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Journal d'épidémie : face au Covid, le déni de réalité du ministre Aurélien Rousseau

Libération (site web)
Société, jeudi 5 octobre 2023 913 mots

Journal d'épidémie : face au Covid, le déni de réalité du ministre Aurélien Rousseau

Christian Lehmann

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique d'une société longtemps traversée par le coronavirus.

 

«La folie c'est de refaire constamment la même chose en espérant un résultat différent», selon une citation apocryphe attribuée à Albert Einstein.

 

Interrogé le mardi 3 octobre sur France Inter, au lendemain du lancement de la «campagne vaccinale» (entre guillemets) contre le Covid, Aurélien Rousseau, ministre de la Santé et de la Prévention, se trouvait confronté à un chiffre résumant l'échec de la «campagne vaccinale» (entre guillemets) de l'hiver précédent : «L'an dernier, seuls 20 % des plus de soixante ans éligibles à la nouvelle dose en avaient reçu une. L'Ordre des médecins parlait alors d'un déficit d'engouement. Cette année comment vous allez les convaincre alors ? Et est-ce que vous avez un objectif sur cette classe d'âge là et en population générale ?», lui demandait Nicolas Demorand. «Je n'ai pas d'objectif chiffré», répondait le ministre «mais 20 % c'était un chiffre beaucoup trop faible et je pense qu'on a une responsabilité collective vis-à-vis des personnes fragiles parce qu'il y a eu encore l'an dernier des centaines de morts.»

 

Quelques minutes avant cet échange, commentant l'attribution méritée du Nobel aux découvreurs de la technologie vaccinale à ARN-messager, Aurélien Rousseau avait rappelé le succès de la campagne vaccinale (sans guillemets, cette fois-ci) de 2021 : «Les Français on les dit rétifs, mais quand on a lancé la vaccination à ARN-messager fin 2020 début 2021, ben tout le monde en a voulu.»

 

Le système est à l'os

Etrange cécité ministérielle, de celui qui, chargé de la Prévention, n'arrive pas à analyser les raisons du succès vaccinal de 2021, et des échecs accumulés les années suivantes. Certes, une sorte de lassitude s'est emparée de la population, ainsi qu'une déception quand l'irruption de nouveaux variants a permis au virus de réduire drastiquement dans le temps la protection contre la contamination chez les sujets vaccinés. Mais la différence majeure entre 2021 et les années suivantes est bien dans l'organisation mise en place. En 2021, des centres de vaccination ont été ouverts sur le tout le territoire, jusque dans certains villages. Des milliers de soignants, médecins, infirmiers, pharmaciens, souvent retraités, des milliers de bénévoles et d'agents communaux, ont porté la campagne vaccinale et les rappels pendant dix-huit mois, couvrant une très large proportion de la population adulte. Puis tout ceci est passé à la trappe, et le gouvernement fait semblant de croire, depuis l'automne 2022, que la seule mise à disposition du vaccin correspond à une campagne vaccinale. Comme le rappelait dans ces colonnes l'épidémiologiste Dominique Costagliola : «Une campagne vaccinale, c'est mettre en place la vaccination pour tout le monde y compris les gens les plus défavorisés, sur tout le territoire, pas juste clamer "le vaccin sera disponible en octobre".»

 

Le système de santé est à l'os, un nombre grandissant de Français n'ont plus accès à un médecin traitant, et ceux qui restent, ainsi que les infirmiers et les pharmaciens, sont surchargés de travail. Dans ce contexte, aménager des plages de vaccination avec des vaccins multidoses dans un agenda rempli est une gageure. Certes le système de commande fonctionne apparemment bien cette année, et les conditions de conservation des fioles de vaccin au froid sont moins drastiques qu'en 2021. Mais gérer les plannings de vaccination, l'inscription des injections dans le système d'information Vaccin-Covid (qui lui, bugue régulièrement) est un repoussoir. En permettant aux soignants retraités et aux bénévoles de vacciner des milliers de personnes chaque jour, la campagne vaccinale de 2021 avait porté ses fruits. Aujourd'hui, tout est à la discrétion de professionnels en activité déjà surchargés, et les premiers à en faire les frais, comme l'année précédente, seront les enfants, d'autant que les vaccins pour les tout-petits (6 mois à 4 ans) sont conditionnés en flacons de dix doses à reconstituer puis à utiliser dans les douze heures. Se vaccineront donc uniquement les convaincus, comme l'année dernière, alors que le vaccin est disponible pour toute personne en faisant la demande, sans restriction d'âge ou de vulnérabilité supposée. Rappelons d'ailleurs que nous sommes tous, face à Sars-CoV-2, vulnérables à la survenue d'un Covid long.

 

Abandon du séquençage

Le nouveau vaccin Omicron XBB 1.5 est dirigé contre le variant prédominant jusqu'à l'été dernier, et devrait renforcer la protection des vaccinés contre ce variant et celui qui se profile actuellement dans le monde, BA.2.86, dont nous pouvons sans mentir affirmer qu'il ne circule pas en France puisque nous avons abandonné le séquençage.

 

Dans ce contexte, Aurélien Rousseau, qui fait constamment appel à la responsabilité individuelle et collective, pourrait utilement se poser la question de sa propre responsabilité dans le déni de la réalité pandémique. Informer la population sur le Covid, ce n'est pas seulement faire référence aux discussions internationales entre ministres à l'OMS. C'est ne pas banaliser l'infection au risque de favoriser les contaminations et les Covid longs, en répétant qu'un arrêt de travail en phase aiguë n'est pas incontournable, voire grève inutilement les comptes sociaux. C'est, lorsqu'on est interrogé sur les pénuries médicamenteuses, ne pas les attribuer à une triple épidémie hivernale l'an dernier «de grippe, de bronchiolite, et de.... de.... de gastros», comme si la seule énonciation du mot Covid avait été proscrite en haut lieu. Et enfin, c'est ne pas minimiser la mortalité de la pandémie : «Il y a eu encore l'an dernier des centaines de morts», quand le Covid a tué 50 000 personnes en France en 2022.