Après les échecs de Chirac et de Sarkozy, c’est Macron qui s’y colle. Mais même si le président actuel parvient à mener à bien sa réforme des retraites, le résultat sera décevant, estime cet hebdomadaire libéral britannique.
Sisyphe avait la vie facile comparé à ceux qui veulent réformer les retraites en France. Ce héros de la mythologie grecque fut condamné pour l’éternité à faire rouler un rocher jusqu’au sommet d’une montagne et à le voir redescendre à chaque fois. Mais il n’a jamais eu à persuader les travailleurs français de prendre leur retraite plus tard. En 1995, le gouvernement de Jacques Chirac a mis au placard son projet de réforme des retraites après des semaines de manifestations et de grèves qui avaient paralysé Paris. Il a modifié un peu son projet en 2003 mais fait machine arrière face aux manifestations de plus de 1 million de personnes. Nicolas Sarkozy a réussi à progresser un peu sur le sujet en 2010 mais sans grandes avancées notables.
Et voilà qu’Emmanuel Macron décide lui aussi de s’attaquer prudemment au rocher. Son Premier ministre, Édouard Philippe, s’est entretenu avec tous les grands syndicats et organisations patronales.
Préoccupé par la colère des “gilets jaunes”, qui ont bloqué le pays l’année dernière, Macron se veut désormais à l’écoute. Accusé de gouverner de manière hautaine et arrogante, il ne veut pas avoir l’air d’imposer de nouvelles mesures à un public mal disposé. Pourtant, sa prudence laisse songeur sur le genre de réformes qu’il souhaite et les résultats attendus. Le “Monsieur Retraites” du gouvernement, Jean-Paul Delevoye, a clairement indiqué, dans son rapport publié cet été, que le nouveau système ne modifierait en rien le montant global que la France consacre aux retraites.
La réforme ne résoudra qu’une partie du problème
Étant donné l’étendue du problème, c’est très décevant. Les Français prennent leur retraite bien plus tard que les autres ressortissants de l’OCDE. Et leur espérance de vie fait qu’ils passent environ un quart de siècle dans leur fauteuil.
C’est une lourde pression sur les finances publiques, d’autant plus pesante que ce sont les travailleurs d’aujourd’hui qui payent les retraites de leurs aînés. En juin, le Conseil d’orientation des retraites tablait sur un déficit des retraites de 10 milliards d’euros, soit le double du chiffre de 2018. En gros, la France dépense près de 14 % de son PIB dans les retraites, un peu moins que son voisin italien très endetté mais plus que l’Allemagne (10 %) et bien plus que la moyenne des pays de l’OCDE.
La solution évidente serait d’augmenter l’âge de la retraite, comme l’ont fait de nombreux autres pays. En France, l’effort le plus récent en ce sens remonte à Sarkozy. En 2010, il a relevé l’âge minimum de 60 à 62 ans et l’âge de la retraite réglementaire (sans décote) de 65 à 67 ans. Cependant, grâce à la complexité folle du système français, de nombreuses personnes peuvent prendre leur retraite beaucoup plus tôt, de sorte que l’âge moyen de départ à la retraite chez les hommes reste de 60 ans. L’un des problèmes est que Macron a fait campagne en 2017 en promettant de ne pas toucher à l’âge de la retraite. Ce qui veut dire que ses réformes ne résoudront, au mieux, qu’une partie du problème.
“Un énorme chantier”
L’équipe de Macron soutient que sa refonte est tout aussi dure à mettre en œuvre que celle sur l’âge des départs en retraite. Elle sera également plus compliquée. La France compte 42 régimes de retraite différents, qui se sont développés au fil des années au service des agriculteurs, des fonctionnaires, des comédiens, des cheminots, des employés des mines, des notaires, et ainsi de suite, et notamment un régime public par défaut auquel tous ceux qui ne sont pas couverts doivent souscrire. Les règles régissant les droits à la retraite et les cotisations varient considérablement d’un régime à l’autre et ne sont pas faciles à traiter. Le système est opaque et freine la mobilité professionnelle, car ces privilèges sont difficiles à transférer. Pour mettre un peu d’ordre, Macron a promis de fusionner tous ces régimes en un système unique de régime par points, qui traite tous les travailleurs de la même manière.
“Ce que les Français essaient de faire, c’est un énorme chantier, dit Monika Queisser, de l’OCDE. La France a l’un des systèmes de retraite les plus complexes, et ils essaient enfin d’harmoniser les choses.” C’est dans ce but que Macron a fait entrer Delevoye au gouvernement. Ce dernier a déjà passé de nombreux mois à examiner le système français et à débattre des possibilités de réforme. Après toutes ces discussions, un projet de loi devrait aboutir, mais pas avant l’été prochain.
Des déceptions inévitables
Il est logique de prendre le temps de bien faire les choses. Dans les années 1990, souligne Hervé Boulhol, spécialiste des retraites à l’OCDE, la Suède a passé près de dix ans à mettre en place un système similaire. Le gouvernement français se veut prudent face à la grogne généralisée et tente de parvenir à un consensus.
Quoi qu’il en soit, l’harmonisation des règles entraînera inévitablement des déceptions.
Malgré les ambitions qu’elles affichent, les réformes ne seront pas suffisantes. Macron promet de combler le déficit des retraites d’ici à 2025, et l’idée est de mettre en place un mécanisme automatique qui ajustera les règles de cotisation en fonction de l’allongement de l’espérance de vie. Le président veut que les gens puissent choisir en toute connaissance de cause le moment où ils décideront de partir à la retraite et dans quelles conditions.
Un goût d’inachevé
Pourtant, le nouveau système universel ne fera rien pour réduire les dépenses en matière de retraites. En effet, Delevoye en a fait un argument phare, promettant en juillet que l’enveloppe consacrée au financement des retraites du système universel resterait la même.
La France risque de s’en mordre les doigts. Les débats ont fait rage au sein de la majorité pour savoir s’il était vraiment raisonnable de la part de Macron de gaspiller son capital politique pour un projet qui ne permettra pas d’économiser de l’argent. Il est vrai qu’une fois le système en place il sera plus facile, sur le plan administratif, à défaut de politique, pour les futurs gouvernements de modifier les modalités et de faire des économies. Mais en attendant, Macron déploie des efforts considérables pour une réforme qui laissera forcément un goût d’inachevé.