Plus de 3 millions de bénéficiaires de l’aide alimentaire en France
Distribution d'aide alimentaire à Bordeaux en novembre 2022. (Philippe Lopez/AFP)
par Anaïs Moran
C’est un «portrait social» dressé ce mercredi par l’Insee qui tombe à point nommé. Alors que le sujet de la précarité alimentaire est brûlant, face à la flambée vertigineuse du prix des denrées, l’institut vient de rendre public ses travaux annuels sur les évolutions économiques et sociales en France. Avec cette fois-ci un éclairage particulier sur les bénéficiaires de l’aide alimentaire. Entre novembre et décembre 2021, les statisticiens de l’Insee ont ainsi enquêté auprès de ces personnes, en grande difficulté financière, qui se rendent dans un ou des centres associatifs de distribution d’aide afin de recevoir ou acheter des produits alimentaires. En intégrant tous les individus composant le ménage de ces bénéficiaires, l’Insee estime qu’entre 3,2 et 3,5 millions de personnes ont reçu en 2021 des aides alimentaires (colis, achats en épiceries solidaires ou distribution de repas prêts à consommer) par le réseau associatif.
Certes, les données datent de l’année dernière, mais elles se révèlent éclairantes à l’aune du contexte inflationniste de 2022. Contexte qui a convaincu le Conseil national de l’alimentation (CNA) de recommander, en octobre dernier, d’inscrire le droit à l’alimentation dans la législation française pour en «garantir l’accès à tous et toutes». Contexte qui a également valu à la première ministre, Elisabeth Borne, d’annoncer en début de mois la création d’un «fonds pour une aide alimentaire durable»de 60 millions d’euros en 2023, pour permettre aux Français «les plus fragiles» d’accéder à «une alimentation de qualité». Et aux ministres des Solidarités et de l’Enseignement supérieur, Jean-Christophe Combe et Sylvie Retailleau, de s’engager ce mercredi sur le déblocage d’une enveloppe de 10 millions d’euros d’aide alimentaire dévolue aux étudiants. Faisant presque oublier le projet gouvernemental d’un «chèque alimentaire d’urgence» de 100 euros par foyer, destiné aux «9 millions de foyers les plus modestes». Formulée cet été, la promesse est au point mort.
«La majorité des bénéficiaires de l’aide alimentaire vivent dans leur propre logement», soit trois quarts d’entre eux, dévoile l’Insee. Ils sont 10 % à loger chez un proche, 8 % à vivre en hébergement collectif et 2 % à l’hôtel. 4 % sont des personnes sans abri et 62 % seulement résident dans leur propre logement. Les personnes immigrées représentent 44 % – une part que l’institut juge sous-évaluée puisqu’il ne s’agit que des bénéficiaires ayant pu répondre au questionnaire des statisticiens en français.
«Privations alimentaires»
«Les bénéficiaires sont souvent les plus pauvres des pauvres, pointel’institut. [Ces] ménages constituent la fraction ayant les conditions d’existence les plus difficiles.» Selon les chiffres mis à disposition, le niveau de vie de ceux habitant en logement dit «ordinaire» (chez eux ou chez un proche) s’élève en moyenne à 637 euros mensuels. Les bénéficiaires installés en hébergement collectif, en chambre d’hôtel, ou les sans-abri, disposent de leur côté de 435 euros en moyenne pour vivre. Le rapport précise que «72 % des recourants vivant en logement ordinaire et 88 % des autres recourants ont un niveau de vie qui se situe en deçà du seuil de 40 % du revenu médian», qui a été établi à 1 898 euros en 2020 par l’enquête «Statistiques sur les ressources et les conditions de vie». A titre de comparaison, les «ménages pauvres» (moins de 1130 euros par mois) sont 23 % à se retrouver sous cette barre des 40 % du niveau de vie médian. A caractéristiques identiques, les recourants déclarent «2,3 fois plus souvent des difficultés financières» que la moyenne des ménages pauvres.
Conséquences de cette très grande précarité : 4 bénéficiaires sur 5 souffrent de «plusieurs formes de privations alimentaires». Parmi les renoncements les plus cités reviennent d’abord «la nécessité de réduire la variété des aliments consommés» et «l’obligation d’acheter, souvent ou parfois, les aliments les moins chers plutôt que ceux qu’on aime» (67 % des réponses). De surcroît, environ la moitié des bénéficiaires disent «avoir peur de manquer de nourriture» (55 %), «réduire les quantités qu’ils consomment ou sauter des repas» (49 %). Dans l’impasse financière, 35 % des bénéficiaires ont confié devoir demander de la nourriture à leurs proches, tandis que 32 % ont raconté partir «souvent ou parfois» se coucher en ayant faim. Autant de difficultés qui ne risquent pas de s’améliorer pour 2022. Selon sa dernière mise à jour, l’Insee prévoit pour décembre une inflation de 12 % des produits alimentaires sur un an.