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Après le sommet Trump-Kim, les questions

Source: Figaro Premium

 
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En bas de l'accord de Singapour, l'encre des signataires est à peine sèche. Mais déjà, les doutes affluent. Ce document de cinq paragraphes est vague. Les deux pays se sont engagés à établir «une nouvelle relation» et un «régime de paix». Et la dénucléarisation, qui était tout de même l'objet de la rencontre? Un processus de négociation va être lancé. On est loin, si loin des exigences américaines… Les États-Unis avaient pourtant prévenu: ils attendaient des gages précis de la part de Pyongyang. Il y a peu, le vice-président Mike Pence exigeait encore des «avancées crédibles, vérifiables et concrètes». Sauf que ça, c'était avant. Donald Trump qui fustigeait, dans l'accord iranien, la légèreté de ses prédécesseurs, semble désormais se contenter de formules comme «le désir de paix et de prospérité des deux peuples».

De fait, la Corée du Nord s'en tire à bon compte. Bien sûr, il faudra qu'elle esquisse quelques gestes de bonne volonté si elle veut desserrer l'étau des sanctions économiques qui l'étrangle. Mais elle s'est d'ores et déjà hissée au rang de puissance mondiale. Alors, à quoi bon démanteler son arsenal nucléaire? Il lui a permis d'obtenir un face-à-face sur un pied d'égalité avec le grand ennemi américain! Par ailleurs, Kim Jong-un connaît son histoire. Il sait que ça pourrait lui coûter cher. Ceux qui ont, comme la Libye ou l'Ukraine, renoncé au nucléaire s'en sont mordu les doigts.

Et penchons un instant vers l'hypothèse positive. Imaginons que ça marche, que le processus devienne effectif. Même dans ce cas, décrypte Isabelle Lasserre, le démantèlement nucléaire de la Corée du Nord sera long et incomplet.

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• L'éditorial: «Le diable est dans les mots»

 
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Sans être nourri au lait de l'Histoire, Trump goûte sans doute certains parallèles. Comme celui qui pourrait être fait avec la poignée de main de Mao et Richard Nixon. Ce voyage en Chine qui, en 1972, scella le dégel entre les deux pays. La voie avait été ouverte par la «diplomatie du ping-pong». En 2018, c'est plutôt la «diplomatie du basket». Avec l'ex-joueur des Chicago Bulls Dennis Rodman apportant L'Art du deal de Donald Trump au dictateur rouge féru de son sport.

Le sommet de Singapour sera-t-il un «moment» crucial, comme l'avait été la percée de Nixon à Pékin? L'heure n'est pas aux certitudes. Mais l'«accord historique» ressemble à une déclaration d'intention où les symboles l'emportent sur le contenu. Les optimistes diront que c'est le début de quelque chose, l'enclenchement d'une dynamique, avec notamment la perspective de visites croisées. Les sceptiques y verront de la poudre aux yeux, que les vents de la mer Jaune balaieront bien vite.

Comme toujours dans ce genre de déclaration, tout est dans les mots. Ceux qui y sont et ceux qui n'y sont pas. Parmi ceux qui figurent dans le texte, il y a le mot «vers». Il s'agit d'aller «vers» une dénucléarisation, sans calendrier ni certitudes. Parmi les mots que l'on ne trouve pas, il y a «complète», «vérifiable», «irréversible». Trump a beaucoup donné à Kim, à commencer par le statut de dirigeant fréquentable, avec peu de concessions concrètes en retour.

La longue litanie des promesses non tenues par la Corée du Nord invite à la prudence. Et, sans approuver, on peut comprendre Kim. La Corée du Nord sans la bombe, c'est la Birmanie des généraux. C'est-à-dire pas grand-chose sur la scène mondiale. Et, avec Kadhafi, le Coréen a vu le sort qui guettait les dictateurs non nucléarisés. Comme il a observé, avec la mise à la poubelle de l'accord iranien, ce que l'Amérique peut faire de ses engagements quand des missiles ne la menacent pas.

Le diable ici ne se cache pas dans les détails, car il y en a peu, mais il se niche dans les omissions… Et sans doute est-il un peu tôt pour promettre le Nobel de la paix aux nouveaux amis de Singapour.