Patrick Artus – Les pays riches doivent-ils arrêter de courir après la croissance?
La croissance des émissions mondiales de CO2 est aujourd'hui largement supérieure à la trajectoire nécessaire pour parvenir aux objectifs climatiques internationaux, c'est-à-dire pour contenir la hausse de la température planétaire à 2 °C d'ici à la fin du siècle. L'un des scénarios pour y parvenir serait de stopper la croissance dans les pays de l'OCDE, tandis que les pays les plus pauvres continueraient à bénéficier d'une croissance forte.
Mais, à technologie inchangée, arrêter la croissance dans ces pays serait loin d'être suffisant pour respecter les objectifs de réduction des émissions mondiales de CO2. Leur croissance passerait de 1,9 à 1,3 % par an, les émissions des pays de l'OCDE ne représentant que 30 % des émissions totales.
Pour respecter l'accord de Paris, il faudrait que les émissions mondiales de CO2 diminuent aujourd'hui de 3 % par an. Or elles continuent d'augmenter rapidement, de 1,9 % en 2018. Quand on décompose le monde entre l'OCDE et le reste, on voit que les émissions de CO2, dans la période récente, sont stables dans l'OCDE et progressent de 3,3 % par an dans le reste du monde. L'OCDE représente 29 % des émissions mondiales de CO2.
Baisse insuffisante
On peut imaginer un scénario où, pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux, les pays de l'OCDE décident de stopper leur croissance, tandis que les pays émergents continuent à croître rapidement pour rattraper le niveau de vie des pays de l'OCDE. La croissance de l'OCDE est aujourd'hui voisine de 2 %, celle du monde hors OCDE de 4,5 %.
Quel serait l'effet sur les émissions mondiales de CO2 ? Celles de l'OCDE ont une élasticité de 1,13 vis-à-vis du PIB (si le PIB de l'OCDE progresse de 1 point de moins, les émissions de CO2 de l'OCDE progressent de 1,13 point de moins). Si la croissance du PIB de l'OCDE était nulle, les émissions de CO2 reculeraient de 2 % par an. Si les émissions de CO2 des pays émergents restent ce qu'elles sont aujourd'hui, il en résultera une baisse de 0,6 point par an des émissions mondiales de CO2, qui passeraient de 1,9 à 1,3 % par an.
Donc l'arrêt de la croissance dans les pays de l'OCDE serait loin d'être suffisant pour que les objectifs climatiques soient respectés. Ce qui précède montre que, si la croissance des pays de l'OCDE s'arrêtait, la croissance des émissions mondiales de CO2 serait réduite de 0,6 point par an. Or il faudrait la réduire de 5 points par an : l'arrêt de la croissance dans les pays de l'OCDE n'apporterait que 11 % de l'effort à faire pour réduire les émissions de CO2.
Cela montre la complexité du problème : sans un changement technologie massif, il faudrait une forte baisse de la croissance des pays pauvres pour respecter les objectifs climatiques internationaux.