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courrierinternational.com par Cole Stangler

 

Macron sabote l’État-providence français

 

La réforme des retraites imaginée par le président porterait un coup très dur à l’un des meilleurs systèmes de retraite du monde, déplore ce journaliste britannique.

Emmanuel Macron a lancé un projet de réforme qui constituerait la plus profonde refonte du système de retraites français depuis sa création, dans l’après-guerre. Le gouvernement a défendu ses ambitions dans un langage jacobin, s’engageant à mettre en œuvre un “système universel”, où tout le monde serait traité de façon égalitaire. En oubliant de préciser que ce serait au prix d’une dégradation de la qualité des prestations.

Certes, il est probable que les réformes de Macron permettront de faire des économies. Avec le système actuel, les pouvoirs publics sont confrontés à un déficit du régime de retraite qui devrait atteindre entre 8 et 17 milliards d’euros d’ici à 2025. Mais ces mesures porteraient un coup très dur à l’un des meilleurs systèmes de retraite du monde. En France, seulement 7 % des personnes âgées sont menacées de pauvreté. C’est le taux le plus faible de toute l’Union européenne, bien en dessous des 19 % du Royaume-Uni et de l’Allemagne. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles l’espérance de vie en France est légèrement plus élevée que dans ces deux derniers pays. Un tel système doit être préservé et développé, non pas écorné.

Des sacrifices demandés au Français moyen

Ce n’est pas la première fois que Macron tente de rogner sur l’État-providence. Depuis son investiture en 2017, le président a également réduit les allocations de chômage et simplifié la procédure de licenciement pour les entreprises, tout en comprimant les coûts des services publics.

Parallèlement, il a remplacé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui s’appliquait à tous les contribuables détenant un patrimoine supérieur à 1,3 million d’euros, par un impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui frappe les biens immobiliers dépassant ce seuil. Comme les “gilets jaunes” l’ont exprimé avec force, le Français moyen est de plus en plus obligé de faire des sacrifices, tandis que les nantis reçoivent des cadeaux du gouvernement.

S’il y a un fil conducteur des réformes de Macron, c’est cette idée que la France doit devenir plus attrayante pour les entreprises. Cela a toujours été l’obsession du principal syndicat patronal de France, le Mouvement des entreprises de France (Medef). Tout a commencé dans les années 1980, quand les voisins de la France ont adopté des réformes favorables aux entreprises à un rythme bien plus soutenu. Regrettant de n’avoir jamais eu un Reagan ou une Thatcher, les élites patronales françaises ont désormais le sentiment que leur pays est économiquement à la traîne, qu’il y a trop de paperasse, que le droit du travail privilégie les salariés, que les dépenses de l’État laissent le secteur privé sur la touche. Le système de retraite est emblématique de ces frustrations : là où les retraités voient des prestations bien méritées, les patrons et les réformateurs voient un dinosaure coûteux, alimenté par les charges sociales.

Une réussite incomparable qui doit être préservée

On a du mal à avoir de la sympathie pour ces geignards. Car enfin, la France est encore la sixième économie de la planète, et les riches n’ont aucun mal à y gagner de l’argent. L’Hexagone compte plus de 40 milliardaires ; l’année dernière, les sociétés françaises ont distribué plus de dividendes à leurs actionnaires que celles de n’importe quel autre pays de l’Europe continentale.

Plus important encore, la France peut s’enorgueillir de posséder l’un des meilleurs États-providence du monde. C’est la principale raison pour laquelle le pays affiche un taux de pauvreté plus faible que ses partenaires américain, britannique et allemand, souvent idéalisés. Ce filet de sécurité a aussi permis d’amortir le choc de la dernière crise économique. Une leçon que le gouvernement Macron ferait bien de retenir, à l’heure où l’économie mondiale connaît un ralentissement.

Les manifestants français sont tournés en dérision. Accusés d’irréalisme, ils se voient reprocher de défendre un modèle dépassé. En fait, ce qui est vraiment dépassé en 2019, c’est cette volonté de Macron de tailler dans un système social efficace, très apprécié des Français. Il suffit de voir dans quel état sont les pays vers lesquels les entreprises françaises lorgnent si amoureusement. Sur le papier, le Royaume-Uni et les États-Unis sont peut-être plus compétitifs que la France, mais à quel prix ? Peut-on vraiment dire que les réformes néolibérales en ont fait des pays où l’on vit mieux ?

L’État-providence de la France est une réussite incomparable qui doit être préservée, et non pas vidée de sa substance à des fins d’économies.