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Philippe Journo, promoteur futuriste

Le PDG de la Compagnie de Phalsbourg, 56e fortune de France, se distingue en créant des centres commerciaux à l’architecture hors du commun.

14 novembre 2016 

 

Philippe Journo, PDG et fondateur de la Compagnie de Phalsbourg, le 10 novembre.

Philippe Journo, PDG et fondateur de la Compagnie de Phalsbourg, le 10 novembre. JULIEN DANIEL / MYOP POUR LE MONDE

Lorsqu’il vous invite à déjeuner, Philippe Journo arrive souvent en retard, le smartphone dans la main, en train de régler une affaire privée. Un coup de fil à sa femme. Un autre pour s’occuper de son père. Et en raccrochant, il vous explique sans pudeur, dans un franc-parler de titi parisien, le souci intime qui le préoccupe, qu’il s’agisse de votre premier ou de votre dixième rendez-vous.

Trublion atypique dans le milieu très organisé des grosses sociétés foncières cotées en Bourse, il dirige la Compagnie de Phalsbourg. Cette société qu’il a fondée est spécialisée dans la promotion immobilière de centres commerciaux à l’architecture hors du commun. La Compagnie de Phalsbourg de Philippe Journo est constituée d’un patrimoine de 500 000 m² essentiellement situé en France avec une valeur d’actifs de 1,243 milliard d’euros et un portefeuille de projets en développement de 450 000 m².

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L’Atoll, à Angers, en forme d’ellipse à l’allure d’un grand stade, doit tout à ce promoteur. Waves, à Metz, avec sa toiture en Inox formant un grand mouvement de vague, c’est encore lui. Mille arbres, ce complexe immobilier lauréat du concours « Réinventer Paris », de 55 000 m² habillé d’une forêt de 1 000 arbres qui devrait surplomber le périphérique de la porte Maillot en 2022, toujours lui.

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Un projet architecturalement fou

La dernière création de Philippe Journo ? Le temple du shopping Ma Petite Madelaine, ouvert fin avril en périphérie de Tours, tout habillé de planchettes de pin. La prochaine ? Le projet lauréat du concours « Nice Gare Thiers-Est » qu’il a remporté voilà un mois et qu’il présente au Salon des professionnels de l’immobilier commercial, le Mapic, du 16 au 18 novembre à Cannes.

Une construction semblable à un diamant de verre résolument moderne en plein centre-ville de Nice qui devrait relier en 2019 le train au tramway. Quelque 19 000 m² comprenant des commerces, des bureaux, des salles de sport, des terrasses… Un projet architecturalement fou, qu’il pensait perdre, il y a encore quelques mois.

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Démesurées pour les uns, révolutionnaires pour les autres, les constructions du promoteur-entrepreneur Philippe Journo ne laissent pas indifférents. Lui préfère dire que ses bâtiments s’intègrent parfaitement dans l’environnement pour lequel ils sont pensés. Même s’ils semblent tout droit sortis d’un championnat d’architecture. Sa méthode ? « C’est moi qui décide des architectes, en fonction de leurs lignes de force », explique-t-il.

Qu’ils soient célèbres, comme l’Italien Gianni Ranaulo, à qui l’on doit le geste architectural de Waves, ou encore l’Américain Daniel Libeskind, qui a reconstruit Ground Zero à New York et est à l’origine du « diamant » de Nice. Ou qu’ils soient simples jeunes talents, comme ceux de Ma Petite Madelaine à Tours. « Ces deux jeunes architectes m’avaient montré il y a plus de cinq ans leur réalisation d’une villa de 200 mètres carrés en bois », explique Philippe Journoqui leur a confié la réalisation d’un centre commercial de 40 000 m² tout en bois.

Revanche sociale

Les centres commerciaux au design futuriste, voire en totale rupture avec l’existant, Philippe Journo en a fait son credo, sa vitrine, sa marque de fabrique. Ce patron au tempérament aussi volcanique que ses créations sont démesurées a fondé sur ses deniers personnels la Compagnie de Phalsbourg en 1989, une entreprise qui compte aujourd’hui 70 salariés.

A la tête d’un patrimoine de 1,2 milliard d’euros, selon le classement des 500 plus grandes fortunes de France en 2016 du magazine Challenges, où il figure en 56e position, juste derrière la famille Michelin, il est aussi celui qui, à table, lorsque le serveur lui demande s’il souhaite du vin répond un « non, ça ira, nous, on a pas de sous », sourire en coin. Ou encore lorsqu’il parle d’un des dossiers qui le préoccupe en ce moment lance un « là, je suis en mode Erin Brockovich seul contre tous », en référence au film de Steven Soderbergh où Julia Roberts jouait le rôle d’une militante combattant le système.

La revanche sociale a toujours été un moteur de la carrière de Philippe Journo, lui l’enfant né à Tunis d’une mère institutrice et d’un père commerçant, dont la famille a émigré en France quand il n’avait que 7 ans.

« Un grand maniaque »

Dans le travail, Philippe Journo est un patron « très exigeant », « sur le terrain en permanence » mais « loyal et généreux, c’est son côté méditerranéen » et« profondément humain », confient ses collaborateurs, qui lui doivent une disponibilité vingt-quatre heures sur vingt-quatre « voire quarante-huit heures sur vingt-quatre ». Perfectionniste, il a un besoin irrépressible de tout contrôler, d’avoir un œil sur tout. Lui qui a changé le nom du projet « Floating Village » en « Mille arbres », « a bien vérifié que sur la maquette, il y en avait bien mille. Cette implication est propre aux entrepreneurs. En anglais on appelle cela les control freaks », estime Jean Sylvain Camus, l’un de ses plus proches collaborateurs, et aussi son conseiller en communication.

Cette implication, chacun a pu la vérifier le 30 avril, le premier samedi après l’ouverture de Ma Petite Madelaine, son centre commercial de Chambray-lès-Tours, où il a passé deux heures à faire de la circulation sur le parking. « Cela lui a permis de voir les choses à améliorer d’urgence », indique M. Camus, même si le patron a contracté à cette occasion un gros rhume. Car Philippe Journo est « un grand maniaque » : pour le siège de sa société, sur la très chic place Vendôme à Paris, qu’il a racheté en 2004 à LVMH, « il fallait que les motifs du sol soient exactement à l’aplomb des croisillons de la verrière », précise M. Camus. « J’aime les trucs organisés et efficaces. Dès que c’est le bordel, ça m’énerve », confirme M. Journo.

Philippe Journo, c’est un peu l’histoire d’un entrepreneur à la mode Bernard Tapie des années 1980, parti de rien et devenu en quelques années un spécialiste du rachat d’entreprises. A la sortie de l’Essec en 1986, il acquiert, avec un prêt familial, le fonds de commerce d’une PME de textile et se confronte avec difficulté au monde du commerce, avant de revendre l’affaire en multipliant par cinq sa mise de départ.

Un échec salutaire

Il rachète ensuite une société en liquidation judiciaire dans la location de structures de barnums, de podiums, qu’il redresse et revend un an et trois mois plus tard, à un groupe allemand en juillet 1990. « J’ai fait 85 fois la mise, car on avait gagné le marché du changement des décodeurs de Canal+. On installait des tentes dans les centres-villes pour que les gens viennent changer leur décodeur », se souvient-il. Avec l’argent récupéré, il reprend alors le plus gros négociant de matériaux de bricolage alsacien pour 3 millions de francs.

Trois ans plus tard, l’affaire en vaut 22. « Moi, à mon époque, personne ne faisait crédit aux jeunes. Le seul moyen de réussir c’était de faire ses preuves. Avec Internet, tout est devenu possible. Quand un jeune vient t’expliquer que t’as rien compris et qu’il va te casser la gueule, avant, tu disais “tu prends la porte”, aujourd’hui tu lui dis “montre moi ton truc” », lance-t-il en souriant.

Sa seule grosse erreur qu’il n’est pas près d’oublier est d’avoir en 1991 « acheté le plus gros franchisé, alors en dépôt de bilan, de l’enseigne spécialisée dans le matériel hi-fi Connexion, reconnait-il. Lors des grandes grèves de 1995, avec les blocus sur Paris, la marchandise n’arrivait pas et les ventes du mois de décembre ont été catastrophiques ». Ses quatorze magasins prennent alors le bouillon. « Mon associé a revendu ses parts et je me suis retrouvé seul. » Il revend alors, à perte, l’affaire à un concurrent, et continue seul l’aventure.

Mais cet échec lui sera salutaire puisqu’il lui permet de prendre le virage de l’immobilier commercial. « Il me restait un terrain sur lequel je devais faire un Connexion. » Il y construit un magasin Boulanger. « J’ai alors découvert qu’être investisseur dans l’immobilier commercial, c’était le rêve », poursuit-il.

« On ne peut pas lutter contre eux »

Le rêve… même si ces projets font l’objet de multiples recours de la concurrence et de complications administratives. Comme ceux qui l’ont conduit à abandonner en 2013 son vaste projet de centre commercial baptisé Red Line, qui devait voir le jour à 30 kilomètres à l’est de Paris, en bordure de l’autoroute A4 : 32 000 mètres carrés de commerces et d’activités de loisirs, avec comme locomotive le premier magasin français de la chaîne américaine Costco.

Le rêve… même si parfois face à lui la concurrence semble un peu faussée. Comme en 2014 lorsqu’il a voulu racheter Vista Palace, un hôtel perché sur les hauteurs de Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes) et surplombant Monaco, en redressement judiciaire. « Nous étions les mieux-disants et le juge a retenu l’offre d’investisseurs venant du Qatar, pourtant présentée hors délai, mettant en avant la qualité de ces actionnaires, raconte-t-il, philosophe. On ne peut pas lutter contre eux. C’est de la diplomatie, pas du business. » L’affaire est d’ailleurs entre les mains de la justice depuis novembre 2015.

Cécile Prudhomme