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Le viol, un crime de l’intimité longtemps impensé

Par Anne Chemin, le 05 avril 2024 

EnquêteSous l’Ancien Régime, le viol est considéré non comme une atteinte à l’intégrité d’une femme, mais comme une offense à l’honneur de son père ou de son mari. Il faudra, à partir de la fin du XIXᵉ siècle, l’émergence de la psychologie, ainsi que du féminisme, pour que le regard social sur ce crime commence à évoluer.

Si un citoyen de l’ère #metoo et un Français de l’Ancien Régime pouvaient un jour parler ensemble d’un meurtre, d’un cambriolage, d’un vol ou d’une agression au couteau, sans doute parviendraient-ils, malgré les siècles, à se comprendre. En revanche, s’ils s’aventuraient sur le terrain du viol, leur conversation se transformerait en dialogue de sourds. Le premier serait scandalisé par la blessure psychique subie par la victime, le second par l’offense faite au paterfamilias ; le premier redouterait les souffrances engendrées par cette atteinte à l’intégrité personnelle, le second l’outrage infligé à l’honneur de la famille.

Si l’imaginaire social et pénal du viol a tant changé, c’est, comme l’analyse Georges Vigarello, auteur de la première grande histoire du viol (Histoire du viol, Seuil, 1998), parce que cette infraction est le fruit d’un « entremêlement complexe » entre le corps, le regard et la morale – toutes notions qui ont puissamment évolué au fil des siècles. Parce que ce crime est intimement lié à l’idée du péché, de la faute, de la honte et de la souillure, parce qu’il concerne les oubliées de la société qu’ont longtemps été les femmes, le viol a fait l’objet, depuis l’Ancien Régime, d’une révolution du regard, observe l’historien.

A partir du XVIe siècle, la perception sociale de ce crime de l’intimité se modifie au fil des lentes évolutions de la sensibilité commune, avec l’avènement de la figure de l’individu – qui a peu à peu fragilisé l’attention portée à la réputation de la famille –, l’émergence d’une culture de l’intériorité et de l’introspection – qui a permis d’apercevoir les souffrances psychiques endurées par les victimes –, et les avancées de l’émancipation des femmes – qui ont conduit la société à prêter attention à la parole du « deuxième sexe ». Plus qu’aucun autre, le sens de ce crime est, selon Georges Vigarello, fortement « soumis à l’histoire » – et ce dès la Renaissance.

Une infamie morale

Bien que le viol soit lourdement puni par les textes de l’Ancien Régime – il est sanctionné par une « sentence exemplaire », souligne l’historien –, les condamnations judiciaires sont rarissimes : en plus de cent vingt ans (1540-1662), les archives du Parlement de Paris ne mentionnent que 49 procédures pour viol, soit une tous les deux ans et demi. « A Auxerre, en près d’un siècle, de 1695 à 1780, on recense seulement 31 procès, ajoute Frédéric Chauvaud, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Poitiers. Ce chiffre dérisoire ne peut évidemment pas être considéré comme un reflet de la réalité sociale. Le viol, à l’époque, est un impensé : l’impunité est colossale. »

 

Dans les procédures d’Auxerre, au XVIIIe siècle, observe l’historien, la plupart des victimes sont des femmes mariées. « Pourquoi ?, demande ce chercheur, qui a coordonné, avec André Rauch et Myriam Tsikounas, Le Sarcasme du mal. Histoire de la cruauté de la Renaissance à nos jours (PUR, 2016). Tout simplement parce que, dans les mentalités collectives, le seul “vrai” viol est celui de l’épouse, car c’est celui qui porte atteinte à l’honneur du conjoint. Pour les femmes non mariées – les fillettes, les adolescentes, les célibataires ou les veuves –, le viol n’a aucune importance sociale : il passe le plus souvent pour un léger désagrément, un regrettable aléa de la vie. »

 

Cette distinction entre les femmes mariées et les autres est au cœur des représentations sociales et religieuses du viol qui imprègnent les esprits de l’Ancien Régime. Ce crime n’est alors pas considéré comme une atteinte à l’intégrité personnelle qui engendre des souffrances psychiques durables – chez les épouses comme chez les autres – mais comme une infamie morale qui souille l’honneur de la famille. Peu importe, donc, que les femmes aient été brutalisées, humiliées, saccagées, voire niées : ce qui compte, aux yeux de la justice et de la société, ce sont les conséquences de ce crime sur la réputation de leurs « propriétaires ».

Pour les juristes du XVIe siècle, résume Stéphanie Gaudillat-Cautela, en 2006, dans la revue Clio, la victime n’est pas « la femme dont le corps a été violé mais son possesseur dont le droit a été bafoué ». Si elle est mariée, le viol est considéré comme un adultère – un crime extrêmement grave ; si elle est vierge ou veuve, comme du stupre – le violeur et sa victime sont alors confondus dans un même opprobre ; si elle constitue un parti intéressant, comme un « rapt de séduction » – dans ce cas, ce sont les parents, et non la jeune fille, qui sont lésés ; si elle a une réputation douteuse, comme une « simple fornication » – la victime fait alors l’objet d’une implacable condamnation sociale.

Procédures extrêmement rares

Cet univers moral qui nous est devenu totalement étranger commence à se transformer en profondeur à partir de la Révolution française. Dans le sillage de la philosophie des Lumières, les révolutionnaires posent les premiers jalons du principe de la libre disposition de soi. « Tout homme est seul propriétaire de sa personne », écrit l’abbé Sieyès (1748-1836) dans son mémoire sur la Déclaration des droits de l’homme. Cette « invention » de l’individu, selon le mot de la philosophe Elisabeth Guibert-Sledziewski, fait de la victime un sujet à part entière : le code pénal de 1791, qui punit le viol de « six ans de fers », le classe pour la première fois parmi les crimes et les attentats « contre les personnes ».

 

Cette révolution juridique va, petit à petit, bouleverser la représentation morale et religieuse du viol héritée de l’Ancien Régime. Au nom de l’« invincible appartenance à soi », selon le mot de Georges Vigarello, cette infraction n’est plus considérée comme un péché, un vice ou une dépravation morale qui portent atteinte au prestige des pères et des maris. Dans le droit pénal laïque et démocratique qui émerge avec la Révolution française, le viol devient, au moins dans les textes, une atteinte à la dignité de la victime. Le citoyen est désormais pensé « à partir de lui-même et non à partir de quelque “possesseur” présumé », résume l’historien.

Si les hommes de la fin du XVIIIe siècle proclament solennellement l’avènement de l’individu, ils laissent cependant les femmes sur le bord du chemin. Privées de droit de vote, considérées comme des mineures par le code Napoléon, elles sont encore, au XIXe siècle, entièrement soumises au bon vouloir de leur père ou de leur mari. « Le législateur napoléonien fait de la famille dirigée par le paterfamilias le pivot d’une société très hiérarchisée », souligne la sociologue Marie Romero. « L’Empire confie la police de la vie privée au père, renchérit le magistrat et essayiste Denis Salas, auteur du Déni du viol. Essai de justice narrative (Michalon, 2023). Il est le représentant de l’Etat au sein de la famille. »

 

Dans ce monde où la parole des femmes ne compte pas, les procédures pour viol sont extrêmement rares. « Au XIXe siècle, les comptes généraux de la justice, créés en 1826, ne mentionnent, en moyenne, qu’une procédure par an sur l’ensemble du territoire français », précise la juriste Victoria Vanneau, autrice de La Paix des ménages. Histoire des violences conjugales (Anamosa, 2016). Plus rares encore sont les condamnations : l’historien Laurent Ferron, qui a étudié 200 affaires d’attentats à la pudeur avec violences ou de viols sur des femmes de plus de 15 ans dans le ressort de la cour d’appel d’Angers (1800-1863), relève un taux d’acquittement de 42 %.

« Certitude du consentement »

Pour lui, cette impunité est liée aux redoutables obstacles que doivent affronter les victimes. « La démarche de la plainte est socialement et psychologiquement extrêmement difficile, écrit-il dans Femmes et justice pénale, un ouvrage collectif dirigé par Christine Bard, Frédéric Chauvaud, Michelle Perrot et Jacques-Guy Petit (PUR, 2002). La procédure judiciaire est longue et périlleuse avant qu’une condamnation des violeurs n’intervienne. Le code pénal devait a priori permettre aux femmes de se plaindre, mais les échos de l’enquête, le caractère public des sessions d’assises et un jugement quelque peu aléatoire permettent d’en douter. »

Si la protection que le code pénal accorde aux femmes est à ce point fragile, c’est en grande partie en raison d’une croyance très ancienne que Georges Vigarello baptise la « certitude du consentement ». Aux yeux des hommes de loi de l’Ancien Régime, il était impossible qu’un homme seul viole une femme. « [Pour eux], la vigueur féminine suffit à la défense, écrit Georges Vigarello. Les juristes d’Ancien Régime y voient une quasi-vérité. » Les philosophes des Lumières adhèrent, eux aussi, à cette doctrine : « La nature a pourvu le plus faible d’autant de force qu’il en faut pour résister quand il lui plaît », estime, en 1762, Jean-Jacques Rousseau dans Emile ou De l’éducation.

 

Plusieurs décennies après, cette « certitude du consentement » continue à imprégner le monde de la magistrature, qui évoque volontiers une anecdote citée au XVIIIe siècle par l’avocat Pierre-François Muyart de Vouglans (1713-1791) : un juge aurait demandé à un homme accusé de viol de donner, puis de reprendre, un sac d’écus à sa victime – et la femme aurait réussi, en se débattant avec énergie, à conserver la bourse. « D’où la certitude et la preuve, conclut l’avocat en 1757, que la femme aurait pu encore mieux défendre son corps que son argent si elle l’eût voulu. » « Cette théorie, constate Victoria Vanneau, est défendue jusqu’aux années 1860 par des juristes qui invoquent la “courageuse vertu” des femmes. »

A l’époque, nul ne peut imaginer que la victime se laisse faire parce qu’elle est terrorisée par l’autorité morale ou physique de son agresseur, sidérée par la stupéfaction, pétrifiée par l’incompréhension ou menacée par des représailles. « Le viol ne peut se constituer que par des actes de violence, affirme, en 1835, Joseph Carnot, conseiller à la Cour de cassation. S’il n’y avait pas eu violence, il n’y aurait eu que fornication. » Au nom de cette conviction, les magistrats exigent, pour établir la réalité du viol, que le corps de la victime soit profondément marqué par des hématomes, des blessures et des ecchymoses.

 

A partir du milieu du XIXe siècle, le vent, cependant, commence à tourner. En 1857, la chambre criminelle de la Cour de cassation admet pour la première fois qu’il y a viol lorsque l’agresseur a recours, non plus seulement à la violence physique, mais aussi à la violence « morale ». Le crime, estime-t-elle, consiste dans le fait d’abuser d’une personne contre sa volonté afin d’atteindre le but que se propose l’auteur de l’action, « soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée à son égard », soit qu’il résulte de « tout autre moyen de contrainte ou de surprise ».

Avec cette décision, la justice entre à pas comptés dans la conception « moderne » du viol, analyse Denis Salas. « Elle commence à comprendre les mécanismes d’abus de pouvoir qui permettent au violeur d’extorquer un consentement falsifié sans exercer de brutalités physiques, explique-t-il. Octave Mirbeau décrypte ce lent travail de manipulation dans Sébastien Roch (1890), le roman où il évoque le viol qu’il a subi dans le pensionnat des curés de Vannes. Le prêtre commence par devenir le confident de l’enfant, il lui prête ensuite des livres, il finit par entrer dans sa chambre et, une fois qu’il a obtenu sa confiance, il possède son corps – sans avoir recours à des violences. »

« Impossible vision du traumatisme »

Les dictionnaires de cette période illustrent une telle prise de conscience progressive de la notion de contrainte morale. A partir de 1870, la définition du crime, observe Georges Vigarello, commence à basculer : à la formule traditionnelle – violence faite à une femme que l’on « prend de force » – se substituent des textes qui évoquent pour la première fois le non-consentement de la victime – avec ou sans violences physiques. En 1876, le Grand Larousse souligne ainsi l’importance de la « violence morale exercée par voie d’intimidation » avant d’affirmer qu’il y a viol « toutes les fois que le libre arbitre de la victime est aboli ».

L’évolution de la jurisprudence est nourrie, à la fin du XIXe siècle, par l’essor d’une discipline qui bouscule peu à peu les représentations sociales sur le viol : la psychologie. Jusqu’alors, nul ne pense qu’un viol peut constituer un anéantissement psychique : si déplaisant soit-il, l’épisode, pense-t-on, sera bien vite oublié. « Ce crime de l’intimité n’est pas compris par un siècle aussi pudibond que le XIXe, observe l’historienne Victoria Vanneau. La notion de traumatisme n’existe pas encore : personne n’a conscience des ravages psychologiques du viol. Les magistrats recommandent même aux médecins qui réalisent les expertises de ne pas parler avec les victimes. »

Cette « impossible vision du traumatisme », selon Georges Vigarello, imprègne les décisions de justice comme les textes littéraires. « Au XIXe siècle, la fiction majeure sur le viol est Madame Baptiste [1882], de Maupassant – l’histoire d’une fillette violée par un valet à l’âge de 11 ans, précise Denis Salas. Maupassant montre très bien qu’elle est anéantie par l’opprobre social – son désespoir la conduit à se jeter d’un pont – mais il ne dit rien, ou presque, de son saccage psychique et de son effondrement moral. Même chez ce formidable peintre de la société, il y a une incompréhension de la violence intime : cette époque a beaucoup de mal à entrer dans le monde de la subjectivité – surtout féminine. »

 

Les archives judiciaires témoignent de cette indifférence sociale envers les ravages psychiques des violences sexuelles. Dans une étude sur les tribunaux namurois de 1830 à 1867, le chercheur Geoffroy Le Clercq raconte ainsi qu’un père à qui l’on apprend, en Belgique, que son fils a commis un viol s’écrie avec bonhomie : « Il a encore fait des siennes ! »« J’ai travaillé sur le procès d’une jeune paysanne violée par un ouvrier agricole : l’agresseur affirme pendant l’audience qu’il faut bien que les femmes en passent par là, ajoute l’historien Frédéric Chauvaud. Dans les campagnes, le viol des fillettes qui gardent les troupeaux ne suscite aucune indignation : il est considéré comme une sorte de fatalité. »

A partir du milieu du XIXe siècle, quelques rares médecins commencent cependant à écouter la parole des victimes, surtout quand elles sont encore enfants. Le psychiatre Auguste-Ambroise Tardieu (1818-1879) est ainsi le premier à prêter attention à la souffrance des petites filles violées de l’hôpital de Lourcine [à Paris, actuel hôpital Broca]. Mouvements fébriles, troubles nerveux, suicide : le fondateur de l’enseignement médico-légal comprend qu’un viol engendre des tourments psychiques. « Ce crime qui offense les sentiments les plus intimes au moins autant qu’il blesse le corps détermine souvent une perturbation morale », écrit-il en 1857.

Dans l’esprit des médecins, des magistrats et de la société tout entière, une révolution des sensibilités est en train de naître, même si elle est encore très embryonnaire. « Si quelques experts médicaux de la fin du XIXe siècle commencent effectivement à apercevoir la souffrance psychique des femmes violées, ce sont encore des voix isolées au sein de la communauté médicale, observe l’historien Frédéric Chauvaud. Leurs rapports n’ont pas vraiment d’incidence sur le quotidien de la justice – d’autant qu’à l’époque les victimes, de manière générale, n’intéressent pas les juges : le procès pénal est centré autour de l’accusé. »

Beaucoup de magistrats, au début du siècle suivant, restent en effet convaincus que la violence physique est consubstantielle au viol – et certains restent même imprégnés par la doctrine de l’Ancien Régime sur la « certitude du consentement ». En 1913, dans son Traité théorique et pratique du droit pénal français, le grand pénaliste René Garraud (1849-1930) affirme ainsi avoir « quelque scrupule à placer sur la même ligne la violence morale et la violence matérielle, et à admettre que la femme, consentant, sous la pression même des menaces les plus graves, à se livrer à un homme, puisse prétendre avoir été violée par celui-ci ».

Une question politique

Il faudra encore plusieurs décennies pour que le regard sur le viol se transforme vraiment. En s’affirmant peu à peu comme des disciplines à part entière, la psychiatrie, la psychologie et la psychanalyse permettent de mesurer les ravages psychiques de la violence. « La connaissance de la subjectivité traumatique émerge, au XXe siècle, dans le sillage des conflits militaires, analyse Denis Salas. Les premiers travaux sur la névrose traumatique sont publiés après la première guerre mondiale, ceux sur le stress post-traumatique après la seconde guerre mondiale. Ils permettent de comprendre des souffrances qui, jusque-là, étaient restées invisibles. »

 

L’émergence de la « deuxième vague » du féminisme, dans les années 1970, parachève cette évolution sociale en faisant du viol une question éminemment politique. « Le rendre visible dans la sphère publique, grâce à la parole des femmes, est alors envisagé comme un outil de lutte à part entière », constate la sociologue Pauline Delage, en 2016, dans la revue Critique internationale. En 1970, la revue Partisans publie ainsi l’un des premiers témoignages sur le viol – celui de l’écrivaine Emmanuèle de Lesseps – et, en 1972, la salle de la Mutualité, à Paris, accueille des femmes violées ou harcelées sexuellement qui s’expriment pour la première fois dans l’espace public.

Parce que le « privé est politique », les féministes des années 1970 analysent ce crime, non pas comme un malheur individuel, mais comme le fruit d’un système politique et social fondé sur la domination masculine : pour elles, résume Pauline Delage, le viol a pour fonction de « maintenir un système d’oppression ». Nouvelles féministes, la publication de la Ligue française du droit des femmes, souligne ainsi le « caractère exemplaire » des violences sexuelles, et le journal Les Pétroleuses (1974-1976) – la « tendance lutte des classes du mouvement de libération des femmes » – estime qu’elles constituent la « quintessence » du patriarcat.

Cette transformation des mentalités trouve son aboutissement judiciaire en 1978, lors du procès des violeurs de deux jeunes touristes belges dans les calanques de Marseille. En faisant des audiences une tribune politique, l’avocate Gisèle Halimi provoque une « déflagration », résume l’historien Frédéric Chauvaud. « Devant la cour, les victimes, leurs proches et Gisèle Halimi emploient pour la première fois le terme de “mort psychique”, explique-t-il. La France découvre l’ampleur du saccage intérieur provoqué par un viol : elle comprend que ce crime a de lourdes conséquences, à court et à long terme, sur l’équilibre psychologique des victimes. »

 

Deux ans plus tard, en 1980, le Parlement réforme la loi sur le viol héritée du XIXe siècle : puni de quinze ans de réclusion criminelle, il est défini, cette année-là, comme une infraction commise par « violence, contrainte, menace ou surprise ». « Le viol était déjà considéré comme un crime, mais la loi de 1980 le qualifie avec précision pour la première fois et élargit son domaine d’application en visant toutes les formes d’actes sexuels, analyse Carole Hardouin-Le Goff, maîtresse de conférences en droit privé et en sciences criminelles à l’université Paris-II-Panthéon-Assas. C’est évidemment un immense progrès dans l’appréhension de ce qu’est un viol. »

 

Jadis considéré comme une offense infligée à l’honneur du père ou du mari, ce crime est aujourd’hui pensé comme une blessure infligée à l’intégrité psychique d’un individu. « A la question de la faute, qui relève de la moralité publique, s’est substituée la question du dommage, qui renvoie au respect de l’individu, résume Antoine Garapon, président de la Commission Reconnaissance et réparation des victimes d’abus sexuels commis par des religieux. Le critère de jugement n’est plus le respect des bonnes mœurs mais la souffrance de la victime. » Cette révolution des mentalités est loin d’être achevée, mais elle a transformé en profondeur le regard sur les violences sexuelles.