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Les profits des groupes du CAC 40 comblent les actionnaires et gonflent l’inflation

Les bénéfices exceptionnels permettront aux entreprises d’atteindre des records dans les dividendes et les rachats d’actions.

Par Jean-Michel Bezat

 A la veille d’une manifestation pour défendre le système de santé, à Nantes, le 15 juin 2020.

A la veille d’une manifestation pour défendre le système de santé, à Nantes, le 15 juin 2020. LOIC VENANCE / AFP

La publication des résultats des sociétés du CAC 40 et plus encore l’annonce de généreux dividendes ne manquent jamais de soulever des protestations et des polémiques. Cette année ne fera pas exception à la règle. Les résultats 2022 permettront, en effet, de redistribuer une bonne partie des profits aux actionnaires, déjà gratifiés d’excellents retours, l’an dernier, au titre de l’exercice 2021 : 81,6 milliards d’euros (+ 16,5 %) : 57,9 milliards en dividendes et 23,7 milliards en rachat d’actions, selon la lettre spécialisée Vernimmen.net.

 

En Europe, les sommes versées seront « de nouveau en légère augmentation en 2023 », indique l’étude annuelle d’Allianz Global Investors, publiée fin janvier. En France, les trois quarts des entreprises du CAC 40 ont déjà annoncé des hausses de dividendes, qui amortiront le recul de 9,5 % de l’indice l’an dernier. Cohérent avec sa politique de long terme, TotalEnergies l’augmentera de 44 %, et Engie, revenu à meilleure fortune, de 64 %. Dans le luxe, Hermès a annoncé 62 %, L’Oréal 25 % et LVMH 20 %. Airbus le relèvera de 20 %, le géant du BTP et des concessions Vinci de 38 %. Même Renault fera un petit geste, malgré ses pertes. Au total, les dividendes progresseront de 29 %, six fois plus qu’aux Etats-Unis. Le rendement par action est lui aussi très bon, allant de 9,9 % chez Engie et 9 % au Crédit agricole à 5,9 % pour Axa et 5,6 % pour Bouygues.

 

L’année 2023 confirmera une tendance constatée depuis quelques années : la montée des rachats d’actions. Quelque 15 milliards ont déjà été annoncés, deux fois plus qu’en mars 2022. Courante outre-Atlantique, où elle assure plus de la moitié du retour aux actionnaires, cette pratique gagne du terrain en France. Elle dope la valeur des titres et permet une redistribution des profits à bon compte, puisque ces capitaux ne sont pas soumis à l’impôt, contrairement aux dividendes. Ces opérations relancent le débat sur le partage de la valeur au sein des entreprises, surtout les plus profitables, alors que les augmentations salariales de 2022-2023 n’ont pas compensé une hausse des prix persistante.

 

« Partage de la valeur »

Pour leurs partisans, dividendes et rachats d’actions ne sont pas un « cadeau » aux actionnaires, mais d’abord un moyen de faire circuler les richesses en réallouant une ressource rare, les capitaux propres d’entreprises qui n’en ont plus l’utilité, à des sociétés nouvelles qui en ont besoin pour se développer. Pures opérations spéculatives, répliquent les opposants à des mécanismes trop généreux, qui privent les salariés d’une juste rétribution de leurs efforts. Venues de la gauche et des syndicats, ces critiques visent autant les dirigeants des multinationales que le gouvernement, sommé d’imposer plus de redistribution au sein des entreprises, et accessoirement de taxer des superprofits ne correspondant pas toujours aux efforts des sociétés.

« Quand une entreprise est capable de verser des dividendes à ses actionnaires, elle doit être capable de verser une meilleure rémunération à ses salariés », plaidait le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, le 20 janvier, appelant à la création d’un « dividende salarié ». Une expression qui déplaît au patronat puisque le dividende est, selon lui, la rétribution d’un risque. Les partenaires sociaux n’en sont pas moins parvenus à un accord, le 10 février, pour mettre en place un mécanisme légal de « partage de la valeur » (participation, intéressement, prime…) dans les PME-PMI de onze à quarante-neuf salariés quand elles auront dégagé un bénéfice significatif durant trois années d’affilée.


Bons pour les entreprises, les dirigeants, les actionnaires, les finances publiques et dans une moindre mesure les salariés, les profits présentent un grave défaut, largement passé sous le radar au cours des derniers mois : ils nourrissent l’inflation. De grandes sociétés ont gonflé leurs prix au-delà du nécessaire pour absorber les surcoûts de l’énergie, des matières premières et des salaires. Leurs marges ont progressé avec l’inflation, qui atteint 8,5 % sur un an, fin février, dans la zone euro. Et ce sont les consommateurs et les travailleurs qui paient la note avec une baisse de leur pouvoir d’achat et de leur salaire réel.

 

« Les conditions exceptionnelles ne devraient pas durer »

Les dirigeants de la Banque centrale européenne (BCE) ont eu droit à ce froid constat, lors d’un séminaire organisé, fin février, dans un village de l’Arctique finlandais. Le diagnostic établi lors de cette réunion révélée par l’agence Reuters contredit en partie l’analyse de l’institution de Francfort, qui justifie le relèvement des taux directeurs amorcé en juillet 2022 par la nécessité d’éviter toute spirale prix-salaires. Aux Etats-Unis, cette inflation des marges expliquant les superprofits n’a pas échappé à l’équipe économique de Joe Biden, aux élus démocrates les plus à gauche comme Elizabeth Warren et Bernie Sanders, ou à de nombreux économistes.

Rien de tel en Europe, où peu de dirigeants en parlent. Et surtout pas la présidente de la BCE, Christine Lagarde, qui persiste à mettre en avant le risque d’une course entre les salaires et les prix. Il est vrai qu’une telle dérive inflationniste est difficile à freiner, comme l’a montré le précédent des années 1970. A l’inverse, les sociétés peuvent s’autoréguler et réduire leurs marges par crainte de perdre des parts de marché. D’autant qu’elles ne jouiront pas du même contexte dans les prochains mois.

 

« Dans la mesure où les tensions sur les chaînes d’approvisionnement devraient se réduire et la demande revenir à la normale, déclarait, lundi 6 mars, Philip Lane, économiste en chef et membre du directoire de la BCE, les conditions exceptionnelles qui ont profité aux entreprises ne devraient pas durer, la réduction des marges bénéficiaires se traduisant par une baisse des pressions inflationnistes. » Une baisse lente qui justifie, selon lui, une politique monétaire restrictive durant « un bon nombre de trimestres ».

 

Jean-Michel Bezat