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En matière d’ordre public, la doctrine du « contact », prônée par le préfet Lallement, ne garantit pas la sécurité

Les incidents survenus au Stade de France, fin mai, mais aussi la multiplication, ces derniers mois, des morts lors de contrôles policiers de véhicules, posent la question du bien-fondé de la doctrine du « contact », défendue par le préfet de police de Paris.

Par Jacques Follorou

 

Analyse. Jeudi 9 juin, devant les sénateurs réclamant des explications sur le fiasco du Stade de France, lors du match entre Liverpool et le Real Madrid, le préfet de police de Paris, Didier Lallement, a reconnu son échec. Pour autant, il n’a pas cillé sur le cœur de sa conception du maintien de l’ordre. Il existe deux doctrines, « au contact » ou « à distance », et « je crois à la nécessité du contact », a-t-il assuré. Ces mots ne relèvent pas seulement du jargon technique. Ils posent la question de l’efficacité d’une philosophie sécuritaire en matière d’ordre public et, plus largement, du bon usage de la force en démocratie.

Arguant de l’attaque de 2015 contre le Stade de France, M. Lallement a ajouté, au Sénat, avoir mis en place, ce soir-là, un dispositif avant tout « antiterroriste », pas pour faire « de la gestion de foule ». Ce sont les mêmes effectifs qui ont ensuite fait la chasse aux resquilleurs. Ces forces, prêtes à s’opposer à des hommes armés, détonnaient face à des fans de football, souvent des familles, en prise avec des problèmes de billets. Les tenues – gilets pare-balles, protections, casques etc. – exprimaient à elles seules toute la défiance des forces de l’ordre et la mise à distance des citoyens.

 

« Logique confrontationnelle »

Pour Floran Vadillo, président du think tank L’Hétairie, cheville ouvrière de la loi sur le renseignement de 2015, et ex-conseiller de l’ancien ministre de la justice Jean-Jacques Urvoas (2016-2017), cette stratégie sécuritaire dépasse le cas du Stade de France. « Depuis 2015-2016, le terrorisme a entraîné une militarisation de l’ordre public en général, qui s’inscrit désormais dans une logique confrontationnelle. »Une conception selon lui très prégnante à Paris. « Le préfet Lallement applique sa doctrine, poursuit-il, elle est réactionnaire et peu innovante, c’est la politique du bâton qui peut générer de la casse, car elle crée de la désinhibition dans l’usage de la force, là où il faudrait de la mesure, même si le métier de policier est difficile. »

La doctrine Lallement du « contact » étonne jusqu’au sein de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), y compris ses ordres de poursuite de véhicules lors des refus d’obtempérer. Un haut responsable de la DCPJ estime que « rien ne sert de poursuivre un véhicule en infraction. On crée plus de danger alors qu’on a tous les moyens d’identifier les auteurs et d’aller les chercher calmement le lendemain. En surarmant les policiers, en cherchant la confrontation, on crée un état de guerre permanent. »

 

Pareille méthode expose physiquement les fonctionnaires en faisant de leur corps un rempart susceptible d’être percuté. Pour les passagers, elle peut se transformer en peine de mort pour un délit routier. Pour les piétons, un véhicule en fuite dans une grande ville devient une menace létale. Dans la nuit du 28 au 29 mai, au cœur de Paris, une jeune femme a perdu la vie après avoir été percutée par un chauffard poursuivi alors qu’il venait de forcer un barrage.


En moins de quatre mois, dans Paris et sa région, quatre personnes ont été tuées lors de contrôles policiers de véhicules qui ont mal tourné. L’armement est-il adapté ? Les pistolets-mitrailleurs HK G36 aujourd’hui portés par de jeunes gardiens de la paix ont été distribués après 2015 pour faire face à d’autres attaques terroristes. L’équipement systématique des forces de l’ordre avec ce type d’arme se justifie-t-il par un niveau de menace constant ? Les syndicats de policiers soulignent, en outre, le grave défaut de formation pour ces fusils d’assaut. Tirer au coup par coup n’est pas tirer en rafale. La force républicaine se définit par le contrôle absolu de l’ouverture du feu.

 

« Art de ne rien faire »

Depuis 2015, la militarisation de la force civile a fait son chemin. Une loi de 2017 a aligné les conditions d’ouverture du feu par les policiers sur celles des gendarmes, considérées comme plus souples. L’usage de l’arme est désormais autorisé notamment lorsque le refus d’obtempérer d’un automobiliste menace physiquement les policiers. Depuis lors, l’ouverture du feu par les forces de l’ordre a sensiblement augmenté, avec une hausse notable dans les cas de tirs sur des véhicules en mouvement.

La loi « sécurité globale » de 2021 a continué à assouplir les conditions d’utilisation des armes. Le texte a étendu le droit des policiers ou gendarmes à les conserver hors service dans les espaces publics, concerts, bars, musées. Auparavant, ils devaient avoir l’accord des propriétaires des lieux. Les protestations des organisateurs de festivals, comme Les Vieilles Charrues, en Bretagne, qui pointaient le risque de bavure, ont fait long feu. Pour Jean-Michel Fauvergue, député (LRM, Seine-et-Marne) sortant, corapporteur du texte, c’est le moyen d’anticiper un « nouveau Bataclan », car, d’après lui, si les trois policiers venus, ce soir-là, au concert, à titre personnel, avaient été armés, l’issue de l’attaque terroriste aurait été changée. Cela revient, sur la base d’un cas opérationnel, à accorder à un seul individu, sans aucun filtre institutionnel, un droit élargi de vie ou de mort.


Pour le préfet Lallement, la force doit s’afficher. Une vision que ne partage pas Christian Vigouroux, ex-directeur de cabinet de plusieurs ministres de l’intérieur et de la justice. Dans son livre Du juste exercice de la force, (Odile Jacob, 2017), il assure que, en matière de maintien de l’ordre, « l’impératif est à la retenue ; parfois, ce peut être l’art de ne rien faire et, toujours, l’art de ne pas trop en faire [qui] n’interdit toutefois pas de disposer de trop de force pour la montrer et ne pas avoir à s’en servir ».

Dans son Contrat social, Jean-Jacques Rousseau s’interrogeait déjà sur les dangers d’un divorce entre la force publique et le corps social. Centripète, la force publique contribue à la cohésion d’une société, centrifuge, elle participe à la destruction du lien social.