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Emmanuelle Wargon : « Il ne sert à rien d'être dans une écologie de principes »

Passoires énergétiques, politique de l'eau, proximité avec les citoyens... La secrétaire d'État à la Transition écologique est l'invitée du « Point ».PROPOS RECUEILLIS PAR ERWAN BRUCKERT

À côté de François de Rugy, Élisabeth Borne et Brune Poirson, elle est sans doute la moins médiatisée des membres du gouvernement qui composent le ministère de la Transition écologique et solidaire. Les Français ont véritablement découvert Emmanuelle Wargon il y a quelques mois, lorsqu'elle co-animait, avec Sébastien Lecornu, le grand débat national. La camarade de promotion d'Édouard Philippe à l'ENA, ex-conseillère de Bernard Kouchner à la Santé, directrice de cabinet de Martin Hirsch aux Solidarités actives, et lobbyiste chez Danone, détaille au Point sa conception de l'écologie : concrète, progressive et proche des citoyens, sans minimiser les erreurs de gouvernance de la première partie du quinquennat. La secrétaire d'État, nommée en octobre 2018, explique également le périmètre de la loi énergie-climat et trace les perspectives de l'exécutif en matière de politique de l'eau, quelques jours avant la fin du deuxième volet des Assises de l'eau. Et annonce qu'elle ne quittera pas le gouvernement pour être tête de liste aux municipales.

Le Point : La loi énergie-climat a été examinée cette semaine à l'Assemblée nationale. Quelles sont les grandes mesures que le gouvernement propose  ?

Emmanuelle Wargon : Cette loi cale toute notre stratégie pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050, alors que la loi précédente se donnait comme objectif la division par quatre des émissions de gaz à effet de serre. Cela nous donne donc une trajectoire plus ambitieuse et cohérente avec l'accord de Paris. Nous prévoyons ainsi la réduction des énergies fossiles de 40 % d'ici à 2030, au lieu de 30 % auparavant. Comme nous sommes réalistes, nous avons repoussé l'horizon pour arriver à 50 % d'énergie nucléaire dans le mix électrique à 2035. Plusieurs autres avancées sont prévues, comme un article qui sécurise la fermeture des centrales à charbon d'ici à 2022. Nous avons prévu des évolutions de la formule de calcul des tarifs de l'électricité, c'est important puisque la formule actuelle est obsolète et entraîne des hausses de prix trop élevées pour les consommateurs. Enfin, cette loi permettra de prendre des mesures progressives en matière de rénovation des logements : nous allons d'abord continuer à améliorer et à simplifier les aides et les incitations à engager des travaux. D'ici à 2023, nous basculerons vers un régime d'identification plus claire des passoires thermiques, avant de basculer sur une obligation de travaux à l'horizon 2028.

De nombreux députés, notamment certains au sein de votre majorité, réclamaient une interdiction des locations de « passoires énergétiques » à l'horizon 2025. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas retenu cette proposition  ?

Il y a plusieurs manières d'agir pour inciter à la rénovation des passoires thermiques et différentes voies d'action étaient proposées : incitations financières, interdiction de location, consignation du montant des travaux au moment des transactions… Il y a eu pas mal de tâtonnements. Après échanges et réflexions, nous avons finalement décidé de retenir une logique d'obligation de travaux sur ces logements mal isolés pour atteindre une performance énergétique minimale. C'est un bon point d'équilibre, car il permet de responsabiliser tous les propriétaires, sans tomber dans des mesures punitives comme l'interdiction de location des passoires.

Concernant ces « passoires énergétiques », vous avez déclaré il y a peu que ça n'allait pas assez vite. Que faut-il améliorer  ?

J'assume complètement de dire qu'on n'en fait pas assez et qu'il faut passer à la vitesse supérieure. Nous nous sommes engagés à faire à peu près 500 000 rénovations par an, et donc cela ne concerne pas uniquement les logements les plus dégradés. Le Haut Conseil pour le climat nous rappelle qu'on a pris un peu de retard collectivement sur les trajectoires fixées, donc il faut qu'on accélère  ! 500 000 logements rénovés chaque année, c'est le minimum que l'on devrait faire  ! Avant de parler de contraintes, il faut d'abord simplifier les aides et nous allons le faire. Aujourd'hui, il existe un crédit d'impôt pour la transition écologique et des aides de l'Agence nationale pour l'habitat pour les ménages les plus modestes, mais ce ne sont pas les mêmes barèmes et le crédit d'impôt est versé un an plus tard. Nous avons pris la décision de fusionner les deux dès l'année prochaine pour que les ménages modestes touchent en une fois une prime unique avec un barème simple dès qu'ils engagent des travaux.

Enfin, il faut simplifier les choses dans les copropriétés. Bien souvent, des copropriétaires ou des locataires souhaitent que des travaux soient engagés, mais il faut d'abord l'accord de l'assemblée générale de copropriété qui est parfois compliqué à obtenir. Donc il faut simplifier le droit des copropriétés, mobiliser les syndics, adapter les aides, pour que les travaux se déclenchent plus massivement. Bref, dans les semaines qui viennent, nous devons améliorer le système dans toutes ces dimensions pour qu'il soit plus opérationnel et surtout plus efficace.

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Vous avez notamment en charge la politique de l'eau. Le deuxième volet des Assises de l'eau se clôturera lundi. Qu'en retenir  ?

Les Assises de l'eau, c'est un travail au long cours. La première séquence, qui portait sur les réseaux d'eau potable et l'assainissement, avait été lancée début 2018 et clôturée par le Premier ministre en août 2018. Cette seconde séquence, que j'ai pilotée, porte sur un champ plus vaste, sur ce qui s'appelle le « Grand cycle de l'eau » : la protection de la ressource en eau, le partage de l'eau, le rôle de l'eau dans la lutte contre le réchauffement climatique. En ressortent deux enjeux majeurs. Le premier : pour mieux gérer nos ressources en eau, il faut associer toutes les parties prenantes qui sont extrêmement nombreuses. Travailler sur les réseaux d'eau et d'assainissement, pour faire simple, c'est un travail de spécialistes entre les entreprises du secteur et les communes, cette fois-ci nous rassemblons les associations environnementales, les usagers, évidemment les collectivités locales et les agriculteurs qui sont très concernés par la problématique. Le second enjeu est de sortir de cette concertation qui a duré sept mois avec des mesures concrètes et opérationnelles. Le risque dans ce ministère est de faire des plans, de rester à un niveau de généralités très élevé, et finalement, de faire des vœux pieux en n'étant pas complètement dans l'action. Il y a toujours une petite tension à ce sujet, car, bien sûr, il y a le besoin de donner une vision, de tracer un cap, et les associations le réclament ; mais mon objectif est d'obtenir des avancées concrètes !

Que comptez-vous alors mettre en œuvre concrètement  ?

Il y a d'abord un impératif de protection de la qualité de l'eau. On a déjà des directives et des objectifs européens, mais la question est de savoir comment on les respecte. Globalement, l'eau potable est de bonne qualité en France, mais sur la qualité des masses d'eau dans la nature, on n'est pas encore au rendez-vous. Au Grenelle de l'environnement – il y a donc un certain temps… – il avait été décidé de faire un plan pour protéger les captages, c'est-à-dire les endroits où l'on prélève l'eau : les rivières, les cours d'eau… Mais il ne s'est pas passé grand-chose en réalité. Donc nous allons relancer le même objectif de protéger les captages, mais en s'en donnant réellement les moyens cette fois-ci ! Nous en avons distingué 1000 prioritaires, nous allons piloter et suivre de près ce plan en publiant une carte et en mettant en place un tableau de bord pour suivre les progrès.

Deuxièmement, nous allons mettre de l'argent : nous allons notamment concentrer les moyens que l'on a dans les agences de l'eau (les paiements pour services environnementaux) sur quelques priorités, dont la protection des captages. Et troisièmement, nous allons donner plus d'outils aux acteurs de terrain, à commencer par les communes, pour pouvoir agir  ! Car, parfois, cela nécessite de changer l'affectation des terres, parfois accompagner les agriculteurs vers des pratiques utilisant moins d'engrais… Bref, les collectivités se retrouvent régulièrement un peu démunies, et aucun acteur institutionnel ne se sent véritablement en charge de transformer les choses ! Nous, on dit que ce sera les communes, et on va leur donner les moyens d'agir.

J'ai souhaité également que l'on se donne des objectifs en termes d'économie d'eau. Je tiens à ce qu'on quantifie cet objectif, qu'on le chiffre, ce qu'on ne fait pas encore aujourd'hui. Nous nous fixons donc l'objectif d'une baisse de 10 % d'ici à 2025 et de 25 % d'ici à quinze ans. Pour y parvenir, nous allons mettre en place des mesures comme l'intégration de mesures d'économie d'eau dans les règles de la construction, l'instauration d'une tarification incitative, la sensibilisation du grand public par des campagnes de communication, l'élaboration de projets de territoire pour la gestion de l'eau en lien notamment avec les agriculteurs.

En France, on peut avoir le sentiment que l'eau n'est pas un problème majeur, que tout va de soi dans une grande puissance mondiale. Quels sont les grands problèmes auxquels notre pays est confronté dans ce domaine  ?

Sur la qualité, nous n'avons pas de problèmes majeurs. En revanche, il y en a sur la quantité et le partage. On sait qu'on aborde la saison d'été, avant même la canicule, avec un déficit en eau. Les rivières et les nappes phréatiques ne se sont pas complètement reconstituées. On sait qu'on a quelques endroits pour lesquels il y a des tensions : une dizaine de départements métropolitains sont en alerte avec des arrêtés de restriction d'eau. Il ne s'agit pas de couper l'eau potable bien sûr, elle est toujours prioritaire, mais ça peut vouloir dire la fin de l'irrigation, du lavage de voitures, etc. Les experts nous disent que, au rythme actuel, il y aura jusqu'à 40 % d'eau en moins disponible d'ici un demi-siècle en France. Ce sont de très gros enjeux, et ils concernent tout le monde : agriculteurs, industriels, consommateurs. D'où l'idée de faire des expérimentations avec une tarification progressive : les premiers mètres cubes d'eau coûteraient moins cher que les suivants, afin d'inciter à faire des économies. Ou alors on pourrait envisager des tarifs saisonniers, comme vous avez des tarifs différenciés pour l'électricité, qui vous incitent à consommer plutôt en heure creuse qu'en heure pleine.

Et puis, je reviens de Guadeloupe, et le problème de l'eau est extrêmement intense. Il y a suffisamment d'eau pour les habitants du territoire, mais les canalisations sont dans un tel état que l'on perd entre 60 et 80 % de l'eau avant d'arriver aux robinets. C'est un chiffre invraisemblable. Par conséquent, il y a ce qu'on appelle des « tours d'eau » : c'est le nom pudique pour dire que le lundi et le mardi, il y a de l'eau à tel endroit, le mercredi et le jeudi dans un autre, et ainsi de suite. Donc, plusieurs jours par semaine, vous n'avez pas l'eau courante. Ce n'est pas supportable dans un pays comme la France.

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Vous avez organisé le grand débat avec Sébastien Lecornu. Ce tour de France a-t-il modifié votre vision des attentes des citoyens en matière de transition écologique  ?

Il a renforcé deux convictions. La première, c'est qu'il faut qu'on soit dans une écologie des solutions, et des solutions territoriales. Il ne sert à rien d'être dans une écologie de principes. Les gens ne supportent pas, à raison, qu'on leur explique ce qu'ils devraient faire si on ne le rend pas faisable. Les choix sont à faire localement : c'est l'alimentation avec les circuits courts et plus de bio, c'est une offre de transports plus diversifiés, c'est un accès à la rénovation énergétique avec une plateforme qui vous aide et vous conseille à côté de chez vous. Donc, être le plus concrets et porteurs de solutions possibles. Deuxièmement, il faut avoir une attention particulière pour les plus modestes. C'était déjà ma culture : je viens du social, de la santé, de l'insertion, et j'imagine que c'est aussi pour cela que j'ai été choisie pour animer le grand débat. On voit bien que si on n'est pas capable d'apporter une réponse envers les plus fragiles, on n'y arrivera jamais. Il ne faut pas opposer écologie et social. C'est d'ailleurs le titre du ministère, « Transition écologique et solidaire » : on doit se le réapproprier, car l'écologie est l'affaire de tous.

Le fait de nous dire ça aujourd'hui, et qu'Emmanuel Macron veuille que ses ministres se rendent davantage au contact des Français n'est-ce pas le signe que le gouvernement n'avait pas assez pris en compte cette dimension lors de la première partie du quinquennat  ?

Le président de la République l'a lui-même reconnu. Peut-être qu'on a eu une vision trop théorique des choses, qu'on n'a pas trouvé la bonne relation avec nos concitoyens, qu'on a peut-être pas suffisamment porté la partie humaine et personnelle des politiques publiques. Sur la taxe carbone notamment, on a été trop rapides : on a accéléré la trajectoire sans l'accompagner socialement, et pour beaucoup cette solution n'était pas acceptable. Il faut reconnaître, effectivement, qu'on a besoin de plus de proximité, plus d'attention, plus de différenciation et plus de concret. Le président reprend régulièrement sa formule du « dernier kilomètre » : j'ai travaillé dans une entreprise et ce que l'on fait doit arriver jusqu'au client. Mener une réforme, ce n'est pas seulement voter une loi, mais garantir sa mise en œuvre. C'est extrêmement important et ça n'a pas été pris suffisamment en compte dans la première partie du quinquennat.

Avant le grand débat que vous avez co-animé avec Sébastien Lecornu, on vous connaissait peu. Vous êtes venue tard aux questions environnementales : comment définiriez-vous votre conception de l'écologie politique  ?

J'y suis venue progressivement à partir des sujets sociaux, de solidarité, de précarité et aussi en travaillant dans une entreprise [Danone, NDLR] qui avait une responsabilité environnementale importante et qui cherchait à progresser. Je pense qu'il faut agir très globalement et très concrètement. Globalement, c'est l'idée qu'il faut changer notre modèle économique, qui peut être brutal pour les personnes les plus fragiles et pour l'environnement. Il faut que l'économie de marché parvienne à être un vecteur positif pour la transformation écologique et cela nécessite de mettre en mouvement le gouvernement, les ministères, les entreprises, les associations, et tous les grands acteurs de la société civile. Ensuite, il faut des solutions concrètes, différenciées selon les territoires, non punitives, et qui permettent à chacun de faire ses propres choix en protégeant les personnes les plus fragiles. Les grandes interpellations, c'est bien, mais moi, je suis pour une écologie progressive, dans laquelle, d'abord, on aide, on incite, on rend possible. Et où les normes, les interdictions, les interpellations n'arrivent que dans un deuxième temps, quand la situation est mûre. Je crois au local, à l'écoute, et aux solutions pratiques  !

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Le bon score d'Europe Écologie-Les Verts aux élections européennes est-il une bonne nouvelle pour la secrétaire d'État à l'Écologie que vous êtes  ?

Oui, oui ! C'est une très bonne nouvelle pour tout le pôle ministériel : pour François de Rugy, pour Élisabeth Borne, pour Brune Poirson et pour moi. Ça veut dire qu'il y a une attente et une demande des Français, et que les politiques de transition écologique doivent se développer, se financer, être visibles et prioritaires !

EELV tend à se recentrer de plus en plus, Yannick Jadot appelle même de ses vœux une co-construction de politiques environnementales avec la majorité, voire avec LR. Quel regard posez-vous sur ce changement de stratégie  ?

Tous ceux qui sont sincères sur la cause écologique – et je considère que Yannick Jadot l'est – ont envie que cela avance. Et pour que cela avance, il faut le faire ensemble. On a proposé dès le lendemain des élections qu'il puisse y avoir une alliance de projets avec les Verts au Parlement européen pour peser plus  ! La question se posera de la même manière aux municipales : nous serons prêts à travailler avec tous ceux qui veulent avancer. Après, Les Verts sont aussi parfois à un niveau de généralité très élevé, dans le « y-a-qu'à, faut-qu'on »… Dès qu'on est aux responsabilités, on se coltine au réel et c'est difficile  ! Il n'y a pas de solution pure et parfaite, il n'y a que des solutions avec des avantages et des inconvénients. Parfois, ça prend du temps de dégager de bons compromis, et c'est peut-être ça que fait une partie de gouvernement !