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JeanZiegler: «Il faut détruire le capitalisme »

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Vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, le sociologue Jean Ziegler donne une conférence le 12/10/2019 à Dragignan. Il prône la fin du capitalisme pour que naisse une société nouvelle. Voici l'interview de Var Matin le 12/10/2019 par mbescond@nicematin.fr

 

VM: En quoi le capitalisme est-il un danger mortel pour l'homme ? 

 

Le capitalisme est habité par un paradoxe. D'une part, il est certainement le mode de production le plus créateur et dynamique qui ait jamais existé dans l'humanité. Les progrès techniques et technologiques sont partout. Il est d'une créativité extraordinaire. Pourtant, il a généré un ordre cannibale du monde.

VM: C'est-à-dire ?

Le capitalisme a engendré de l'inégalité et une monopolisation des richesses produites. le vous donne un exemple. L'année dernière, selon la Banque mondiale, les 500 plus grandes sociétés transcontinentales privées, tous secteurs confondus, ont contrôlé 52,8 % du produit mondial brut, c'est-à-dire plus de la moitié des richesses produites en une année sur la planète. Autrement dit, ces très minces oligarchies du capital financier globalisé, ont un pouvoir comme jamais un roi, un empereur, un pape, n'a eu sur cette planète. Ces oligarchies échappent à tout contrôle étatique. Elles fonctionnent sur un seul principe : la maximalisation des profits, qu'importe le prix humain. Le résultat, c'est un pouvoir qui supplante les États. C'est une dictature mondiale qui surdétermine tous les autres pouvoirs. Et c'est, pour la majorité des hommes, un ordre cannibale. Selon les Nations Unies, toutes les cinq secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim. Deux milliards d'êtres humains n'ont pas d'accès régulier à l'eau potable. Plus absurdement, le rapport sur l'insécurité alimentaire dans le monde de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAQ), précise que l'agriculture telle qu'elle est aujourd'hui, pourrait nourrir 12 milliards de personnes. Si l'accès à la nourriture ne dépendait pas du pouvoir d'achat, s'il y avait des règles, une normativité et une distribution équitable. Cet ordre du monde n'est pas seulement meurtrier. Il est aussi absurde. Il tue sa nécessité.

VM: Dans votre ouvrage, votre petite fille Zohra vous demande quand la chute du capitalisme peut se produire. Vous lui répondez que vous la jugez proche. Est-elle inéluctable à vos yeux ?

Totalement. On entend souvent dire : « C'est vrai, il y a des excès avec le capitalisme, il faut le réformer. » Mais on ne peut pas réformer un système d'oppression. Les révolutionnaires français n'ont pas pu réformer la société féodale. La société coloniale ne peut pas être humanisée. Dans l'histoire du monde, le capitalisme fait partie de ces systèmes d'oppression. Ou bien on brise la stratégie du principe de la maximalisation du profit et le capitalisme s'effondre. Ou il continue à régner, et la planète est foutue. Il faut détruire le capitalisme pour qu'émerge une société nouvelle.

VM: Quelle serait-elle ?

C'est un grand mystère. Toutes les révolutions le sont d'ailleurs. Au moment de la prise de la Bastille, les révolutionnaires n'avaient pas idée de ce que serait 4 ans plus tard la 1ère Constitution de la République française. C'est le mystère de la liberté libérée dans l'homme qui va faire naître cette société nouvelle. Nous portons en nous les valeurs de cette société nouvelle. Chacun de nous sait, dans son âme et conscience, qu'il ne peut pas vivre sur une planète qui pourrait nourrir le double de l'humanité actuelle, mais où toutes les 5 secondes un enfant meurt de faim. L'horizon, nous le portons en nous. Et ça commence par briser la dictature du capital financier. Et rétablir la démocratie de base.

VM: Vous parlez d'une « nouvelle société civile planétaire » ?

Oui. Les États ont été colonisés par l'oligarchie financière et ont perdu leur pouvoir créateur. Face à cette oligarchie, un nouveau sujet porteur d'espérance est né : la société civile. Avec ses nombreux mouvements sociaux très différents. Ces gens qui se lèvent et veulent briser cette dictature.

VM: Quels regards avez-vous sur les mouvements citoyens qui émergent ces derniers temps, de celui porté par Greta Thunberg jusqu'aux actions d'Extinction Rebellion, en passant parle mouvement des Gilets jaunes ?

Ce sont tous des porteurs d'espoir. Parce qu'ils rétablissent la démocratie directe. Ces citoyens manifestent, utilisent leurs droits au nom d'une moralité élémentaire : « Je suis l'autre, et l'autre est moi. » Le seul moteur de ces mouvements, c'est l'impératif catégorique de Kant. C'est-à-dire la conscience de l'identité. Les citoyens se saisissent des instruments de la démocratie de base.

VM: Dire que le capitalisme est la source de tous nos problèmes, n'est-ce pas un peu caricatural?

Pas du tout. C'est l'évidence. J'ai été toute ma vie professeur de sociologie, je dis ce qui est, il n'y a rien d'idéologique là-dedans. Mes mandats aux Nations Unies depuis 20 ans m'ont permis de vérifier sur le terrain les thèses que j'avance.

VM: Les conférences comme celle de ce soir, c'est important ?

Ce ne sont pas des conférences mais des confrontations avec un public, de l'échange, un dialogue. Et c'est cela qui fortifie, partout, la société civile. C'est sa force de résistance.


PROPOS RECUEILLIS PAR M. B.
mbescond@nicematin.fr Rencontre avec Jean Ziegler, ce 12/10/2019 18h30 à l'auditorium du pôle culturel Chabran. Entrée gatuite sur réservation au 04 8308 30 30.