les produits de dégradations du chlorothalonil) reçoivent au robinet une eau non conforme aux critères de qualité du fait de ces produits. « Si nous poursuivons notre surveillance, nous devrons de fait mettre à jour la liste des substances recherchées », dit M. Bispo.

L’équipe espère poursuivre et généraliser cette surveillance, mais aussi pouvoir confronter ces données à des mesures de biodiversité dans les sols en question. « Cela permettrait, au-delà des calculs de risque, d’estimer l’effet réel de ces produits et de leur persistance sur la biologie des sols », explique Claudy Jolivet (Inrae), coauteur de ces travaux.