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Un an avant la tuerie du centre culturel kurde à Paris…

Le Monde, mardi 27 décembre 2022 - 05:42 UTC +0100s

Un an avant la tuerie du centre culturel kurde à Paris, le traitement douteux d’une affaire impliquant le suspect

par Christophe Ayad

 

En décembre 2021, William M. avait attaqué un campement de migrants avec un sabre. Dans cette affaire, la police et le parquet semblent avoir sous-évalué la dangerosité de l’agresseur et avoir eu un biais manifestement discriminatoire envers les victimes.

 

Un an avant la tuerie de la rue d’Enghien, William M. avait déjà commis une grave agression contre des personnes d’origine étrangères à Paris. Mis en examen pour ces faits, il avait été placé en détention provisoire. Il a été remis en liberté conditionnelle le 12 décembre, au terme du délai légal d’un an de détention provisoire pour les faits visés. Sa libération avait été assortie d’un contrôle judiciaire lui interdisant de détenir des armes et l’obligeant à des soins psychiatriques.

 

Le 8 décembre 2021, William M. s’était approché, tôt le matin, d’un campement de migrants au parc de Bercy, dans le 12e arrondissement, en se faisant passer pour un joggeur. Il avait ensuite dégainé un sabre en hurlant : « Mort aux migrants » et commencé à tailler en pièces les tentes dans lesquelles dormaient des familles. Il s’attaquait à un homme en train d’uriner, le blessant au dos et à la hanche. Puis il tailladait un mineur, avant d’être ceinturé et mis hors d’état de nuire par trois autres occupants du campement qui s’étaient servis d’une branche d’arbre pour le frapper. William M. a été légèrement blessé dans la bagarre.

 

La police, appelée sur les lieux, avait interpellé toutes les personnes impliquées dans les violences, y compris les victimes. Plus étonnant encore, quatre des cinq personnes agressées, sauf le mineur, avaient été placées en garde à vue pendant quarante-huit heures. « Après leur garde à vue, elles nous ont dit n’avoir reçu aucun soin ni avoir eu accès à un traducteur. Apparemment, on ne les a même pas vraiment interrogées », témoigne Cloé Chastel, l’ancienne responsable de l’accueil de jour de l’association Aurore, qui intervenait sur le campement.

 

Victimes en garde à vue, OQTF, amendes…

Pendant que la police demande de recueillir des témoignages de l’agression aux résidents du campement, elle omet d’interroger les gardés à vue et, au contraire, transmet un dossier au parquet, qui décide de les déférer devant un juge d’instruction pour « violences en bande organisée ». Grâce au travail des avocats commis d’office et à la réactivité des associations, le juge comprend un peu mieux la situation et décide de relâcher les victimes, qui sont toutefois placées sous le statut de témoins assistés.

 

Ce n’est pas tout : lors de la garde à vue, les policiers, constatant que l’une des personnes agressées, un ressortissant marocain, ne disposait d’aucun titre de séjour, ils ont alerté la préfecture, qui a délivré à son encontre une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le document précisait même que l’intéressé s’était livré à des « violences volontaires avec arme et en réunion », alors qu’il se défendait avec un branchage face à un homme cherchant à le tuer avec un sabre. L’OQTF refusait au mis en cause tout « délai de départ volontaire ».

 

L’histoire ne s’arrête pas là. Les bénévoles des associations intervenant sur le campement, qui abritait une soixantaine de personnes, ont demandé à la police de sécuriser les lieux et décidé de s’y rendre en nombre afin de rassurer les personnes restées sur place et passablement traumatisées par l’épisode de la veille. « Mais au lieu de cela, nous avons vu les BRAV [brigades à moto] débarquer en masse pour verbaliser les militants présents pour rassemblement non autorisé », raconte Cloé Chastel. Dix-neuf militants, dont huit de la seule association Aurore, ont écopé d’une amende de 135 euros. Le lendemain, les associations écrivaient un courrier de protestation et de refus des verbalisations. L’affaire est restée sans suite.

 

Quant au campement, les demandes de « mise à l’abri » lancées par les associations à la préfecture de région ne se sont matérialisées qu’un mois plus tard. Le mineur isolé, d’origine érythréenne, a pu être pris en charge dans un centre dédié. Les autres gardés à vue ont été abandonnés à eux-mêmes à leur sortie du bureau du juge, n’étaient les associations, qui ont fait ce qu’elles ont pu pour les domicilier et assurer un suivi psychologique et médical. Le majeur blessé par William M., un réfugié soudanais, a reçu une ITT de dix jours et ne parvient plus à travailler depuis cet épisode traumatique. Il avait exprimé le désir de se porter partie civile il y a un an, mais Le Monde n’a pas pu vérifier si c’est effectivement le cas.

 

Questions

Plusieurs questions se posent à l’issue de cette affaire, qui n’a pas encore été jugée. Pourquoi a-t-elle été traitée avec autant de légèreté et un biais manifestement discriminatoire envers les victimes par la police et par le parquet ? Cela témoigne d’une sous-évaluation manifeste de la dangerosité de William M. Les incidents du parc de Bercy ont davantage été traités comme une rixe que comme une tentative de meurtre.

 

Ensuite, la qualification judiciaire. L’infraction retenue contre William M. au parc de Bercy − « violences avec arme » − étant passible d’une peine de moins de dix années de prison, l’auteur présumé ne pouvait pas effectuer une détention provisoire supérieure à un an. Mais si la qualification de « tentative d’homicide » avait été retenue, William M. serait peut-être toujours en détention provisoire.

 

Par ailleurs, de quels types de soins psychiatriques a bénéficié William M. pendant sa détention provisoire ? Il semble que sa haine des étrangers comporte une dimension qu’il qualifie lui-même de « pathologique », selon le communiqué du parquet de dimanche 25 décembre. Son père a déclaré à plusieurs médias que son fils était « complètement fou ».

 

Et aussi, comment se fait-il que William M. ait réussi à se procurer une arme ou à la dissimuler alors qu’il fait l’objet d’une interdiction de posséder des armes depuis une condamnation de 2017 ? Il a expliqué aux enquêteurs de la brigade criminelle avoir caché le Colt 45 qui a servi à la tuerie de la rue d’Enghien au domicile de ses parents. Il en est de même pour les nombreuses munitions retrouvées sur lui au moment de son interpellation, vendredi. Il a déclaré aux enquêteurs qu’il avait l’intention de les utiliser jusqu’à la dernière, qu’il réservait pour se suicider.

 

Enfin, l’affaire du parc de Bercy n’a pas valu à William M. un fichage des services de renseignement, alors qu’il ne fait pas grand mystère de ses convictions suprémacistes. Même s’il ne semble affilié à aucune des organisations d’ultradroite récemment interdites, il a longuement détaillé sa haine des étrangers non européens lors de sa garde à vue, qui a duré de vendredi à lundi − avec un passage de près de vingt-quatre heures par l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, de samedi soir à dimanche soir.