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Mercosur est complètement antinomique avec nos ambitions climatiques

 

Après l’accord conclu entre l’UE et l’union sud-américaine, l’ancien ministre de la transition écologique estime que « le libre-échange est à l’origine de toutes les problématiques écologiques ».

Source Le Point Propos recueillis par Rémi Barroux  Publié hier à 18h16, mis à jour à 12h14

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Nicolas Hulot, à Paris, le 28 février. SAMUEL KIRSZENBAUM POUR LE MONDE

La Commission européenne a conclu, vendredi 28 juin, un vaste accord commercial avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay). L’ancien ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, qui avait démissionné de son poste fin août 2018, estime que cet accord est « incohérent » avec les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique.

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Pour le président Emmanuel Macron, l’accord commercial conclu entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur est « bon, à ce stade ». Partagez-vous ce jugement ?

Je ne comprends pas qu’on puisse en l’état signer cet accord. Ce type de décision politique montre qu’on n’a aucune approche systémique, globale de la lutte climatique. On est très loin de la cohérence. Cet accord est complètement antinomique avec nos ambitions affichées et, surtout, avec la réalité de ce qu’il faut faire.

D’une part, cela crée des doutes sur les intentions et les déclarations politiques, au vu de la réalité des pratiques ; et on voit les conséquences quand les doutes sur l’action politique grandissent. D’autre part, on laisse un président, Jair Bolsonaro, saccager la forêt amazonienne, sans laquelle on n’a aucune chance de gagner la bataille climatique. Elle représente à elle seule dix années d’émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cela n’était pas parfait avec les gouvernements brésiliens précédents, mais là c’est la curée.

Par ailleurs, on s’indiffère d’exactions multiples et répétées contre les Indiens d’Amazonie puisqu’on laisse les nervis des forestiers, des miniers et des pétroliers agir sans se soucier de ces populations et de leurs droits. Cela parachève une forme de génocide au fil de l’histoire des Indiens.

Je ne vois pas comment on peut, sur un enjeu universel, signer un accord avec un pays qui bafoue, à ce point, ces objectifs. Cela prouve qu’on n’a pas pris la mesure des choses et, surtout, qu’on est loin d’être dans la cohérence.

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Comment jugez-vous la diplomatie française ?

Notre diplomatie devrait être prioritairement écologique et une diplomatie des droits de l’homme, et accessoirement ou corollairement une diplomatie économique. On se tire une balle dans le pied puisque, dans le même temps, on décourage nos agriculteurs, qui sont déjà sur la corde raide. On exonère les pays importateurs des efforts que l’on demande à nos propres agriculteurs.

C’est cette fameuse incohérence que je dénonce en permanence, qui fait qu’il ne peut pas y avoir de crédibilité. On finit par ne plus croire personne : on dit des choses et, dans la foulée, on prend des engagements, on signe des traités qui nous mènent à l’opposé de nos intentions.

Il existe un triptyque pour créer de la confiance. Il faut de l’exigence, c’est-à-dire mettre la barre très haut parce que la situation l’exige. Il faut de la cohérence, car, sans elle, les gens sont démobilisés. Et il faut de la pertinence, ce qui veut dire que certaines choses sont compatibles avec nos objectifs climatiques et que d’autres ne le sont pas.

Il y a des choses dans lesquelles il ne faut plus investir, des textes que l’on ne peut plus signer. On ne signe pas avec des gens qui bafouent l’accord de Paris, ou alors ce n’était pas la peine de se donner tant de mal pour le faire signer.

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N’a-t-on pas surestimé la portée de l’accord de Paris, fin 2015 ? Peut-on croire en l’action internationale avec les arrivées au pouvoir de Donald Trump ou de Jair Bolsonaro ?

J’étais le seul à ne pas me trémousser à la signature de cet accord. J’avais trop conscience qu’on allait se décharger sur ce texte, qui n’était malheureusement pas contraignant. On a confondu la signature d’objectifs avec leur réalisation. Au niveau international, il faut être sans concession et s’unir avec les progressistes, faire un front commun contre ces conservateurs criminels contre l’humanité.

Cela dit quoi des discours présidentiels, fermes à l’international sur le climat ?

Deux sincérités s’affrontent, qui ne sont pas compatibles. On est victimes de ce que certains économistes ont appelé la « tragédie des horizons », soit notre incapacité à combiner le court terme et le long terme. A un moment, il faut faire des choix, on ne peut pas courir deux lièvres à la fois.

Le libre-échange est à l’origine de toutes les problématiques écologiques. L’amplifier ne fait qu’aggraver la situation. Il faudra d’ailleurs comprendre un jour qu’une des premières obligations va être de relocaliser tout ou partie de nos économies.

Mais, avant que nos élites l’intègrent, je pense qu’on sera tous calcinés. Il est fini, le temps où j’arrondis les angles, terminé, j’en ai ras le bol. La mondialisation, les traités de libre-échange sont la cause de toute la crise que nous vivons. Si on ne s’attaque pas à cela, ça ne sert à rien. Ce n’est pas en installant trois éoliennes que l’on va y arriver.

Fallait-il signer le CETA, le traité commercial entre l’UE et le Canada ?

Tout cela va dans le mauvais sens. Le Canada est l’un des pires élèves du G20. Signer le CETA, c’était le conforter, alors que ne pas le signer c’était l’encourager à faire autrement.

Que faire, politiquement, en France ?

Ma réponse va paraître bizarre. Déjà, il faut changer d’état d’esprit, c’est-à-dire sortir politiquement de nos divisions. Il faut que les femmes et les hommes de gauche et du centre s’additionnent sur ces sujets-là.

L’équation est très complexe, mais elle ne peut pas s’accommoder de nos divisions permanentes. C’est comme en temps de guerre, on est en guerre contre nous-mêmes, et, à un moment ou à un autre, on met de côté nos petits préjugés. Si on se mettait d’accord sur des moyens et des objectifs, les citoyens suivraient comme un seul homme. En entretenant à foison des divisions artificielles, on ne met pas la société en situation de muter.

L’écologie est le prisme qui doit dicter toutes nos politiques publiques et notre diplomatie internationale. Tant que l’on n’a pas compris ça, on est dans les intentions, pas dans la réalisation.

Il faut appeler la classe politique à faire preuve de maturité, de responsabilité, et la première chose à faire, pour ce qui nous concerne, est d’investir massivement dans la transition écologique et, y compris, on le voit bien actuellement, dans l’adaptation au changement climatique.

Vous faites allusion à l’épisode caniculaire ?

Oui, on voit bien avec ce petit épisode que l’on est totalement pris de court dès lors qu’on dépasse le seuil des 40 °C ; on ne sait plus quoi faire. Or, ce que l’on vient de subir est un épiphénomène. Il faut savoir les conséquences immédiates que cela aura sur l’accès à l’eau, sur nos propres cultures. On ne réalise pas l’effet domino de ce qui s’abat sur nous.

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Il y a un moment où on doit sonner la mobilisation générale politique de toutes les intelligences. Cela ne peut se faire que dans un esprit de responsabilité, que j’appelle de tous mes vœux. Or on continue à s’affronter comme si on avait l’éternité devant nous.