JustPaste.it
lepoint.fr par Marc Vignaud

 

Réforme des retraites – Éric Woerth : « La créature a échappé à ses créateurs »

 

L'ancien ministre de Nicolas Sarkozy, qui avait repoussé l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans, fustige le projet de loi instaurant un régime universel de retraite. Aujourd'hui à la tête de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, l'élu Les Républicains de l'Oise propose de repousser l'âge légal de départ à 65 ans, mais prend quelque peu ses distances avec les propositions de réforme présentées par son parti début janvier.

Le Point : Après le retrait de l'âge pivot comme mesure pour équilibrer les comptes des retraites entre 2022 et 2027, diriez-vous, comme Gérard Larcher, le président LR du Sénat, qu'il n'y a plus de réforme ?

Éric Woerth : La réforme n'est plus financée et une réforme non financée n'est pas une réforme ! Il reste la transformation du système actuel en système à points, etc., évidemment. Mais ce n'est plus une réforme responsable.

Le Premier ministre, Édouard Philippe, assure que l'équilibre financier sera atteint. Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à s'entendre, il « prendra ses responsabilités ». Vous en doutez ?

Il a mis la charrue avant les bœufs. Depuis le début, la méthode suivie par le gouvernement est surnaturelle. Il a ignoré l'avis de toutes les autres formations politiques qui auraient dû être consultées. Il s'est interdit de parler d'un relèvement de l'âge de départ pendant quasiment un an et demi avant de l'évoquer soudainement… Puis il a renoncé à intégrer des mesures de financement tout de suite. L'universalité de son système est tellement large qu'elle en devient ingérable. Au-delà de l'abandon de l'âge pivot, je constate aussi que les phases de transition inévitables deviennent surtout interminables, jusqu'à un demi-siècle !

Bref, « la créature » a échappé à ses créateurs. Contrairement à d'autres, je ne crois absolument pas au cynisme du gouvernement qui aurait agité le hochet de l'âge pivot pour le retirer ensuite, afin de faire passer tout le reste de la réforme. Ni à la version selon laquelle il aurait piégé les partenaires sociaux en faisant semblant de le retirer pour le remettre ensuite. C'est au contraire un gouvernement qui s'est pris les pieds dans le tapis et n'a pas réfléchi aux difficultés d'une telle réforme. Il est parti la fleur au fusil, il essaie désespérément de sauver les meubles.

Lire aussi Réforme des retraites : les dessous d'un deal

Édouard Philippe promet tout de même que l'équilibre financier sera tenu en 2027…

Le Premier ministre a posé tellement de conditions à la « conférence de financement » proposée par le secrétaire général de la CFDT que c'est presque devenu une mission impossible. Comme tous les gouvernements qui ont voulu réformer les retraites, ils ont prévu des mesures qui renforcent la justice sociale qui vont coûter de l'argent comme la retraite minimale à 1 000 euros. Aux prévisions de déficit du Conseil d'orientation des retraites, il faut donc ajouter les dépenses supplémentaires de la réforme ! En même temps, Édouard Philippe dit qu'il ne faut pas augmenter le coût du travail, ni baisser le pouvoir d'achat des salariés, ni baisser les pensions. Comment est-ce possible ? On nous parle d'un « cocktail de mesures ». Ça me paraît être un cocktail explosif ! On va y mettre un peu tout à la fois, on va puiser à nouveau dans le fonds de réserve des retraites qui n'est pourtant pas fait pour pallier l'absence de décisions en bouchant les trous qu'on n'ose pas combler.

À quoi sert-il alors ?

Le fonds de réserve ne devrait être utilisé que pour dépasser une bosse démographique temporaire et uniquement si l'on a actionné le levier de l'âge de départ auparavant. Pas pour pallier le manque de courage. Le fonds de réserve pourrait plus utilement être utilisé pour amorcer un régime public complémentaire de capitalisation qui s'adresserait à tous les Français. Quant à la CRDS (contribution au remboursement à la dette sociale), on pourrait se poser la question de la suppression de cet impôt après le remboursement de la dette sociale ou l'utiliser pour financer la dépendance. Je rappelle d'ailleurs que son utilisation après l'extinction de la dette sociale aurait des conséquences budgétaires : cela aggraverait le déficit au sens des règles européennes. Je vois qu'on parle aussi d'augmenter la contribution de solidarité des personnes au-dessus de 120 000 euros de revenus par an, mais c'est comme si on augmentait leur impôt sur le revenu, c'est une taxe ! On assiste en fait au concours Lépine des mauvaises idées. Il n'y a rien de magique à attendre de cette conférence s'il n'y a pas de recul de l'âge de départ.

Les syndicats réformistes comme l'Unsa et la CFDT le reconnaissent, non ?

D'accord, mais ce recul ne doit pas être purement cosmétique. L'âge pivot était déjà une version moins efficace que celle du report de l'âge légal ! Quant à une décote provisoire, qui ne s'appliquerait que jusqu'à 64 ans et non sur toute la durée de la retraite, ça ne rapporte rien financièrement. Il est très préoccupant que le gouvernement décide de présenter à l'Assemblée nationale un projet de loi incomplet, composé pour un tiers d'ordonnances et qui ne comprend pas les mesures de financement de sa réforme alors que c'est indissociable. Comment peut-on présenter une réforme de l'organisation en oubliant son financement ? Cette acrobatie est le signe d'une incroyable précipitation ! Je pense que le gouvernement doit présenter un texte complet à l'Assemblée nationale le plus rapidement possible. Même si ce n'est pas un sujet de retraites à proprement parler, l'augmentation du salaire des enseignants, induite par le projet, va coûter cher ! Il faut que le gouvernement dise combien cela va coûter exactement.

Êtes-vous de ceux qui disent que trop de concessions ont été accordées à de nombreuses professions ?

J'ai dit au Premier ministre à l'Assemblée qu'on était passé d'un régime universel à un régime catégoriel : chaque profession qui va toquer à la porte de Matignon pour expliquer qu'elle est différente des autres obtient généralement des conditions dérogatoires !

Lire aussi Michel Richard – Retraites, un régime universel très particulier

Le gouvernement répond que toutes les professions, sans exception, seront intégrées dans le régime universel et auront le même calcul de leurs droits à retraite. Il a aussi toujours dit que régime universel ne veut pas dire « régime unique »…

Si l'âge est différent ou le taux de cotisation est différent, on est bien dans des régimes catégoriels et pas dans un régime universel. Le gouvernement aurait dû limiter son régime universel à un demi-plafond de sécurité sociale (20 000 euros de revenu par an) ou à un plafond (40 000 euros) puis créer des étages de retraite complémentaire prenant en compte la diversité des professions. Je constate par ailleurs que la définition de la pénibilité s'élargit dangereusement…

Lire aussi Réforme des retraites : comment la pénibilité va être traitée

C'est la contrepartie de la suppression des catégories dites « actives » de la fonction publique qui bénéficient de départs anticipés à 52 à 57 ans, sauf pour les missions régaliennes (soldats, policiers, etc.).

Les catégories actives, c'est essentiellement ça, les missions régaliennes comme les policiers, etc. !

Il y a aussi les infirmières des hôpitaux publics, les aides-soignants…

Il finira par y avoir un régime particulier pour le personnel hospitalier au sens large. Au fond, l'universalité est impossible ! Elle est très injuste, car elle revient à traiter de la même manière des gens qui n'ont pas les mêmes contraintes. Si vous faites un régime universel mité par tout un tas d'exceptions, il n'est plus universel ou n'est plus perçu comme tel. Sur le sujet emblématique des conducteurs de train de la RATP et la SNCF, par exemple, qui peut dire aujourd'hui à partir de quand ils partiront à la retraite à 62 ans et non plus à 52 ans ? J'ai posé la question au Premier ministre, il n'a pas été capable de me répondre clairement.

Les Républicains ont récemment dévoilé leurs propositions pour réformer les retraites. Ils proposent de décaler l'âge légal de départ…

La proposition des Républicains est de décaler l'âge de départ à 65 ans en une douzaine d'années à raison d'un trimestre par an. Évidemment, la pente exacte peut se discuter, mais c'est la seule façon de financer plus de différenciations et plus de reconnaissance de pénibilité et d'augmenter le minimum de pension.

Comme le gouvernement, vous défendez une hausse du minimum de pension à 1 000 euros par mois…

Oui, nous proposons également de revaloriser les 1 000 premiers euros de retraite non plus sur l'inflation, mais sur l'évolution des salaires, sauf si l'inflation est plus élevée. Pourquoi ? Parce que les retraités, à leur manière, contribuent à la création de richesses dans notre pays. Il faut partager avec eux les fruits de la croissance. Mais cela nécessite évidemment un financement solide par une mesure d'âge.

Votre parti va jusqu'à proposer de prendre en compte la pénibilité en offrant des années de cotisation à tous ceux qui exercent un métier pénible ! Le livreur de pizza après 20 heures, comme le maçon !

On ne peut pas définir la pénibilité par métier. Moi, je ne proposerai jamais de nouveaux régimes spéciaux. La pénibilité doit être extrêmement encadrée sinon, c'est la moitié des Français qui sera concernée et ce sera terriblement injuste pour les autres.

Vous êtes donc mal à l'aise avec la proposition des Républicains… Elle revient à recréer de nouveaux régimes spéciaux.

Ce n'est pas l'objectif, la pénibilité doit se constater à partir d'éléments tangibles comme un taux d'incapacité. La pénibilité doit être mesurée à partir de facteurs d'exposition et des conséquences concrètes qu'ils ont eues sur chaque personne. Vous pouvez avoir été exposé à des facteurs de pénibilité sans que votre corps réagisse ! Cela dépend de chaque personne. Par ailleurs, je redis que la première des justices, c'est la durabilité du financement des retraites. De ce point de vue, je suis d'accord avec la règle d'or proposée qui prévoit l'équilibre sur un cycle de 5 ans. Le problème des règles, c'est qu'elles doivent pouvoir être appliquées. Enfin, que les marchés financiers financent le déficit des retraites, voilà le vrai scandale et pas le pseudo-scandale sur l'intervention supposée de BlackRock.