Comme une trainée de poudre. A Lyon, Nancy, Nice ou Chalon-sur-Saône, des associations de contribuables ont saisi la justice pour contester le montant de la taxe sur les poubelles, sur l’enlèvement des ordures ménagères. Pour des montants considérables: à Nancy, le 23 décembre, le tribunal administratif a condamné la métropole à rembourser les 29 millions encaissés auprès de 140.000 contribuables, suite à une plainte de l’association locale UFC-Que Choisir. L’explication: l’énorme écart de plus de 40% entre le produit de la taxe et les dépenses réelles de ramassage des ordures.
Sanction encore plus lourde à la métropole de Lyon, où le tribunal administratif a donné raison à l’association de contribuables Canol (Contribuables actifs du lyonnais), le 26 octobre dernier, annulant cette taxe pour les années 2016 à 2018, soit la bagatelle de 387 millions d’euros. Dans ces deux affaires, le fisc, qui collecte cette taxe, a fait appel. "On s’est rendu compte que la collectivité dégageait une importante marge sur cette taxe. On a demandé des explications mais ils n’ont jamais voulu répondre, ce qui nous a poussé à aller en justice", explique Michel Vergnaud, vice-président de la Canol, qui mène une véritable guérilla judicaire depuis dix ans. "A Nancy, la Cour des Comptes a montré que l’excédent entre le produit de la taxe et les charges atteignait 40%, ajoute Jacques Fleury, le président d’UFC-Que Choisir pour le Grand Nancy. Et le tribunal a confirmé ce diagnostic: cette pratique budgétaire est illégale".
L’argent des poubelles pour boucler le budget
Ces contestations ont touché récemment l’Ile-de-France. A Clamart, dans les Hauts-de-Seine, un conseiller territorial LREM, a saisi le préfet, à la mi-janvier, pour un prélèvement jugé abusif de l’intercommunalité Vallée Sud, qui regroupe 11 communes, estimant le dépassement à 32 millions d’euros sur quatre ans. "Le prélèvement de cet impôt doit être réajusté et aligné sur les dépenses réelles. Les ménages durement éprouvés dans le contexte économique actuel ne comprendraient pas la surtaxation sollicitée", déplore Stéphane Astic, conseiller territorial. L’affaire a tourné au psychodrame. Des associations citoyennes l’ont soutenu, en dénonçant, comme celle de Clamart, "l’argent des poubelles pour boucler le budget" de la communauté de communes. De son côté, le président de Vallée Sud, Jean-Denis Berger (Libres! ex LR) a fustigé, dans un communiqué, "la démagogie de ceux qui n’ont jamais géré ou de ceux qui ont mal géré et augmenté les impôts", affirmant que "cela ne les autorise pas à dire n’importe quoi". Le préfet a demandé des explications au président de Vallée Sud qui, du coup, a réussi à raccorder certaines dépenses à l’enlèvement des ordures ménagères afin de réduire l'excédent de recettes. Un tour de passe passe dénoncé par ses opposants. Jeudi 18 mars, le conseil territorial de cette intercommunalité promet d’être houleux sur le sujet.
Une situation plus dangereuse pour les collectivités
Alors d’où vient cette guerre de la taxe sur les poubelles? Des règles qui régissent cet impôt local très particulier: comme le rappelle le Conseil d’Etat, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères n’a pas "le caractère d’un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires". Son objet est "exclusivement" de couvrir les dépenses liées aux ordures ménagères. Une jurisprudence dite Auchan, datant de 2014, après les multiples recours du groupe de distribution sur le montant jugé excessif de cette taxe poubelle. Aujourd’hui, un dépassement allant jusqu’à 10% des dépenses est toléré par la justice. Mais lorsqu’il atteint 30 ou 40%, comme à Lyon ou à Nancy, les magistrats frappent fort, considérant la taxe come illégale.
Depuis 2019, la situation est devenue plus dangereuse pour les collectivités locales. Pour les responsabiliser, le Parlement a, en effet, décidé que si la taxe était annulée par la justice, c’est la collectivité et non plus le fisc, collecteur de cet impôt, qui rembourserait les contribuables. "Il s’agit donc d’être particulièrement vigilant au sujet des dépenses à prendre en compte de manière à juger précisément du caractère excédentaire de la taxe", alerte la Banque des Territoires dans une note destinée aux collectivités locales.
Face à la pression, des élus réduisent cette taxe
Vu le nombre de procédures en cours, ce changement législatif a semble-t-il été dissuasif, d’autant que les contribuables peuvent lancer une action collective, dite en "reconnaissance de droits", pour obtenir le remboursement des taxes indûment prélevées. Conséquence: certaines collectivités ont été incitées à faire preuve de sagesse fiscale, comme à Nancy où cette taxe maudite a été réduite de 10% en 2021. Mais les associations n’en restent pas moins déterminées à aller jusqu’au bout des procédures afin d’obtenir le remboursement des prélèvements jugés illégaux. A Nancy, les directives sont déjà données aux contribuables (lettre recommandée à adresser à la direction des finances publiques, copie du jugement…) pour demander le remboursement lorsque le jugement sera définitif. A titre individuel, certains contribuables, notamment à Nice, ont déjà obtenu le remboursement. "Il y a surtout des actions individuelles d’entreprises qui arrivent à se faire rembourser des taxes pour des montants importants, jusqu'à 40.000 euros", souligne Julie Matricon, l’avocate des associations de Lyon et de Nancy. Par exemple, la société Leroy Merlin a obtenu un remboursement de 20.002 euros par le tribunal administratif de Lyon, en décembre 2017. Mais l’objectif de l’avocate est bien d’obtenir un remboursement général, pour les centaines de milliers de contribuables concernés. La guerre de la "taxe poubelle" est loin d’être terminée.