JustPaste.it

Mélanie Heard : « Protéger les jeunes doit compter au rang des premières urgences face au variant Delta »

Mélanie Heard, Politiste, enseignante-chercheuse en science politique. Elle anime le pôle santé du think tank social-démocrate Terra Nova.

Dans une tribune au « Monde », la politiste regrette qu’aucun dispositif ne cible la protection des enfants et adolescents, alors même que la contagiosité accrue du nouveau variant et la vaccination des adultes contre le Covid-19 les mettent en première ligne.

 

Tribune. L’exécutif et le Parlement viennent de débattre de la stratégie de lutte contre la pandémie de Covid-19. Les grands oubliés de ce débat important sont les 15 millions d’enfants et d’adolescents que la quatrième vague va pourtant frapper durement dans les semaines qui viennent. La généralisation du passe sanitaire, mesure-phare du projet de loi adopté dimanche 25 juillet, ne les concerne pas : les enfants de moins de 12 ans en étaient d’emblée dispensés, et ce sera finalement aussi le cas, jusqu’à fin septembre, des adolescents, qui accèdent à la vaccination depuis le 15 juin mais dont la couverture vaccinale ne dépasse pas, à ce jour, les 10 %. Les lieux d’enseignement étaient d’emblée exclus du périmètre d’application.

Au Parlement, les mineurs n’ont été évoqués qu’au prisme de la vaccination des 12-18 ans, au travers d’amendements de tous bords combattant, heureusement sans succès, qu’ils soient soumis au passe sanitaire pour leurs activités de loisirs : les mesures de prévention pèseraient alors sur eux d’un poids disproportionné, dit-on, par rapport à un virus assez généreux pour les épargner. C’est là raisonner dans un cadre épidémiologique que la réalité de la rentrée va rendre complètement périmé.


Aucun dispositif, dans la stratégie de lutte contre la quatrième vague, ne cible la protection des enfants et adolescents. Ce sont eux pourtant qui seront en première ligne d’ici à la rentrée. Deux facteurs renforcent aujourd’hui leur fragilité : la contagiosité accrue du variant Delta ; et la vaccination des classes d’âge plus âgées, mieux vaccinées qu’eux, qui accroît de ce fait la pression du virus sur eux. Avant l’été, les mineurs représentaient déjà 25 % des cas détectés. Ils pourraient bientôt compter pour 50 % des contaminations, selon les dernières modélisations.

 

Au pic, dès septembre, dans un scénario médian où l’on compterait alors 100 000 nouveaux cas par jour, il y aurait donc 50 000 enfants et adolescents infectés chaque jour. Ces projections de l’Institut Pasteur (Hozé et al., 9 juillet 2021 ; Bosetti et al., 13 juillet 2021), accessibles à tous et mises à jour régulièrement sur son site, sont considérées comme vraisemblables même avec l’impact positif de la généralisation du passe sanitaire sur le rythme des vaccinations.

 

Perspectives alarmantes

En dépit de ces perspectives alarmantes, il reste très difficile dans notre pays de parler de la réalité du risque Covid chez les mineurs. Plusieurs facteurs l’expliquent. Le soulagement, d’abord, au printemps 2020, de constater que les formes graves de l’infection étaient extrêmement rares pour eux. L’incertitude, ensuite, sur leur rôle dans la circulation virale tout au long de la période de confinement. L’inquiétude, aussi, pour leur santé mentale, affectée par le confinement, les périodes de scolarité en distanciel, et la violence même de cette épidémie qui bouleverse leur quotidien et leurs familles. La sanctuarisation, enfin, de l’impératif scolaire : le président de la République, en ouverture de son allocution du 12 juillet, a convoqué les Français à la fierté d’appartenir à l’une des nations qui a le moins fermé ses écoles.


La conscience du risque que représente le Covid-19 pour les enfants et les adolescents n’a pas progressé dans la société au même rythme que les connaissances scientifiques. Celles-ci se sont rapidement stabilisées sur le fait que les enfants et adolescents sont susceptibles de s’infecter lorsqu’ils sont exposés au virus, et qu’une fois infectés ils sont contagieux pour leurs pairs et leurs familles. Si les enfants semblent un peu moins susceptibles de s’infecter que les adultes quand ils rencontrent le virus, cela ne paraît pas être le cas pour les adolescents. Le milieu scolaire est donc un lieu de circulation virale active.

Les connaissances ont confirmé en parallèle la contribution significative des mineurs à la circulation virale en population générale : l’épidémiologie du variant Delta, du fait de la couverture vaccinale plus importante chez les adultes, l’accentue fortement. Il est établi que la vulnérabilité des jeunes, désormais disproportionnée par rapport aux autres classes d’âge, fait d’eux à la fois des cibles et des vecteurs critiques de la quatrième vague.


Enfin, les connaissances ont aussi progressé sur l’impact du Covid-19 chez les enfants : si les syndromes inflammatoires aigus et les hospitalisations représentent de faibles proportions parmi les infectés (environ 100 fois moins que pour les adultes), leur nombre deviendra rapidement inquiétant si le dénominateur se compte en dizaine de milliers. En outre, les symptômes persistants post-infection, ou Covid long, concernent les mineurs comme les adultes : fatigue chronique, maux de tête ou difficultés à se concentrer durant plusieurs mois pourraient concerner un cas sur 20 selon les données de l’Office national de statistiques britannique – soit potentiellement 2 500 nouveaux enfants chaque jour au pic de la quatrième vague.

 

Sécurisation du milieu scolaire

Protéger les enfants et les adolescents devrait donc compter au rang des premières urgences de l’été face au variant Delta. La vaccination ne peut pas être la seule réponse, puisqu’elle exclut encore les moins de 12 ans. Il faut certes se féliciter des annonces qui promettent une offre vaccinale massive au sein des collèges et des lycées dès la rentrée. Mais comment protégerons-nous les enfants d’âge primaire, les collégiens de moins de 12 ans et les nombreux adolescents qui ne seront pas vaccinés en septembre ? C’est aujourd’hui que se préparent les mesures qui devront accompagner la rentrée scolaire, à commencer par la sensibilisation des familles, dès cet été, aux symptômes de l’infection pédiatrique par le variant Delta.

 

Surtout, la sécurisation du milieu scolaire appelle des choix qui méritent d’être débattus et nécessitent d’être anticipés et concertés : sur le terrain, le dépistage et la quarantaine des élèves seront un défi insurmontable si plusieurs dizaines de milliers d’entre eux sont contaminés chaque jour ! L’échec patent du dépistage en milieu scolaire, qu’une récente mission sénatoriale a qualifié de « parcellaire, aléatoire, incompréhensible », a clairement entamé la crédibilité de l’institution en la matière auprès des familles et des enseignants.

On manque malheureusement de données pour savoir quel pourcentage d’élèves a participé aux campagnes organisées depuis le printemps dans les établissements scolaires ; mais les chiffres qui circulent indiquent 10 % d’adhésion dans les lycées, 40 % dans les collèges, et 70 % au primaire, soit bien trop peu pour casser les chaînes de transmission.

Des données de l’Inserm montrent qu’un dépistage généralisé et fréquent (deux fois par semaine) pourrait permettre d’éviter les milliers de fermetures de classes qui se profilent déjà pour les semaines qui suivront la rentrée. Or, on ne repère pas d’ambition sérieuse pour organiser et concerter une telle stratégie robuste de dépistage. Ni pour préparer le soutien pédagogique et psychologique des élèves qui seront à l’isolement. Ni pour anticiper la reprise inévitable du port systématique du masque en classe, qui imposera probablement un effort renouvelé de pédagogie auprès des élèves. Ni non plus, enfin, pour favoriser l’aération des salles ou des cantines – et ce, en dépit d’études qui montrent qu’elle ne peut reposer sur la seule injonction d’ouvrir les fenêtres, et nécessite l’utilisation d’outils, comme les capteurs de CO2, dont le Haut Conseil de la santé publique a explicitement préconisé la généralisation.

 


L’inquiétude justifiée pour la santé mentale des élèves a été mise en balance avec le poids de telles mesures de prévention sur leur quotidien. L’idée d’une hiérarchie des risques semble s’être imposée, le risque de mal-être du fait des contraintes sanitaires l’emportant en gravité, pour les jeunes, sur le risque direct d’impact du virus sur leur santé. Ce cadre de raisonnement est clairement périmé aujourd’hui du fait de la nouvelle épidémiologie du variant Delta dans une population partiellement vaccinée.

L’alternative pour les enfants n’est pas entre des mesures fortes de prévention dans les classes et une vie normale, mais entre ces mesures fortes et des dizaines de milliers de contaminations pédiatriques par jour qui désorganiseront de fait la scolarité des élèves – avec, pour des milliers d’entre eux, des conséquences sur la santé durables.

 

Prévenir le mal-être psychologique des élèves

L’anticipation, la mobilisation des familles et de la communauté éducative en amont de la rentrée, une information sur le risque adaptée à chaque âge, et un effort politique ambitieux pour expliquer et justifier les mesures de prévention, sont les meilleurs leviers à la fois pour contenir les contaminations et pour prévenir le mal-être psychologique des élèves.


La réponse politique à la quatrième vague ne s’est pas saisie de ces enjeux. Le fardeau qui pèsera sur les enfants et les adolescents n’est pas nommé. On attend d’un jour à l’autre le protocole de sécurisation des établissements scolaires, annoncé début juillet. Mais il ne saurait de toute façon suffire à incarner la volonté politique dont la protection des enfants a aujourd’hui besoin.

 

Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, se disait sûr, le 8 juillet, que l’année à venir sera « plus normale » que la précédente. Comme l’ont souligné plus d’une centaine de scientifiques dans un appel récent publié dans The Lancet, laisser circuler le virus parmi les enfants et les adolescents serait à la fois un tort moral et une ineptie sanitaire.