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Didier Tabuteau, une nomination surprise à la tête du Conseil d’Etat

A 63 ans, ce spécialiste des questions de santé publique a été nommé, mercredi, en conseil des ministres, vice-président de l’institution du Palais-Royal, dont il présidait la section sociale.

 

C’est une nomination que le premier intéressé n’avait pas même imaginée avant que le président de la République ne le reçoive pour l’évoquer, mardi 4 janvier. Didier Tabuteau, 63 ans, a été nommé à la tête du Conseil d’Etat lors du conseil des ministres, mercredi. Président de la section sociale de l’institution du Palais-Royal depuis juin 2018, il est également enseignant à Sciences Po, où il est responsable de la chaire Santé, et codirecteur de l’Institut Droit et santé.

Ce spécialiste des questions de santé publique et de sécurité sociale ne postulait pas à la succession de Bruno Lasserre, dont le mandat s’est achevé mardi. Son nom n’avait d’ailleurs jamais été évoqué par les visiteurs du soir de Matignon ou de l’Elysée.

Emmanuel Macron a donc précipité les choses, alors que la vacance annoncée à la tête du Conseil d’Etat risquait d’être inscrite à son passif. Selon la formule officielle du conseil des ministres, M. Tabuteau a été nommé « sur proposition du garde des sceaux, ministre de la justice ». En réalité, cette nomination stratégique est traditionnellement une prérogative du président de la République. En l’occurrence, la décision a été prise en concertation avec le premier ministre, Jean Castex, qui connaissait ce conseiller d’Etat, contrairement à M. Macron.

Rassurer le Conseil d’Etat

Pour sortir de l’impasse à laquelle avaient mené les différents noms évoqués ou testés ces dernières semaines, MM. Macron et Castex se sont entendus, lundi 3 janvier après-midi, sur une short list de trois noms, a-t-on appris de source proche. Jean-Paul Faugère, l’ancien directeur de cabinet de François Fillon à Matignon, souvent cité comme favori, n’y figurait pas. Ces trois personnalités ont été auditionnées par le chef de l’Etat, qui a donc rapidement tranché.

Le choix est fait pour rassurer le Conseil d’Etat, avec une évidente continuité de l’action menée par M. Lasserre. Didier Tabuteau, comme le vice-président sortant – le titre de président du Conseil d’Etat est réservé au premier ministre ou au ministre de la justice, s’il leur venait à l’esprit de siéger à l’assemblée générale –, a eu une carrière avec des fonctions très opérationnelles à l’extérieur de l’illustre maison et un parcours traditionnel à l’intérieur de celle-ci. « Issu d’un milieu très modeste, il est un des exemples de réussite de l’ascenseur républicain », se réjouit Jean-Denis Combrexelle, président de la section du contentieux et ancien président de la section sociale, où M. Tabuteau lui avait succédé. « Je suis le fruit de l’école de la République et de parents aimants », résume avec pudeur l’intéressé, dont le père avait commencé avec un CAP et la mère était vendeuse dans un commerce.

 

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Passé par le célèbre lycée parisien Louis-le-Grand, il a cumulé les grandes écoles, est devenu polytechnicien, avant de faire l’Ecole nationale d’administration (ENA) en 1982 (promotion Louise Michel). Entré au Conseil d’Etat dès sa sortie de l’ENA en tant qu’auditeur à la section du contentieux puis de l’intérieur, il a également exercé la fonction de rapporteur public à la section du contentieux.

Sa carrière est marquée par de nombreux passages par les cabinets ministériels. Il a été directeur adjoint de cabinet de Claude Evin au ministère de la solidarité de la santé et de la protection sociale (1988-1991) et de Martine Aubry au ministère de l’emploi et de la solidarité (1997-2000). Il a accompagné Bernard Kouchner à la santé à deux reprises en tant que directeur de cabinet, de 1992 à 1993, dans le gouvernement Bérégovoy, et, de 2001 à 2002, dans le gouvernement Jospin.

Il a surtout été le premier directeur général de l’Agence du médicament, créée en 1993, jusqu’en 1997. Après le retour de la droite au pouvoir en 2002, Didier Tabuteau a une expérience dans le privé, comme directeur général de la Fondation caisses d’épargne pour la solidarité pendant sept ans. Il rentre en 2011 à la « maison » et réintègre le Conseil d’Etat à la section sociale. « Il a un esprit de synthèse, l’art de dénouer des choses complexes et une grande élégance dans l’écriture », dit de lui Bruno Lasserre.

 

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Passionné de la matière sociale

Pour l’exécutif, M. Tabuteau est aussi un choix prudent, alors que la crise sanitaire liée au Covid-19 et son lot de polémiques et de contentieux juridiques restent préoccupants. C’est la section sociale, qui, le dimanche 26 décembre 2021, lorsque l’assemblée générale du Conseil d’Etat a dû se réunir en urgence pour se prononcer sur le projet de loi du gouvernement transformant le passe sanitaire en passe vaccinal, était rapporteuse du texte.

De fait, le nouveau vice-président du Conseil d’Etat a vu passer depuis deux ans tous les textes sur l’état d’urgence sanitaire. Ce n’est pas un hasard si, dans la promotion de la Légion d’honneur du 1er janvier, il a été élevé au grade de commandeur sur le contingent du ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran.

 

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Passionné de la matière sociale, M. Tabuteau va devoir s’en extraire pour présenter rapidement, en interne d’abord, les priorités qu’il compte fixer pour son mandat appelé à durer quatre ans et demi. L’un des défis de cette institution hybride, à la fois conseillère de l’exécutif dans l’élaboration de la loi et juridiction suprême de l’ordre administratif, notamment dans les contentieux opposant les justiciables à l’administration ou à l’Etat, sera de diversifier ses modes de recrutement pour ne pas se couper de la société.