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A la source des fake news, de Vélès (Macédoine) à Washington, D. C. – Politique

La meilleure façon de générer du trafic est de faire partager des publications sur Facebook et le meilleur moyen de générer du partage sur Facebook est de publier des contenus sensationnalistes et souvent faux qui puissent satisfaire les partisans d'une vision (fausse) partagée des choses: politiques, sociales et économiques. Tout le monde est devenu média, à défaut d'être devenu journaliste.

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Qu’est-ce qu’une « fake news » ? « Des informations fausses, souvent sensationnelles, diffusées sous l’apparence d’un traitement de l’actualité », précise le Collins English Dictionnary. Cette définition rejoint celle des « fausses nouvelles » dont la diffusion constitue un délit en droit pénal français depuis la loi sur la presse de... 1881. Il s’agit, stricto sensu, d’une information délibérément fausse mais présentée comme vraie afin de tromper son destinataire.

A quelle nouveauté doit-on donc la popularité de cette expression anglophone, omniprésente dans les médias depuis près de deux ans ? Le terme a rétrospectivement été utilisé pour évoquer les contre-vérités qui ont pollué la campagne en faveur du Brexit au Royaume-Uni, avant de s’inviter en France où une proposition de loi « relative à la lutte contre la manipulation de l’information », surnommée « loi fake news » et soutenue par le gouvernement, est en discussion au Parlement – le Sénat l’a rejetée fin juillet, elle reviendra à l’Assemblée. Les responsables politiques l’ont vite intégré dans leur vocabulaire, quasi exclusivement pour disqualifier les propos de leurs adversaires. C’est avant tout au président américain Donald Trump et à ses outrances contre les journalistes et les médias hostiles à sa politique que l’on doit cette nouvelle acception.

Parce qu’il est malléable, quoiqu’efficace, personne ne semble savoir quelle réalité ce terme recouvre vraiment. Les « fake news » sont-elles simplement la version moderne des bonnes vieilles fausses nouvelles, à la sauce numérique ? « Internet ne change pas fondamentalement la donne, il y a toujours eu des phénomènes massifs de diffusion de l’information et il y en aura encore », rappelle Pascal Froissart, directeur du département culture et communication de l’Université Paris VIII. Pour cet enseignant-chercheur spécialiste des phénomènes de rumeur, le terme de « fake news » est « une invention des communicants politiques de la campagne présidentielle de Donald Trump aux Etats-Unis, raison pour laquelle nous avons aujourd’hui beaucoup de mal à le définir ».

Usines à contenus. C’est en effet dans le contexte très particulier de l’élection américaine de 2016 que l’expression a connu un regain de popularité. Il suffit pour s’en convaincre de consulter la fréquence des recherches du terme sur Google sur les cinq dernières années. L’intérêt pour les « fake news » ne décolle qu’à partir du 13 novembre 2016, soit quelques jours à peine après la victoire surprise de Donald Trump et quelques mois après les premiers articles dans la presse anglophone. Son emploi est depuis devenu quotidien dans la sphère politique.

Le 24 août, le journal britannique The Guardian est ainsi le premier à évoquer la petite ville de Vélès, en Macédoine. C’est de là, à des milliers de kilomètres des Etats-Unis, que des sites web politiques pratiquant le « clickbait » (ou piège à clics en français) surfent sur la Trumpmania pour gagner de l’argent. L’article se focalise notamment sur le rôle joué par Facebook grâce à qui d’obscures publications – souvent de simples plagiats d’articles glanés sur le web américain – peuvent atteindre le million de pages vues… et les recettes publicitaires qui vont avec. Le journal ne mentionne cependant pas l’aspect mensonger ou trompeur des informations qui sont diffusées par ces canaux et leur éventuel impact sur l’élection.

« Le meilleur moyen de générer du partage sur Facebook est de publier des contenus sensationnalistes et souvent faux qui puissent satisfaire les partisans de Trump »

Ce fut chose faite le 3 novembre suivant, quelques jours seulement avant le scrutin. L’édition américaine du site BuzzFeed publie alors une enquête étonnante intitulée « comment des adolescents dans les Balkans trompent les partisans de Trump avec de fausses nouvelles ». L’article se penche à nouveau sur l’origine de ces ragots montés de toutes pièces mais massivement partagés sur les réseaux sociaux pendant la campagne électorale. Là encore, la piste conduit à Vélès mais l’enquête insiste cette fois sur la recette du succès. « La meilleure façon de générer du trafic est de faire partager leurs publications politiques sur Facebook et le meilleur moyen de générer du partage sur Facebook est de publier des contenus sensationnalistes et souvent faux qui puissent satisfaire les partisans de Trump », écrit BuzzFeed après avoir interrogé les auteurs de ce que les médias américains vont désormais regrouper sous l’expression « fake news ».

Dans une autre enquête publiée en février 2017, le magazine spécialisé Wired revient en détail sur les fascinantes usines à contenus de Macédoine. La publication avance pour la première fois l’hypothèse que ces fausses informations aient pu avoir une influence sur le résultat de l’élection. « C’est possible, peut-être que ça a changé quelques pourcentages », explique le créateur de l’un de ces sites ayant inondé la toile américaine. Depuis plusieurs semaines déjà, l’expression « fake news » a pourtant pris un tour résolument politique après les déclarations d’Hillary Clinton, le 8 décembre 2016.

L’alerte d’Hillary Clinton. Après sa défaite à l’élection présidentielle un mois plus tôt, l’ancienne candidate du Parti démocrate se faisait plutôt rare. Pour sa deuxième apparition en public depuis le scrutin, elle revient sur les conditions très particulières de sa débâcle face à Donald Trump et met en garde les Etats-Unis. « Il est une menace particulière qui devrait inquiéter tous les Américains, qu’ils soient démocrates, républicains ou indépendants, et spécialement ceux qui siègent au Congrès : l’épidémie de “fake news” malveillantes et de fausse propagande qui ont inondé les médias sociaux au cours de l’année écoulée ». Hillary Clinton va plus loin et affirme qu’« il est désormais clair que ce qu’on appelle les “fake news” peut avoir des conséquences dans le monde réel ».

«L’utilisation de cette expression n’a pas pour but de définir une réalité mais de créer un clivage et de réussir à mobiliser un intérêt médiatique»

Avec cette sortie de l’ancienne secrétaire d’Etat, les « fake news » deviennent un objet politique à part entière. Mais c’est surtout l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche qui va en faire un slogan repris et commenté quotidiennement par les observateurs. Déjà élu mais pas encore investi, le nouveau président des Etats-Unis mentionne pour la première fois le 10 décembre 2016 sur son compte Twitter l’expression qu’il a depuis utilisée à d’innombrables reprises : « Les informations de CNN selon lesquelles je continuerais à travailler sur [l’émission de téléréalité] The Apprentice pendant ma présidence, même à temps partiel, sont ridicules et mensongères – FAKE NEWS ! » Rapidement, Donald Trump va regrouper sous ce vocable l’ensemble des médias qui sont hostiles à sa politique. On est alors bien loin des adolescents des Balkans bricolant des articles bidon pour 1 000 dollars par mois de revenus publicitaires.

C’est, d’après Pascal Froissart, le piège dans lequel beaucoup de monde est depuis tombé. « Les journalistes sont les premiers clients de la communication politique, ils ont dès lors voulu définir cette expression et lui donner une réalité qu’elle n’a peut-être pas, explique l’universitaire. On a créé un tiroir “fake news” et après on s’est demandé quoi mettre dedans ! Cela continue, notamment en France avec la discussion autour de cette loi étrange qui ne répond en réalité à aucun problème nouveau ».

La surexposition du terme dans la communication de Donald Trump et, par ricochet, dans les médias, a donc contribué à faire des « fake news »... un sujet d’actualité. « L’utilisation de cette expression n’a pas pour but de définir une réalité mais de créer un clivage et de réussir à mobiliser un intérêt médiatique », souligne Pascal Froissart. Une stratégie qui s’est révélée d’une redoutable efficacité : « J’ai réalisé une étude après l’élection de Donald Trump et, à chaque fois que le terme “fake news” revenait dans un de ses tweets, le nombre de partages était supérieur à la moyenne », poursuit le chercheur.

Remède impossible. Devenu cri de ralliement politique pour les partisans de Trump, les « fake news » n’en finissent pas pour autant d’inquiéter. A tel point que les rumeurs colportées pendant la campagne présidentielle française par des médias gouvernementaux russes, principalement à l’encontre du candidat Macron, ont débouché sur la rédaction de cette fameuse proposition de loi visant à s’en prémunir, du moins en période électorale, sous l’impulsion donnée au début de l’année par le même homme, devenu Président. Une erreur, selon Pascal Froissart, qui rappelle qu’« en sociologie électorale, les médias jouent un rôle très particulier mais ils ne sont pas pour autant omnipotents car, si l’information circule à travers eux, l’opinion se forge dans d’autres réseaux : en famille, au travail ou entre amis ».

Ainsi le remède le plus efficace contre les « fake news » serait... de ne pas en parler ! «Le meilleur moyen de diffuser une rumeur est de la démentir car la réfutation lui donne une respectabilité, notamment à cause des reprises du démenti dans les médias », affirme Pascal Froissart. Emmanuel Macron s’y est pourtant risqué, en tentant de jouer la carte de l’humour. Pendant la campagne présidentielle, il avait évoqué publiquement, pour les ridiculliser, les rumeurs lui prêtant une relation avec Mathieu Gallet, à l’époque patron de Radio France.

La popularité du concept de « fake news » est en réalité l’illustration des mutations du champ médiatique plutôt qu’un problème à part entière, «le symptôme d’un désarroi devant l’ouverture du jeu de l’information et des difficultés ontologiques à trouver des clés dans ce nouveau monde», comme l’a écrit Nicolas Vanbremeersch dans le numéro 200 de la revue Le Débat. Le fondateur et dirigeant de l’agence de communication Spintank rappelle que « tout le monde est devenu média, à défaut de devenir journaliste ». C’est ce qu’a bien compris Donald Trump, lui qui se réjouissait en octobre dernier d’avoir « commencé tout ce truc sur les “fake news” »…