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Avertissement à nos lecteurs. Nous tenons avant tout à remercier Philippe Martinez. Oui, le quinqua moustachu qui, chaque jour depuis le 5 décembre 2019, apparaît sur vos écrans de télé ou/et cause dans votre poste de radio afin de vous annoncer la reconduite de la grève menée par son syndicat, la CGT, contre la réforme des retraites. Explications. C’était un soir d’été, en 2015. Philippe Martinez n’était pas très connu. Il n’était patron de la CGT que depuis quatre mois. Nous l’avions suivi une journée entière en Moselle. Avant notre déplacement, son secrétariat nous avait indiqué que le camarade en chef cégétiste rentrerait le soir même à Paris, en train et en seconde classe. Donc nous avons aussi acheté un ticket de seconde classe. Mais, horreur, sur le quai de la gare, Martinez a sorti de son sac à dos un billet… de première. Qu’avons-nous fait ? Eh bien, nous avons resquillé et pris place dans la même voiture que celle du syndicaliste. Un contrôleur est entré. Une fois, deux fois, l’agent de la SNCF insiste et nous demande de déguerpir : « Je vais être obligé de dresser un procès-verbal. » Et là, le petit mais costaud Martinez se lève, plante son regard noir dans celui du contrôleur et dit : « Bonsoir, elle est avec moi. » Réponse : « D’accord, monsieur. » Nous n’avons jamais su si cet agent était encarté à la CGT, mais c’est lui qui a déguerpi et nous qui gardons notre place. Au passage, la SNCF a perdu le bénéfice d’une amende. Mais bon, c’est le boss Martinez qui en avait décidé ainsi… 

Depuis, le numéro un du syndicat no 2 de France a causé des pertes bien pires à la SNCF. Où la CGT passe, le développement économique trépasse. Prenez la grève qui bloque une partie de la circulation des trains depuis le 5 décembre et qui est menée par les camarades CGT, avec les syndicats SUD, Unsa et même la CFDT : elle coûte 20 millions d’euros par jour à l’entreprise. Cela représente 1 083 ans de salaire net pour un smicard ou encore 484 ans de salaire net pour Martinez, dont la rémunération mensuelle de 3 439 euros (primes et 13 e mois inclus) est maintenue même en période de grève nationale. Quand la SNCF avance ce chiffre de 20 millions d’euros, elle ne ment pas : elle a l’expérience des grèves passées. Entre 1947 et fin 2018, elle a vu s’envoler dans le ciel de la contestation sociale 29 699 820 journées de travail et n’a pas vécu une seule année sans mouvement. Arrêtons-nous au conflit de 2018, la fameuse grève perlée contre la réforme de la SNCF. Pratique rarissime, la facture pour la SNCF a été révélée. À cause de ce mouvement de trente-sept jours, la société a perdu 790 millions d’euros, un coût contenu « grâce à » la méthode du perlage : mesures commerciales pour réduire le préjudice subi par les voyageurs, mise en place de bus de substitution… C’est très cher payé pour l’entreprise. Qui ne s’en était pas offusquée. Étonnant. 

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Cessions d’actifs. Il a fallu un cheminot, un vrai, qui a débuté sur un quai de gare à Rodez en 1981, pour briser l’omerta : Jean-Pierre Farandou. Après une longue carrière au sein de la SNCF, il en est devenu le président le 1 er novembre. On le dit proche du PCF, qui est lui-même encore un peu dans l’orbite de la CGT. N’empêche, Farandou a rappelé, dans un entretien accordé à Paris Match, que son entreprise – 33 milliards d’euros de chiffres d’affaires pour un bénéfice net de 141 millions – s’est engagée en 2018 à atteindre l’équilibre financier en 2022 auprès de l’État actionnaire, ou plutôt à limiter son endettement. Mais, compte tenu de la grève, il pourrait devoir céder des actifs « dans les mois qui viennent » pour tenir cet objectif. Un fin connaisseur de l’entreprise dresse la liste des entités qui pourraient être mises en vente : « Il y a les logements HLM, la filiale Geodis, spécialisée dans la logistique, le parc des wagons, la société de stationnement Effia… Il faudra aussi demander aux cheminots d’être plus productifs. » Cette perspective ne semble guère émouvoir Martinez. Ce n’est d’ailleurs pas son sujet : « On ne lâche rien », « Retrait du projet », répète-t-il. Pendant ce temps, la France freine. 

À la RATP, on parle d’« au moins 3 millions d’euros de pertes par jour de grève ». Soit, en quarante jours, 120 millions. À titre de comparaison, l’année dernière, la Régie avait enregistré un bénéfice net de 200 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 5,39 milliards… Que dit Martinez ? « On ne lâche rien », « Retrait du projet ».

Pour le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, le manque à gagner au cours des trente premiers jours du conflit est estimé de 720 à 740 millions d’euros par le Groupement national des indépendants (GNI). Selon le ministère de l’Économie, près de 200 sociétés, représentant 3 000 employés, essentiellement en Île-de-France, ont fait appel aux aides pour chômage partiel. « Que des entreprises voient leur chiffre d’affaires baisser, oui, mais je n’ai jamais vu de mes yeux des personnes pointer à l’ANPE (sic) à cause d’une grève », répond, gêné, un représentant de la CGT au Conseil économique, social et environnemental. « Les cégétistes sont l’illustration de la pensée close et idéologique de Karl Popper : ils ont raison dans leur propre univers », affirme Jean-François Guillot, expert en qualité sociale. 

« Des taxis que j’ai payés de ma poche ». Maquilleuse professionnelle indépendante, domiciliée en périphérie de Paris, Valérie est l’une de ces « invisibles » pour la CGT et les bloqueurs de tout bord syndical. En règle générale, elle est embauchée à la journée ou à la semaine, et la période des fêtes est celle durant laquelle elle travaille le plus. « Je me déplace avec une valise qui contient mes produits de maquillage. Les premiers jours de la grève, j’ai pris des taxis que j’ai payés de ma poche : 75 euros pour un salaire journalier de 200 euros. Mais j’ai dû renoncer à cinq jours de travail parce que le coût du transport n’allait pas couvrir ma rémunération. Mon statut ne me permet pas de pointer au chômage. À force de me faire bousculer avec ma valise, je me suis blessé le dos. J’ai dû aller deux fois chez l’ostéopathe, 70 euros par séance. »

Il y a tout ce qu’on a encore du mal à évaluer, même si le riche passé français en matière de conflits vient là aussi nous éclairer. Retour en 2018 : la grève perlée de la SNCF et celle d’Air France pour les salaires ont eu un impact de 0,1 point sur le PIB, soit l’écart entre la production effectivement observée et une estimation de la production qui aurait potentiellement été réalisée en l’absence de grève. En valeur absolue, cela aurait représenté un manque à gagner de 550 à 600 millions d’euros. La grève de 1995 contre la réforme des retraites a eu un effet sur la croissance de 0,2 point de PIB trimestriel. Ce mouvement, qui s’est étalé sur vingt-deux jours, sert de référence aux calculs de l’Insee. Le mardi 14 janvier, les militants et sympathisants de la CGT se levaient pour la quarante et unième fois de suite sans aller travailler. Problème : l’Insee prévoyait une croissance de 0,2 à 0,3 % par trimestre jusqu’à mi-2020. Martinez ? « On ne lâche rien », « Retrait du projet ».

Voiture de fonction avec gyrophare. Cet entêtement idéologique, cette bagarre sans fin entre des syndicats radicaux et un gouvernement obstiné sont dévastateurs. Une machine à tuer l’attractivité de notre pays, c’est-à-dire sa capacité à attirer des investissements étrangers. Fin 2019, les médias américains, italiens, allemands ont listé les pays en proie à la « colère des peuples ». La France, pays des droits de l’homme, cinquième puissance économique mondiale, apparaissait aux côtés du Liban, de la Bolivie, du Chili, de Hongkong… « Nous avons depuis trois ans considérablement amélioré l’image de la France à l’étranger. (…) Il ne faut pas abîmer cette image-là », a déclaré le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, en lançant les soldes d’hiver à Paris. « La CGT a empêché le développement de nombreux sites industriels en France », témoigne le membre du comité exécutif d’une multinationale de la pétrochimie. 

C’est le dimanche matin que Philippe Martinez est le plus heureux, quand il quitte son domicile pour se rendre au PMU, où il va se fournir en cigarettes. Il est heureux, car il est seul. Ce qui ne lui arrive presque jamais. Même en période de calme social (notion très relative à la CGT), il est toujours accompagné : un garde du corps, un chauffeur au minimum. Comme ses prédécesseurs, il a aussi le droit à une voiture de fonction avec… gyrophare. Un accompagnement permanent qui place le secrétaire général sous surveillance. Un ministre du Travail de François Hollande confie, effaré, ses rencontres avec Thierry Lepaon, le prédécesseur de Philippe Martinez. « Tous les numéros un des syndicats viennent avec un ou deux membres de leur équipe, plutôt des techniciens du dossier. Pour la CGT, Lepaon était le seul à parler, ou plutôt il venait avec une feuille A4 et il la lisait. » Un syndicaliste de premier plan : « Quand vous voyez un gars de la CGT avec une feuille, cela veut dire qu’il est sous contrôle. Il doit suivre mot pour mot ce que lui demande sa confédération. » 

eabc447b94d6416321ed0838b85f9cb3.jpg Piquet. Blocage de la raffinerie Esso de Fos-sur-mer (Bouches-du-Rhône), le 7 janvier. La fédération CGT de la chimie a appelé au blocage de toutes les installations pétrolières pendant quatre-vingt-seize heures.

Les « éclairés » recasés. Martinez est à la tête d’un groupement d’ultragauche, animé par la volonté de prendre sa revanche après le mouvement des Gilets jaunes, qui leur a échappé : anciens communistes, éternels communistes, mélenchonistes, sympathisants NPA, fidèles de Lutte ouvrière, membres d’Attac et trotskistes de différents courants, ils tapent tous (très fort) sur la table des discussions au siège national de Montreuil. « Dans le champ de bataille qu’est devenue l’extrême gauche, entre trotskistes, France insoumise et reliquat du PC, la CGT s’est invitée, et on joue à “plus radical que moi, tu meurs” », estime Michel Dreyfus, coauteur en 2019 de La CGT en question(s). On est donc loin du bloc unique communiste qui prévalait il y a encore une quinzaine d’années à la CGT, avec des « éclairés » qu’on mandate pour discuter avec l’État, le patronat… Ils ont été gentiment recasés loin du siège de Montreuil. « Henri Krasucki, Louis Viannet et même Bernard Thibault, pouvaient négocier en cachette. Ils géraient la décrue d’un mouvement, passaient des deals… » se souvient un vieux de la vieille garde syndicale. 

Martinez a été un temps encarté chez les communistes. Il ne l’est plus. On ne sait pas pourquoi. Ce que l’on sait en revanche, c’est qu’il est à la tête, malgré lui, d’un bureau de douze personnes d’ultragauche, très hétérogènes – NPA, LO et même d’obédience lambertiste – qui ne pourraient proposer qu’un compromis sur une ligne dure. Toute cette bande sait bien que ni le gouvernement ni les autres syndicats ne s’aligneraient sur sa position : donc « elle ne propose rien ou plutôt elle continue à formuler des solutions dépassées comme l’augmentation générale des salaires », décrypte un haut responsable syndical. 

Maillage territorial. À la CGT, ils sont environ 650 000 à croire encore à ces combats ; c’est du moins ce qu’affirme Montreuil. Le nombre d’adhérents, invérifiable, est en baisse constante. Le syndicat souffre de son image et de celle du syndicalisme en général, dont les préoccupations peuvent paraître bien loin de celles du Français lambda. En 1946, la CGT revendiquait 5 850 000 adhérents, la plupart contrôlés par le PCF. En 1985, elle est passée sous la barre du million. Dans son dernier document d’orientation, paru en 2019, le syndicat, dont la maison mère a perdu 4,2 millions d’euros pour 45 millions de « chiffre d’affaires », s’inquiète de la fonte de ses troupes : « Il y a urgence, notre nombre de syndiqués et syndiquées est en recul régulier depuis plusieurs années, et, pour la première fois de notre histoire, nous sommes la 2 e organisation représentative. » C’est en 2018 que la CFDT s’est offert le titre de roi des syndicats français. Mais, même si elle a chuté de son trône, la CGT conserve un pouvoir de nuisance sans égal dans le pays. Car elle est très bonne – et elle ne s’en vante pas – dans le maillage territorial et le repérage de ses futures ouailles. « La tradition, le poids du passé restent particulièrement forts, plus que dans tout autre syndicat, précise Michel Dreyfus, notamment cette lutte contre l’État qui fut au cœur de la fondation du syndicat. » Elle tire sa capacité de blocage de ses positions dans la fonction publique et les entreprises parapubliques. 

Il y a bien entendu les bastions historiques – SNCF, RATP, EDF… –, où, malgré des scores en baisse aux élections internes, la CGT reste en tête. Mais la concurrence, avec SUD ou la CFE-CGC la pousse à prouver que nul n’est plus révolutionnaire qu’elle. C’est quitte ou double. Une histoire de survie. Même chose dans la métallurgie, la chimie… Elle vérole les « ateliers », les plaques tournantes de la production, charme les petits salaires. « Avec une poignée d’adhérents recrutés à des postes clés, ils peuvent bloquer une entreprise et perturber des pans entiers de l’économie », insiste un expert du syndicat. Ajoutez à cela la disponibilité de ces militants, toujours prêts à accueillir les nouvelles recrues, ou leurs nombreux services juridiques un peu partout en France, disposés à vous tendre la main en cas de difficultés. La dernière obsession de la CGT, ce sont les petites entreprises. Elle les cible, tracte devant leurs portes si elle n’y est pas implantée. 

Séquestration de dirigeants. Notre ex-ministre socialiste du Travail se marre encore en repensant au conseil qu’il a prodigué à des ouvriers craignant de voir leur usine fermer : « Je ne les ai pas envoyés à la CGT, mais chez un avocat très proche idéologiquement d’elle, Fiodor Rilov. Je ne le connais pas personnellement, mais je sais que lui et la CGT, c’est le ticket gagnant pour emmerder un patron. Moi, je ne pouvais pas les aider… » Cette fine équipe a œuvré sur les dossiers Goodyear, Conti, Faurecia, Samsonite, 3 Suisses, etc. Et en effet, dans certains cas, cela n’a pas été une mince affaire pour les protagonistes patronaux : séquestration de dirigeants, indemnités de départ monstres, fermetures de sites… « Les militants durs de la CGT sont convaincus que, quelles que soient les conséquences de leurs actes, même si un site ferme, ils font du bien aux gens, car ils empêchent les salariés d’être aveuglés par les hochets du capitalisme et du patronat », souligne Jean-François Guillot. 

Quand on pense à la CGT, il ne faut jamais oublier son origine. Elle-même ne l’oublie pas. En 1906, lorsque est adoptée la charte d’Amiens, la CGT, seul syndicat en exercice – constitué d’abord autour des cheminots et des métiers du livre –, affirme à 90 % un courant de syndicalisme révolutionnaire. Certes, il existe une tendance réformiste issue des fédérations liées à un métier, mais ce sont les Bourses du travail, plus locales, qui imposent le recours à la grève générale et à l’autonomie syndicale. Plus de cent ans plus tard, la lecture de son document d’orientation de 47 pages est très instructive. Nous tombons 118 fois sur le mot « lutte » ou le verbe « lutter ». Si nous avions encore un doute, il est confirmé noir sur blanc que « la grève est, pour la CGT, l’arme la plus efficace pour obtenir la satisfaction de [ses] revendications, car elle pèse directement sur l’organisation du travail, sur la production de richesses et donc sur le capital ». Elle conseille dans certains cas de se limiter à un autocollant sur un vêtement de travail, à une pétition… Nous avons interrogé des représentants de la CGT, qui nous ont expliqué : « Contrairement à la CFDT, nous sommes dans un rapport de force à chaud pour pousser les négociations au maximum, c’est-à-dire que, dès le début des discussions, nous assumons des actions de blocage. » 

Ceux qui ont maille à partir avec les cégétistes – collègues d’autres syndicats, RH, directeurs d’usine – leur reprochent leurs méthodes. « Ils vous diront que ce n’est pas de l’intimidation, mais cela en est. Ils peuvent débarquer à 5 heures du matin à six face à un jeune seul et lui demander de débrayer. Vous feriez quoi à sa place ? » regrette un dirigeant. En pratique, loin des caméras, au sein des entreprises, les élus CGT signent 80 % des accords qui leur sont soumis par les directions, mais « ils adorent mettre en scène leur opposition, leur reproche un patron. Cela prend un temps fou. Le temps, c’est de l’argent n’est-ce pas ? Nous, patrons, État, sommes aussi fautifs. Nous avons trop joué le jeu de la paix sociale, “je te donne, tu me donnes” ». Pas faux… 

 

Si les cégétistes sont réputés pour leur connaissance fine des métiers, on peine à trouver chez eux une vision stratégique à long terme pour leur entreprise. « Ils considèrent que ce n’est pas leur job, que c’est plutôt celui des capitalistes », estime un conseiller de la CGT. D’ailleurs, dans les centres de formation du syndicat, on propose avant tout aux militants, à ceux qui vont aller négocier au nom des salariés, des sessions pour apprendre l’histoire et les valeurs de la CGT, la réglementation ou encore la stratégie de communication. « J’ai suivi une des formations. C’était un cheminot qui était aux commandes, moi, je travaille dans une société de gestion… Il y avait comme un décalage… J’ai demandé par la suite à être formé dans des centres “mixtes” avec des élus d’autres syndicats », se remémore un ancien élu de la CGT. Il se souvient aussi de réunions au sein de sa fédération, où ses camarades expliquaient leur méthode d’intimidation. « C’est débile, c’est dévastateur psychologiquement. Les mecs sont salariés, mais leur seule entreprise, c’est la CGT. » Lui-même a déjà menacé son ancien DRH d’un « coup de boule » dans un ascenseur. 

« Le même niveau de conviction qu’on peut parfois trouver dans les sectes ». « C’est un système quasi mafieux. Une pression énorme est mise sur les gens. Ils sont profondément convaincus qu’ils vont sauver les travailleurs. C’est le même niveau de conviction qu’on peut parfois trouver dans les sectes ou les partis politiques », lâche un haut responsable de la SNCF. Et de raconter les barbecues, les merguez grillées… La lassitude du management… Les tentatives pour sortir de cette spirale mortifère. 

Il y aurait des moyens tout simples. À moindres frais. L’un d’eux figure en bonne place sur les tracts de la CFDT et de la CFE-CGC : les chèques-service : tickets-restaurant ou chèques-voyage. À EDF, à la RATP, à la SNCF et dans d’autres grands groupes, la CGT, contrairement à ses adversaires, s’oppose au déploiement d’une telle offre. Car c’est elle qui, grâce à ses bons scores aux élections internes dans ces entreprises, tient les manettes des cantines et des centres de vacances. Problème : ces lieux ne sont guère fréquentés. Le système de chèques semble de toute évidence plus égalitaire… 

« Disons les choses franchement. Il y a du copinage. Ce sont leurs proches qui y bossent, s’emporte un élu CDFT dans le secteur de l’énergie. Essayez de louer un bungalow l’été dans le Sud ou en Corse, c’est quasi mission impossible. Pourtant, ces centres sont à moitié vides quand vous osez vous y rendre à l’improviste. La CGT met les bungalows à disposition de ses copains qui vivent à proximité. En fait, ces derniers mettent en location leur résidence principale pour l’été et vont dormir dans les centres de vacances à moindres frais. Vous voyez la culbute qu’ils sont susceptibles de réaliser ? Ils peuvent faire grève après et pleurer devant les caméras. » Dans certaines filiales d’EDF, de la RATP ou encore de la SNCF, les directions sont arrivées à imposer les chèques. Comme par magie, la CGT y a perdu des points aux élections qui ont suivi ces décisions. Corrélation ? Causalité ? 

« Ce blocage, c’est avant tout la faute de l’État actionnaire, qui a sous-investi dans les transports en particulier, s’agace un haut fonctionnaire. Nous avons le réseau ferroviaire le moins télécommandé d’Europe. Nous avons ainsi des aiguilleurs tout au long des lignes, quand en Allemagne ou en Suisse, ils centralisent le suivi du trafic depuis vingt ans. Nous, nous avons lancé ce chantier il y a cinq ans, et il sera bouclé dans vingt ans. Dommage : les centres d’aiguillage sont des avant-postes de choix pour les grèves. » 

 

Pour en finir avec cette lutte des classes sans fin, cette course à l’achat de paix sociale, certains demandent une mise à mort législative des trublions. Si les lois travail ont limité le nombre d’élus du personnel – en regroupant dans une seule et même instance les anciens comités d’entreprise et les CHSCT –, ce n’est pas assez pour les partisans d’un dynamitage du dialogue social à la française. Selon eux, il faudrait revoir les règles de la représentativité syndicale, qui passent par des élections professionnelles – le poids national d’une organisation est le résultat de scores locaux. 

Problème de légitimité. « Les syndicats sont les seuls à pouvoir se présenter au premier tour, et les seuls à avoir le droit de négocier des accords. Cela crée un décalage avec les gens, qui ne se précipitent pas aux urnes pour voter. À mes yeux, il y a un vrai problème de légitimité », regrette le DRH d’un équipementier automobile. Qui rêve de syndicats comme en ont nos voisins, où le lien avec les salariés est plus fort. En Allemagne, où la cogestion est la règle, syndicats et patronat préfèrent les débats constructifs aux confrontations. « En Suède, les organisations syndicales sont très impliquées dans la formation professionnelle tout au long de la vie et interviennent en cas de licenciement. Mais, pour être aidé, il faut être adhérent du syndicat, souligne Stéphane Carcillo, chef de la division emploi et revenus de l’OCDE. Au Danemark, pour pouvoir bénéficier de l’intégralité de l’assurance-chômage, il faut être adhérent d’un des syndicats qui cogèrent la mise en œuvre du système d’indemnisation. Dans ces deux pays, les syndicats cherchent le compromis avec l’employeur plus que la confrontation parce qu’ils sont parties prenantes de l’emploi et des conditions de travail. La qualité des relations sociales y est meilleure que chez nous. » 

Dans son dernier baromètre sur l’attractivité de la France, paru en juin 2019, le cabinet EY a posé à plus de 200 investisseurs la question suivante : « Quelles sont les réformes qui pourraient jouer en faveur de l’attractivité en France ? » Ils étaient un tiers à considérer la réforme du dialogue social comme une priorité. La question n’a pas été adressée à Martinez, qui n’est ni investisseur ni étranger, mais sa réponse ne fait aucun doute : « On ne lâche rien », « Retrait du projet »§

Khanh Renaud pour « Le Point » – Illustration : XAVIER GORCE POUR « LE POINT » – Copyright 2019 The Associated Pr – © Maurice-Louis Branger/Roger-Viollet – © Excelsior – L’Equipe / Roger-Viollet – © Collection Roger-Viollet / Roger-Viollet – adoc-photos – © Roger-Viollet – AFP or licensors