Dérèglement climatique : les cinq critiques récurrentes adressées au GIEC
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat se réunit vendredi pour réfléchir aux conséquences du dérèglement climatique sur les terres.
Source le Monde les décodeurs par Mathilde Damgé et Gary Dagorn 2/8/2019 Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) se réunit, vendredi 2 août, à Genève (Suisse), pour évoquer les conséquences du dérèglement climatique sur les terres (méthodes agricoles, déforestation, sécurité alimentaire).
Cet organisme chargé de synthétiser l’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique a un rôle central, mais il est mal connu et souffre de nombreuses critiques sur son fonctionnement ou ses rapports.
1. « C’est un groupe fermé auquel il est difficile de participer »
C’est l’une des idées reçues les plus répandues par les climatosceptiques au sujet du GIEC : celui-ci fonctionnerait comme un groupe fermé, en vase clos, empêchant la contradiction et les discussions d’émerger lors du processus de rédaction des rapports.
Ce processus d’écriture est au contraire ouvert, transparent, et implique un grand nombre de contributeurs.
Le GIEC, auquel 195 gouvernements participent, possède trois groupes de travail, chacun chargé d’une des trois grandes parties du futur rapport :
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les fondamentaux physiques du changement climatique ;
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les impacts, adaptations et vulnérabilités ;
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la lutte contre le changement climatique.
Les Etats membres de l’organisme, son bureau et les organisations observatrices proposent dans un premier temps des listes de scientifiques, que les bureaux de chacun des groupes de travail sélectionnent ensuite comme auteurs. Ceux qui ne sont pas nommés auteurs sont invités à prendre le rôle important de relecteur. Le choix des auteurs du rapport est un processus long parce que, outre le fait que ceux-ci doivent refléter la variété des expertises scientifiques et socio-économiques, la sélection doit respecter un certain équilibre des sexes et des nationalités.
L’écriture de chaque partie du rapport consiste ensuite en quatre brouillons successifs écrits, puis revus et commentés par les relecteurs, peu nombreux sur la première version, mais beaucoup plus sur les trois suivantes. A partir du second brouillon, toute personne peut accéder au statut de relecteur s’il justifie de références sérieuses et d’une expertise sur le sujet concerné et accepte la règle de confidentialité qui s’applique aux brouillons. Ceux-ci sont constamment commentés par les relecteurs et réécrits par les auteurs ensuite.
A titre d’exemple, sur les deux premiers brouillons du cinquième rapport, datant de 2014, le groupe de travail numéro un a reçu 52 422 commentaires provenant de plus d’un millier d’experts et de dizaines d’Etats membres, auxquels ils ont systématiquement répondu. La partie de ping-pong permanente qui s’étale sur plusieurs années et sur chaque version en fait un processus particulièrement contributif et dont les résultats sont, de fait, très peu contestés.
Il faut également préciser qu’aucun auteur ni aucun membre du bureau du GIEC ne sont rémunérés pour son travail et ne disposent d’aucun avantage en nature, malgré l’investissement parfois important que représente l’écriture d’un rapport aussi volumineux – on estime qu’un auteur principal y passe 30 % de son temps de travail, jusqu’à 50 % pour un coordinateur de chapitre. Les seules personnes rémunérées sont celles des unités d’appui technique qui existent dans chaque groupe de travail et aident auteurs et coordinateurs.
2. « Le GIEC manipule les données sur le climat »
C’est une attaque qui est fondée sur un épisode connu sous le nom de « Climategate ». En novembre 2009, plusieurs milliers de documents et de courriels dérobés fuitent sur Internet. Les données proviennent de l’université d’East Anglia à Norwich (Royaume-Uni), et plus précisément de son centre de recherche climatique, dont plusieurs membres sont également des contributeurs importants des rapports du GIEC. Or, la sélection de plus de mille courriels publiés contient plusieurs passages qui, sortis de leur contexte, ont semblé embarrassants… et ont été repris très rapidement par les climatosceptiques, qui y voient une preuve de fraude scientifique.
Une des manipulations supposées qui aura le plus d’écho était en fait une correction de certains relevés de températures (déduites d’après les cernes des arbres) en les remplaçant par des données plus fiables mesurées par des thermomètres. Malgré l’unanimité des enquêtes diligentées à la suite de ce scandale (deux par l’université de Norwich, une par le Parlement britannique et une par l’université de Pennsylvanie) concluant à la probité des chercheurs et à l’exactitude des résultats publiés, la crédibilité de la science climatique s’est érodée dans l’opinion publique ces années-là. Aux Etats-Unis, une étude d’opinion a démontré que la part des Américains pensant que le réchauffement climatique est réel avait reculé de quatorze points en deux ans, passant de 71 % en 2008 à 57 % en 2010.
3. « Les rapports sont truffés d’erreurs »
Plusieurs attaques sur la qualité du travail du GIEC ont cristallisé l’idée reçue de rapports « truffés d’erreurs », pour reprendre les termes de Breitbart News. Le site américain d’extrême droite a ainsi publié, en 2018, un article prétendant dénoncer les graves erreurs présentes dans un ensemble de statistiques utilisées. Il était notamment reproché à l’organisme de reprendre des données locales aberrantes ; par exemple, la mesure, dans une île des Caraïbes, d’une température de 0 °C ou des moyennes établies pour une zone du globe à partir d’un seul site en Indonésie.
Ces reproches sont injustes car, comme l’expliquent plusieurs experts habitués à travailler avec de tels chiffres, l’article joue sur des incertitudes inévitables, propres à ce type de jeux de données à l’échelle mondiale, mais qui ne remettent pas en cause la tendance globale. D’ailleurs, l’un des centres dont le GIEC reprend les statistiques, le Hadley Centre, a détaillé pourquoi il existait cent versions de cet ensemble de données :
« Les erreurs dans les ensembles de données climatiques proviennent de différentes sources. Certaines, dues à une mauvaise transcription, affectent une seule interprétation. D’autres (…) touchent des ensembles plus grands, mais ne risquent pas d’affecter les estimations sur les tendances à long terme, qui s’étendent sur des décennies. »
Toutefois, le fait de reprendre les études d’autres instituts ou organismes a pu mettre le GIEC en dangereuse posture : en 2007, les auteurs du groupe écrivaient que les glaciers himalayens auraient quasiment disparu en 2035. Une estimation provenant d’un rapport de 2005 du Fonds mondial pour la nature (WWF), lui-même citant l’interview d’un glaciologue indien en 1999, grossièrement erronée et reconnue comme telle en 2010. A la suite des recommandations publiées la même année par l’InterAcademy Council (un organisme chargé d’évaluer les méthodes de travail du GIEC), une procédure de correction des erreurs a été mise en œuvre afin d’agir de façon transparente dès qu’une erreur est signalée aux auteurs.
Pour l’écriture du sixième et prochain rapport d’évaluation prévu pour 2022, le GIEC a également « fortement renforcé les interactions entre les groupes de travail », afin d’« améliorer la coordination et la relecture croisée » et d’« identifier plus rapidement de telles erreurs », précise Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et coprésidente du groupe de travail numéro un de l’organisation.
4. « Les sources ne sont pas fiables »
Le GIEC ne mène pas de travaux de recherche : il synthétise les connaissances existantes. Son rapport est divisé en trois volets dont le premier n’est basé que sur la littérature scientifique soumise à la relecture par les pairs. Mais dans les deuxième et troisième volets (consacrés aux impacts du réchauffement et aux mesures possibles pour l’atténuer), les auteurs ont recours à de la « littérature grise » comme des rapports d’ONG lorsqu’il n’existe pas de travaux scientifiques dûment publiés sur les effets très locaux du réchauffement.
Il ne faut employer ces sources qu’avec beaucoup de précaution… et bien distinguer la partie scientifique « pure » du rapport des deux suivantes, plus illustratives ou spéculatives. C’est ce que répondait en 2010 Jean-Pascal van Ypersele, vice-président du GIEC, quand il leur était reproché d’avoir cité un travail d’étudiant et un article d’un journal d’alpinisme. Le climatologue belge a rétorqué :
« Cette critique porte sur une seule ligne dans un tableau d’exemples d’effets observés sur les glaces et provoqués par le réchauffement. Cette ligne mentionne qu’une diminution de voies d’escalade sur la glace a été observée dans les Alpes, les Andes et l’Afrique et donne pour référence une thèse de maîtrise en géographie et une publication d’alpinisme. Mais il ne s’agit que d’exemples ! Il est clair que les conclusions majeures du GIEC reposent sur des travaux beaucoup plus solides que ceux-là, mais donner ces illustrations “humaines” a une certaine valeur. »
Malgré tout, l’utilisation de cette « littérature grise » est désormais encadrée plus strictement, comme l’explique Valérie Masson-Delmotte :
« Les auteurs doivent justifier le choix de citer de telles sources (…) quand l’information n’existe pas dans les publications scientifiques. Nous passons aussi systématiquement des logiciels antiplagiat sur les chapitres pour déceler d’éventuels copier-coller inacceptables pour une évaluation nouvelle et critique. »
5. « Ils font de la politique plus que de la science »
« Les règles fondatrices du GIEC lui interdisent toute recommandation politique, même si ses analyses doivent éclairer les décideurs », affirme Michel Petit, ancien membre du bureau du GIEC, ancien directeur de l’Institut national d’astronomie et de géophysique.
Pour ce faire, chacun des trois volets de chaque rapport du GIEC est synthétisé en un « Résumé technique » et un « Résumé à l’intention des décideurs ». Ces résumés sont approuvés ligne par ligne, voire mot par mot, par les représentants des gouvernements et les experts scientifiques ; c’est l’expression du consensus scientifique destiné à informer les pouvoirs publics. Lors de ces négociations minutieuses, où l’enjeu est d’exprimer dans un langage le plus clair possible les connaissances scientifiques, les scientifiques disposent d’un droit de veto s’ils estiment que les mots choisis ne sont pas scientifiquement exacts.
La transparence du processus de sélection des auteurs, puis des publications scientifiques permet également de garantir un haut niveau de neutralité politique du rapport. Valérie Masson-Delmotte pointe, par exemple, la diversité des auteurs « de pays différents, d’expérience différente, qui n’ont pas précédemment travaillé ensemble, avec un renouvellement important des auteurs d’un rapport à l’autre (au moins 50 % de nouveaux auteurs, parfois jusqu’à 75 %, selon les rapports) », ou le fait que les rapports sont approuvés par les représentants de tous les pays membres ayant des intérêts « très différents » les uns des autres.