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Scandale Orpea : dans sa réédition des « Fossoyeurs », Victor Castanet révèle les pressions et les manipulations subies lors de son enquête

Le journaliste indépendant fait le récit, dans dix nouveaux chapitres, du « jeu de ces acteurs de l’ombre qui peuvent agir pour empêcher que l’information sur un groupe coté en Bourse n’arrive jusqu’au grand public ».

Par Béatrice Jérôme

 

Qui a tenté d’enterrer Les Fossoyeurs ? Dans une nouvelle édition de son enquête sur Orpea, qui sort en librairie mercredi 25 janvier, Victor Castanet raconte « le nid de vipères » dans lequel il a « mis les pieds » en menant l’enquête pendant trois ans sur le premier groupe européen des maisons de retraite commercial : espionnage, tentative d’interception des informations, contre-feu des communicants… Le journaliste indépendant fait le récit de sa plongée en milieu hostile à travers dix chapitres inédits à l’occasion de la réédition de l’ouvrage en format poche (J’ai Lu, 512 pages, 9,50 euros).

Son enquête initiale a provoqué un électrochoc. Parue chez Fayard – près de 170 000 exemplaires vendus – elle raconte des cas de maltraitances et de rationnement alimentaire envers des personnes âgées dans des établissements Orpea, liés, selon Victor Castanet, à des pratiques d’optimisation des coûts et de détournement d’argent public. Le « système Orpea » comme il l’a défini est aujourd’hui entre les mains des juges et l’onde de choc politique n’est pas terminée.

 

« J’ai voulu dans cette nouvelle édition raconter le jeu de ces acteurs de l’ombre qui peuvent agir pour empêcher que l’information sur un groupe coté en Bourse n’arrive jusqu’au grand public, explique Victor Castanet. Dans le cas d’Orpea, cela n’a pas fonctionné. Mais il faut être particulièrement vigilant face à des procédés à l’œuvre dans ce type d’investigation. »

Orpea nid d’espions : c’est la première révélation du livre qui paraît ce mercredi. « Ce n’est pas une mais au moins deux sociétés d’intelligence économique qui auraient été missionnées pour contenir l’impact de mon enquête », écrit Victor Castanet. « L’une des missions, réalisée par l’un des leaders français du marché, a été commandée par la direction générale d’Orpea quelques semaines seulement après l’envoi de mes questions au groupe en juillet 2021 », relate-t-il dans son ouvrage. Cinquante-six questions auxquelles Orpea n’a jamais répondu.

Ces officines expertes en filatures ont au moins suffisamment renseigné les dirigeants du groupe sur le travail de Victor Castanet pour qu’ils effacent certains dossiers ou traces dans les ordinateurs. Et préparent leur défense.

 

Echec de la stratégie de « la dénégation »

Le journaliste raconte comment il obtient la preuve que des détectives sont à ses trousses. Un homme qui se présente comme un « journaliste », a tenté de récupérer le livre auprès de l’attachée de presse de Fayard, une dizaine de jours avant sa sortie, au prétexte de le chroniquer. Victor Castanet retrouve sa trace plusieurs mois après. C’est alors que l’homme « lâche totalement le morceau », et explique au journaliste : « C’est une société d’intelligence économique qui m’a contacté. Je travaille ponctuellement avec plusieurs boîtes d’intelligence économique ou des agences de relations publiques. Il y a pléthore de choix. » Depuis, poursuit M. Castanet, le site Internet que dirige ce pseudo-journaliste a été « épinglé pour ses liens avec l’agence de communication Avisa Partners à la demande de laquelle il aurait diffusé des articles en faveur de clients ou pour dénigrer des concurrents ».

 

C’est aussi à tenter de contrecarrer le scandale des révélations du livre que s’est attelé, en vain, l’agence de communication Image 7. En contrat avec Orpea depuis plusieurs années, la société d’Anne Méaux a orchestré la diffusion d’un sondage qui paraît la veille de la parution du livre. L’enquête réalisée par Odoxa auprès de 6 000 personnes en Europe vise à démontrer que les Français « sont plus positifs en matière de vieillissement que la plupart des pays européens étudiés ».


Image 7 affirme aujourd’hui que c’est pure coïncidence si le sondage est sorti le 23 janvier 2022. La diffusion, ajoute l’agence, était initialement prévue en décembre 2021. Elle a été décalée en raison d’une actualité nationale. « Comme par hasard, ironise Victor Castanet, l’enquête Odoxa a été validée par Orpea après l’envoi de mes questions au groupe à l’été [2021] et publié la veille de la sortie du livre… »

Si le sondage était une manœuvre de diversion, elle a échoué tout comme la stratégie de communication d’Image 7 « à contretemps », selon Victor Castanet. Plutôt que le mea culpa immédiat, les équipes d’Anne Méaux, patronne de l’agence, ont conseillé à Orpea la « dénégation ». Une ligne de défense très vite battue en brèche par les enquêtes des Inspections générales des finances (IGF) et des affaires sociales (IGAS) qui corroborent les révélations du livre.

Le contrat entre lmage 7 et Orpea est toujours en cours. Le directeur général, Laurent Guillot, nommé en juillet 2022, tente de boucler un plan financier de plusieurs milliards d’euros pour sauver l’entreprise. Il préfère avoir les puissants réseaux de Mme Méaux de son côté.

 

Intrigues au sein de la majorité présidentielle

Selon nos informations, les équipes qui ont succédé aux dirigeants mis en cause par le livre ont aussi eu recours à des limiers en intelligence économique.

Pour faire la lumière sur les soupçons de malversations de leurs prédécesseurs, ils ont fait appel à l’Agence pour la diffusion de l’information technologique (ADIT). PIonnière en intelligence « stratégique », la grande agence européenne a été engagée en février 2022 par Philippe Charrier, successeur d’Yves Le Masne, le directeur général destitué quelques jours après la parution du livre. « Nous avons été missionnés pour travailler sur des allégations liées à des pratiques d’affaires ou à des schémas éventuels de fraude concernant les activités du groupe en France et à l’étranger », confie l’ADIT. En revanche, elle indique qu’elle n’a jamais travaillé pour le groupe Orpea avant février 2022. Sa mission s’est terminée fin 2022. Le nom des entreprises chargées d’espionner le travail de Victor Castanet reste un mystère…


Le journaliste revient enfin, dans le récit des coulisses de son enquête, sur les intrigues au sein de la majorité présidentielle pour éviter que le scandale Orpea ne fragilise le chef de l’Etat, Emmanuel Macron. A l’Assemblée nationale, la majorité des députés La République en marche (LRM, aujourd’hui Renaissance) s’est de fait opposée à la tenue d’une commission d’enquête parlementaire qui se serait déroulée en pleine présidentielle. A l’exception d’une seule, Annie Vidal, élue de Seine-Maritime.

Cette commission aurait risqué de gêner le candidat Macron, explique M. Castanet. N’ayant pas tenu sa promesse de porter une loi pour le grand âge, le président sortant aurait été embarrassé de devoir défendre un bilan sur le sujet. Au gouvernement, « Ils ont donné l’impression de réagir. Mais ils ont tout fait pour mettre le sujet sous le tapis », regrette l’auteur, lauréat du prix Albert Londres. Son livre va donner lieu à une fiction pour France 2 réalisée par Nicolas Boukhrief.