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Le Comité National autoproclamé des Vieux défend l’euthanasie contre le « paternalisme médical »

 

Alors que l’exécutif a dévoilé dimanche les grandes lignes du projet de loi sur la fin de vie, Mediapart donne la parole au Comité National autoproclamé de la Vieillesse (CNaV), dont les membres, souvent octogénaires, surtout des femmes, scandent « Ma mort m’appartient », en écho à leur combat des années 1970 pour le droit à l’IVG.

 

Sarah Boucault

22 mai 2023 à 18h47

 

 

 

 

« Je veux pouvoir décider du jour, de l’heure, de la minute, de la seconde de ma mort. » Emmanuèle Jeandet-Mengual, 74 ans, ex-haute fonctionnaire au ministère des affaires sociales et de la santé, résume ici l’esprit du CNaV. Lancé en 2021, le Comité national autoproclamé de la vieillesse, aux 1 500 membres dont 80 % de femmes, d’une moyenne d’âge de 83 ans, veut faire entendre la voix des « vieux ». Son slogan ? « Rien pour les vieux sans les vieux ».

Véronique Fournier, ancienne directrice du Centre d’éthique clinique de l’AP-HP, fait une piètre analyse de la liberté des ancien·nes dans la société actuelle : « On décide à la place des vieux, c’est terrible. » Cofondatrice du CNaV avec le militant Francis Carrier, avec le directeur du Centre d’éthique clinique de l’AP-HP Nicolas-Foureur et le journaliste Éric Favereau, cette cardiologue retraitée égrène : « On les attache dans un fauteuil pour ne pas qu’ils tombent. On ne les laisse pas faire des entorses à leur régime. On leur pique leur carte bleue pour ne pas qu’ils dépensent de l’argent de façon désordonnée. On se donne bonne conscience en se disant : “On va protéger les vulnérables.” Mais quand vous avez 90 ou 95 ans, que vous vous êtes bagarré·e toute votre vie pour arriver jusque-là, que vous avez appris à tenir seul·e sur vos jambes, psychologiquement, physiquement, professionnellement, intellectuellement, vous êtes encore très autonome dans votre tête. »

 

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Lors d'une réunion du CNaV au Théâtre du Soleil, près de Paris, en janvier 2023. © Photo Sarah Boucault pour Mediapart

 

Toutes et tous attendaient la loi « grand âge et autonomie » promise par Emmanuel Macron, elle a été enterrée au profit d’une maigre proposition de loi « bien vieillir », examinée à la mi-avril à l’Assemblée nationale, qui déçoit. Surtout, le CNaV guette le projet de loi sur la fin de vie, ouvrant la voie à une aide active à mourir, dont les grandes lignes ont été dévoilées dimanche 21 mai par la ministre Agnès Firmin Le Bodo (clause de conscience pour les médecins, pronostic vital nécessairement engagé à « moyen terme », interdiction pour les mineurs...).

« S’il n’y a pas un lobby ou une rébellion des vieux, il ne se passe rien, poursuit Emmanuèle Jeandet-Mengual. J’ai milité pour la loi Kouchner pour le droit des malades, contre le paternalisme médical, donc pas de raison que ça n’aille pas jusqu’à la mort. »

« Le CNaV est un acte d’empowerment, affirme quant à lui Francis Carrier, 68 ans, ingénieur en informatique à la retraite, militant gay et séropositif, et auteur de Vieillir comme je suis. L’invisibilité des vieux LGBTQI+ (éditions Rue de Seine, 2023). Nous devons faire émerger une conscience des discriminations et de la violence faite aux vieux dans la société. » En 2016, il a fondé GreyPride, pour lutter contre l’invisibilité des vieux LGBTQI+, mais s’est aperçu que « ça dépassait largement les minorités. Les vieux étaient nulle part ».

Lui pense que « la fin de vie est indissociable de l’avant-mort » et défend sa « vision globale du traitement de la vieillesse et de la fin de vie. C’est comme si on parlait de l’avortement sans parler du féminisme » : « Pourquoi dissocier une loi qui s’occupe juste de l’euthanasie et du suicide assisté sans prendre en compte la place des vieux dans la société ? »

 

Égalité devant la mort

 

Le parallèle entre les revendications des années 1970 autour de la liberté à disposer de son corps et une loi sur l’aide médicale à mourir est sciemment fait par les membres du CNaV. « Il y a beaucoup de freins à cette loi, mais ma génération a eu la pilule et l’IVG et sait ce que c’est de conquérir des droits, pointe Emmanuèle Jeandet-Mengual. J’espère qu’elle se lèvera, qu’elle se rebellera. On dit toujours : “Ma mort m’appartient.” » En référence au fameux « Mon corps m’appartient », scandé par le MLF (Mouvement de libération des femmes).

 

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Annette Bon. © Photo DR

 

Annette Bon, membre du CNaV de 84 ans, ancienne professeure agrégée d’histoire et syndicaliste CFDT, dénonce une inégalité similaire à celle de l’époque : « Les femmes allaient en Belgique, en Espagne, en Angleterre pour se faire avorter. Aujourd’hui, les gens vont en Belgique ou en Suisse. L’égalité de chacun·e devant la mort n’est pas remplie. » Lors du congrès de la CFDT en 2018 à Rennes, elle a porté un amendement sur la fin de vie affirmant « le droit pour toute personne à mourir dans la dignité », adopté à 93 %.

« À l’époque du sida, il n’y avait pas de loi sur la fin de vie mais ça se pratiquait partout, à l’hôpital, dans les appartements, se souvient Francis Carrier. Les médecins n’étaient pas pris dans une contrainte législative et ont su prendre leurs responsabilités et avoir une humanité. »

À l’argument des personnes âgées isolées et déprimées qui voudraient recourir à l’euthanasie, car elles se sentent de trop, Emmanuèle Jeandet-Mengual répond que « c’est un vrai risque, mais une loi sur l’aide médicale à mourir ne dispense pas les autorités publiques de développer les soins palliatifs et l’accompagnement social pour rompre l’isolement. Si certaines personnes âgées avaient plus de ressources, n’étaient pas isolées, leurs idées de mort et de suicide ne seraient sûrement pas aussi fortes. Mais il faut réserver la possibilité quand même à ceux qui disent : je veux pouvoir décider du jour où pour moi, c’est fini ».

 

« Faciliter le passage »

 

Les personnes âgées de 75 ans ou plus comptent pour 20 % de l’ensemble des décès par suicide en France, alors que cette tranche d’âge représente 9 % de la population. « Peut-on se poser la question de la bien-traitance des vieux ?, se demande Francis Carrier. Est-ce que notre société ne pousse pas les gens au désespoir ? Est-ce qu’on n’est pas dans la contention à tout prix d’une vie qui se réduit à être un légume qui attend ? »

 

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Emmanuèle Jeandet-Mengual. © Photo DR

 

En janvier, lors d’une réunion au Théâtre du Soleil, le CNaV a accueilli le médecin belge François Damas, qui revendique l’euthanasie comme un acte de soin (lire ici ou ). Emmanuèle Jeandet-Mengual se dit « préoccupée par l’opposition des soignants [à une loi] car on aura besoin d’eux ». Annette Bon, elle, juge que les médecins ont « une conception étriquée du serment d’Hippocrate. L’ordre des médecins, les lobbies et les autorités religieuses sont défavorables. On peut comprendre, mais il ne faut pas confondre “donner une possibilité” et “édicter une obligation” ».

À l’issue des deux jours de débats au Théâtre du soleil, le CNaV a fixé sa ligne sans détour : « Beaucoup parmi nous sont prêts, s’il le faut, à agir par eux-mêmes, par suicide assisté, aidés par de simples citoyens, en toute liberté, responsabilité et autonomie. Mais d’autres […] préféreront pouvoir rencontrer un médecin [qui] soit là le jour venu pour faciliter le passage, avec bienveillance et compétence, un médecin volontaire, d’accord avec la démarche et formé à la mener à bien. »

Véronique Fournier se dit plus radicale encore : « Je crains beaucoup une évolution qui ne serait que le suicide assisté façon Oregon. En tant que médecin, je ne me vois absolument pas prescrire quelque chose à quelqu’un en disant : “ Voilà, vous l’aurez pour le jour où vous voudrez et au revoir.” Quand les gens viennent demander cela, ils sont vraiment au bout du bout d’eux-mêmes. L’étape de la mort est difficile à franchir et il faut savoir être là en tant que médecin. L’accompagnement à mourir fait partie du métier. »

Tous les « vieux » du CNaV sont-ils d’accord avec ce point de vue ? Non, répond Véronique Fournier : « Mais nous avons diffusé ce texte à tous nos membres et nous n’avons eu aucune critique, que des encouragements. »

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Marie de Hennezel, psychologue spécialisée dans les soins palliatifs et membre du CNaV, est l’une des voix qui s’élèvent en défaveur d’une nouvelle loi sur l’aide médicale à mourir. « La génération des boomers (60-80 ans) s’est construite sur la valeur de l’autonomie et revendique le droit de décider du moment de sa mort, mais les choses sont différentes pour les 80-100 ans  : ils savent obscurément que leur souhait de mourir dans leur lit, apaisés, entourés, ne sera pas respecté, et craignent plus que tout d’être considérés comme un poids pour la société. » La psychologue, qui n’était pas présente au Théâtre du Soleil, souligne que ce rassemblement a réuni des citoyen·nes « en bonne forme » et « issus largement de milieux intellectuels et de gauche ».

 

Dans quelques mois, le CNaV organisera un « contre-salon des vieilles et des vieux » à Paris, durant lequel tous les sujets sur les vieux, dont la fin de vie avec des « cafés mortels », seront abordés. « C’est en référence à la contre-culture, explique Francis Carrier. Les vieux, c’est tellement mal vu qu’il faut être à contre-courant, impertinents, des vieux rigolos qui font envie. »