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Controverse dans la communauté scientifique autour de la mystérieuse hépatite des enfants

par Christian Lehmann et Claude-Alexandre Gustave


Controverse dans la communauté scientifique autour de la mystérieuse hépatite des enfants

Controverse dans la communauté scientifique autour de la mystérieuse hépatite des enfants

 

publié le 30 avril 2022 à 18h30

 

Début avril, le Royaume-Uni a émis une alerte sanitaire auprès de l’OMS en signalant une incidence inhabituellement élevée d’hépatites infantiles d’étiologie inconnue, avec fièvre, jaunisse, selles décolorées et urines foncées. Outre la fréquence inhabituelle de cette pathologie dans des classes d’âges aussi jeunes (moins de 10 ans), ces hépatites présentent deux particularités : elles sont précédées d’un syndrome digestif associant nausées, vomissements, diarrhées, et surviennent chez des enfants sans comorbidité ni antécédents médicaux notables.

 

Comme l’explique le médecin biologiste Claude-Alexandre Gustave, cette alerte sanitaire donne lieu à des passes d’armes au sein de la communauté scientifique. Ceux qui ont constamment remis en cause le risque du Covid chez l’enfant en arguant que leur immunité collective se ferait au prix d’une infection forcément minime y voient la conséquence du port du masque et du confinement, qui auraient empêché les enfants de «faire leur immunité». Ceux qui au contraire s’alertaient de la circulation incontrôlée du virus parmi les enfants incriminent le rôle du Sars-Cov-2, qui aurait pu entraîner une immuno-dépression chez ces enfants sains et les rendre vulnérables à des adénovirus habituellement bénins. La controverse scientifique n’en est qu’à ses débuts, et la résolution de cette nouvelle énigme pourrait amener à jeter un regard sévère sur la manière dont la pandémie a été gérée dans certains pays.

 

Hypothèse infectieuse

Pour Claude-Alexandre Gustave, « l’ampleur du phénomène reste limitée pour le moment, mais la détection de ces cas risque de croître significativement dans les semaines à venir, suite aux alertes émises avec l’établissement de critères de diagnostic, d’un bilan biologique systématique et de procédures de signalement aux autorités sanitaires afin de centraliser les données et de faire avancer l’enquête épidémiologique».
Au 27 avril 2022, on recensait 188 cas, dont la quasi-totalité est localisée en Europe (111 au Royaume-Uni, 55 dans l’UE), ainsi qu’une dizaine de cas recensés aux USA, 12 en Israël et 1 au Japon. Des chiffres très probablement sous-estimés et amenés à croître dans les prochaines semaines. Sur ces 188 cas recensés, outres des hospitalisations fréquentes, 17 ont nécessité une transplantation hépatique (plus de 9%) et 1 enfant est décédé. Il s’agit donc d’hépatites sévères, survenant chez des enfants très jeunes (de moins de dix ans, voire de moins de cinq ans pour la plupart) sans comorbidité, sans lien épidémiologique entre les cas, et sans cause identifiée à ce stade.

 

De nombreuses hypothèses sont à l’étude. On peut d’ores et déjà exclure un lien avec la vaccination anti-Covid puisque la quasi-totalité des enfants atteints ne sont pas vaccinés (pour la plupart ils n’ont d’ailleurs même pas l’âge pour être éligibles à la vaccination). L’hypothèse infectieuse reste la piste principale, sans écarter des causes toxicologiques ou environnementales.

 

Débat animé et forte tension

Parmi les pistes infectieuses, deux suspects sont clairement privilégiés à ce stade, les adénovirus et le Sars-CoV-2. A partir des données européennes, sur 166 cas, on dénombre 50 enfants avec un test positif pour un adénovirus (30%), et 13 positifs pour Sars-CoV-2 (7,8%) au moment du diagnostic. Mais on ignore combien des 166 enfants ont été testés pour les adénovirus et pour le SARS-CoV-2. A titre d’exemple, en France, le ministère de la Santé maintient toujours sa recommandation de ne pas rechercher Sars-CoV-2 chez les enfants âgés de moins de 6 ans. En appliquant cette recommandation à ces hépatites, dont la majorité concerne des enfants de moins de cinq ans, on n’aurait trouvé aucun cas d’infection par Sars-CoV-2… tout simplement parce qu’on ne les recherchait pas.

 

Il y a donc un débat animé et une forte tension autour de ces données et de leur signification. Une des hypothèses, largement reprise dans divers médias, postule que la cause de ces hépatites serait un adénovirus particulier (adénovirus 41F), habituellement associé à des tableaux de gastro-entérites, et beaucoup plus rarement à des tableaux cliniques plus sévères, dont des hépatites, mais chez des patients sévèrement immunodéprimés, ce qui n’est pas le cas ici. Pour expliquer cette discordance, certains évoquent alors le rôle supposé des confinements et du port de masque qui auraient empêché les enfants de « faire leur immunité » et les rendraient vulnérables à des virus habituellement bénins. C’est ce que la Société française de pédiatrie, qui s’est longtemps illustrée par sa négation du rôle des enfants dans la circulation du Covid, évoque sous le terme de «dette immunitaire», un concept qui n’existe nulle part dans la littérature scientifique et se heurte aux données épidémiologiques.

 

En effet, au Royaume-Uni, pays qui rapporte le plus de cas (111 sur 188), les enquêtes épidémiologiques hebdomadaires montrent que les virus endémiques (incluant les adénovirus, rhinovirus, VRS…) ont circulé continuellement depuis 2020, mais aussi qu’ils sont à des niveaux comparables à ce qu’on observait en 2019 avant la pandémie. L’exposition des enfants à ces virus s’est donc poursuivie pendant les deux années de pandémie, ce qui rend caduque ce concept de «dette immunitaire».

 

Recensement dans les pays aux faibles mesures sanitaires

Autre argument qui s’oppose à l’effet supposé des confinements/port de masque… C’est la localisation de ces cas d’hépatites, très majoritairement concentrés sur l’Europe (notamment au Royaume-Uni), et aucun cas signalé dans les pays ayant appliqué des stratégies sanitaires strictes allant de la suppression virale comme en Corée du Sud, jusqu’à l’élimination virale comme en Nouvelle-Zélande, Australie, Taïwan… La quasi-totalité de ces cas d’hépatites infantiles est recensée dans des pays qui ont appliqué le moins de mesures sanitaires, et qui ont au contraire observé les plus forts taux de contaminations infantiles par Sars-CoV-2.
A l’inverse, l’incidence des infections par Sars-CoV-2 a littéralement explosé chez les enfants depuis l’arrivée d’omicron fin 2021, et coïncide avec la hausse d’incidence de ces hépatites (même si, rappelons-le, coïncidence ne vaut pas causalité). Les atteintes hépatiques par le Sars-CoV-2 ont déjà été largement décrites depuis 2020, y compris chez les enfants, notamment lors des syndromes auto-inflammatoires post-infectieux (Pims) qui surviennent quatre à six semaines après l’infection, alors que le virus a déjà été éliminé de l’organisme. L’Inde avait déjà vécu une flambée d’hépatites infantiles sévères en 2021, durant la vague delta qui avait massivement infecté les enfants.

 

Quant au syndrome digestif qui précède l’hépatite, il peut certes orienter vers l’adénovirus, mais également vers Sars-CoV-2, notamment depuis omicron qui induit un tableau digestif prépondérant chez les enfants.
Données virologiques parcellaires

 

A ce stade rien n’est confirmé ni infirmé. Les données virologiques sont parcellaires, et comme pour les Pims, l’absence de Sars-CoV-2 lors du test virologique n’exclut pas son implication puisqu’il peut induire des complications auto-immunes post-infectieuses plusieurs semaines après l’infection. En Israël, c’est d’ailleurs le seul dénominateur commun qui ait été identifié à ce stade chez les 12 cas recensés, avec une infection par Sars-CoV-2 dans les trois mois et demi précédents.

 

L’OMS n’exclue d’ailleurs pas un rôle combiné de Sars-CoV-2 et d’un adénovirus. Dans cette hypothèse, Sars-CoV-2 agirait en altérant le système immunitaire des enfants, les rendant alors plus vulnérables à des virus habituellement bénins en l’absence d’immuno-dépression sévère.

 

A ce stade, les recommandations sont de maintenir les mesures barrières chez les enfants, procéder à leur vaccination contre Sars-CoV-2 aussitôt qu’ils sont éligibles, et être vigilant face aux symptômes évoqués plus haut.

 

Pour les cas identifiés, l’European Center for Disease Prevention and Control recommande de les considérer comme contagieux et donc de les isoler du reste de la communauté, de procéder à une exploration biologique extensive et de les signaler aux autorités de santé publique (ARS, Santé publique France…) afin de faire progresser les enquêtes épidémiologiques vers l’identification formelle de leur étiologie.