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Revitalisation des centres-villes : ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas

Les Echos FRANCK GINTRAND / Délégué de l'Institut des territoires, auteur de "Le jour où les zones commerciales auront dévoré nos villes" Le 22/01/2019

 

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LE CERCLE/POINT DE VUE - Pour Franck Gintrand, conseil auprès des collectivités locales, les communes ont les moyens de lutter contre la dévitalisation des centres-villes.

Dans le cadre du programme national «Action coeur de ville», 222 communes françaises bénéficieront d'un plan 5 milliards mobilisé sur cinq ans pour redynamiser leurs centres-villes.

En matière de revitalisation des centres-villes, on commence en effet à disposer du recul nécessaire pour effectuer un premier tri entre les actions qui se révèlent efficaces et celles qui, en revanche, sont particulièrement coûteuses à mettre en oeuvre ou malheureusement inefficaces. Quitte à investir de l’argent public, autant ne pas se tromper et s’engager en connaissance de cause.

Ce qui marche

Deux mesures donnent des résultats probants avec des coûts relativement faibles pour les communes. Il s'agit du recours aux outils juridiques d’aménagement urbain et de la création d’un poste de manager du centre-ville.

Avec le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) et le Document d’aménagement artisanal et commercial (Daac), les élus peuvent d’abord encadrer l’implantation des équipements commerciaux sur leur territoire en réglementant les modalités d’installation et d’extension des grands équipements commerciaux en périphérie.

 

Depuis plusieurs années, l'agglomération caennaise tient tête au géant suédois Ikea désireux d’ouvrir un centre commercial à Fleury-sur-Orne (Calvados), à côté de son actuel magasin de meubles. Grâce au SCOT et au Daac établis en 2011, le projet de construction de l'Ikea Centres de 30.000 mètres carrés en périphérie de Caen est pour l’instant suspendu.

 

Autre solution développée par les villes, le recours aux managers de centres-villes. Ces spécialistes des centres-villes permettent de fédérer les différents acteurs (commerçants, fédérations, associations, CCI) et de mettre en oeuvre des stratégies communes pour animer les coeurs de ville, maintenir et développer l’offre commerciale. À Mulhouse (Haut-Rhin), le «manager du commerce» a ainsi été un acteur majeur de la stratégie de montée en gamme et de diversification décidée par le maire avec, à la clé, une baisse significative du taux de vacance commerciale en quelques années.

Ce qui peut marcher 

D’autres mesures mises en place par les élus : la taxe sur les friches commerciales, le droit de préemption et le stationnement gratuit. Ces dispositions se révèlent efficaces pour peu que l’environnement soit adapté et les moyens budgétaires suffisants.

La taxe sur les friches commerciales, utilisée dans près d’un millier de villes françaises, vise à inciter les propriétaires à louer leurs commerces en les taxant lorsque ceux-ci sont vides. À Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor), si la taxe n’a rapporté que 9.500 euros à la ville pour l’année 2016, elle a permis de remettre des locaux sur le marché.

Mais l’utilisation de ce dispositif dans des villes, où le taux de vacance est déjà très élevé, peut également s’avérer contre-productive en faisant fuir les potentiels investisseurs ou en accentuant les difficultés des propriétaires, alors que ceux-ci ont déjà des difficultés pour trouver des locataires...

Le droit de préemption permet aux collectivités d’acheter en priorité un commerce lorsque celui-ci est vendu ou loué. Il offre à la ville la possibilité de diversifier l’offre commerciale et de favoriser les commerces de proximité en évitant par exemple l’implantation d’une énième banque. Mais, là encore, dans les villes où les commerces ont déjà du mal à trouver des repreneurs, l’investissement peut se révéler être une très mauvaise affaire pour les finances publiques.

À Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), la Ville a préempté en 2018 le fonds de commerce d’une ancienne boucherie en centre-ville pour un montant de 170.000 euros. Faute de repreneur, la commune a dû baisser le prix et finalement rétrocéder le bail en octobre pour 65.000 euros, soit près de 100.000 euros perdus pour la ville.

Autre dispositif intéressant, mais qui peut s’avérer également coûteux, la mise en place du stationnement gratuit certains jours de la semaine. Utilisée principalement le samedi, cette mesure permet d’inciter les automobilistes à venir consommer dans le centre-ville.

À Nîmes (Gard), où le stationnement est offert en surface et dans les parkings souterrains de la ville pendant deux heures les samedis après-midi, les commerçants estiment une hausse de + 20 à 30 % d’achats depuis la mise en place de la mesure. Cela dit, le coût pour la collectivité peut être conséquent. Ainsi, à Nîmes, toutes les mesures prises pour favoriser le stationnement en 2018 ont représenté plus de 1,3 million d’euros.

Ce qui ne marche pas vraiment 

Certaines mesures qui paraissent séduisantes a priori s’avèrent finalement très décevantes, soit parce qu’elles nécessitent un consensus intercommunal, comme le moratoire, soit parce qu’elles ne répondent pas réellement aux besoins des utilisateurs, comme les plateformes digitales.

Très prisée en raison de son coût relativement modique, la mise en place de plates-formes numériques sur lesquelles les commerçants peuvent proposer en ligne leurs produits. Un outil a priori séduisant, mais au final très décevant. Les retours d’expérience montrent que ces plates-formes ont du mal à décoller et trouver leur clientèle. Quelques années après leur implémentation, très peu de transactions y sont enregistrées et le nombre de commerçants adhérents reste faible.

Ainsi, à Valenciennes (Nord), la plate-forme du grand Hainaut lancée depuis un an ne compte par exemple que 90 adhérents et les achats, selon les retours émis par les commerçants sont très peu nombreux.

L’instauration d’un moratoire sur l’implantation de grandes surfaces et la création de zones commerciales peut être une arme redoutable pour limiter leur prolifération en périphérie. Mais cette mesure est dans les faits particulièrement difficile à mettre en place puisqu’il faut que l’ensemble des communes d’un territoire donné se mettent d’accord.

Or il peut s’avérer rapidement intenable pour une ville centre d’instaurer un moratoire sur les grandes surfaces si les communes proches en profitent pour les accueillir. Autre limite, la mesure peut prendre fin lors d’un changement de mandature si le nouvel entrant décide de ne pas suivre la politique de son prédécesseur.

Ce dispositif est d’ailleurs encore très peu utilisé en France où seules quelques villes comme Bourges (Cher), Avignon (Vaucluse) ou encore Montélimar (Drôme) ont décidé d’afficher courageusement cette mesure. Cela ne condamne pas le principe même du moratoire, mais cela incline à envisager son éventualité à une échelle suffisamment grande.

La volonté des élus de refuser l'extension infinie du commerce de périphérie est dans tous les cas indispensable. On ne peut pas autoriser la création ou l'extension de zones commerciales en périphérie sans compromettre gravement l’efficacité des actions de redynamisation du centre-ville. Le maire de Nîmes l'a bien compris en refusant l'extension du centre-commercial Cap Costières en périphérie de sa ville afin de ne pas remettre en cause les mesures prises en faveur du centre-ville. Une action courageuse qui rappelle que, si la volonté politique est au rendez-vous, la cohérence des actions reste l’ultime gage d’efficacité.

Franck Gintrand, conseil auprès des collectivités locales, est l'auteur de l'essai « Le jour où les zones commerciales auront dévoré nos villes »(Thierry Souccar éditions, 2018).

Plus:

  1. Tout sur la revitalisation des centres villes.
  2. Centres-villes : la revitalisation commerciale à l’épreuve des faits
  3. Rapport revitalisation commerciale des centres villes: rapport du gouvernement