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Le choix du successeur de Didier Raoult à la tête de l’IHU fait polémique

La sélection du professeur Pierre-Edouard Fournier, qui a fait toute sa carrière dans l’ombre du controversé fondateur de l’institut, soulève des oppositions.

Par Gilles Rof (Marseille, correspondant)

 

Le professeur Pierre-Edouard Fournier à l’Institut hospitalier universitaire des maladies infectieuses (IHU) de Marseille, le 11 janvier 2021. Le professeur Pierre-Edouard Fournier à l’Institut hospitalier universitaire des maladies infectieuses (IHU) de Marseille, le 11 janvier 2021. CHRISTOPHE SIMON/AFP

Les membres fondateurs de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée-Infection (IHU) avaient, en plein conflit avec le professeur Didier Raoult à l’été 2021, dressé le portrait-robot du scientifique qu’ils espéraient voir succéder au controversé microbiologiste marseillais. « Un chercheur ou une chercheuse, légitime, charismatique et reconnu par ses pairs dans le domaine des maladies infectieuses » expliquait Eric Berton, le président d’Aix-Marseille Université (AMU).

Comme le directeur des Hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM) François Crémieux, M. Berton évoquait la nécessité de lancer un appel d’offres international pour attirer des candidatures externes au sérail de l’IHU. Et l’importance d’en confier l’organisation à une personnalité indépendante pour éviter les jeux de pouvoir locaux. En l’occurrence, l’ancien président-directeur général de Renault Louis Schweitzer.

 

Après huit mois d’auditions, le jury de sélection s’est finalement arrêté sur un seul nom. Celui d’un pur produit de l’IHU, qui a réalisé l’essentiel de sa carrière à l’ombre de Didier Raoult, le professeur Pierre-Edouard Fournier, bientôt 56 ans, microbiologiste et actuel responsable de la plate-forme de diagnostic moléculaire de l’IHU.


En finir au plus vite avec le feuilleton Raoult

Les dix-huit membres du conseil d’administration de l’institut – dont les six fondateurs qui exigeaient le remplacement de Didier Raoult avant la fin 2022 – étudieront sa nomination le 13 juillet, pour une prise de fonction qui, selon le candidat, pourra intervenir à partir du 1er août. Pour Louis Schweitzer, Pierre-Edouard Fournier a « la capacité, grâce à sa connaissance de l’IHU, de mener ce changement de cap dans le sens qui a été jugé nécessaire et souhaitable par les experts ». Le jury, dont sept membres sur douze sont également des membres du comité scientifique de la fondation façonné par Didier Raoult, a partagé cet avis.

L’annonce du choix de Pierre-Edouard Fournier, via un simple communiqué de l’institut, n’a suscité aucun commentaire officiel des instances directement concernées. Pas plus à l’AP-HM, où M. Fournier est un praticien apprécié par la communauté médicale, qu’à AMU ou au sein de l’Institut de recherche et de développement (IRD), dont la directrice, Valérie Verdier, menaçait de rompre ses conventions avec l’IHU fin 2022, si les méthodes de management et la parité au sein des postes dirigeants n’évoluaient pas. Chacun renvoie au conseil d’administration du 13 juillet.

Pour l’ensemble de ces partenaires incontournables de l’IHU, l’attitude du professeur Fournier, qui s’est détaché des choix de son ex-mentor au cours des derniers mois après en avoir été un ardent défenseur, et surtout la volonté d’en finir au plus vite avec le feuilleton Raoult, étape incontournable à un retour à la normalité de la gouvernance de l’IHU, peuvent expliquer leur assentiment. Si, en mai 2021, M. Fournier a cosigné avec Didier Raoult un courrier à la revue The Lancet où il estime que, selon les chiffres de l’institut, le vaccin « ne protège ni de l’hospitalisation, ni des formes graves » du Covid-19, il a, début 2022, été l’un des rares médecins de l’IHU à signer l’appel à la vaccination lancé par l’AP-HM.


Mais plusieurs ombres planent encore sur sa nomination probable. Membre du laboratoire Vitrome, spécialisée dans les infections tropicales et méditerranéennes, Pierre-Edouard Fournier a occupé de 2016 à 2020, la fonction de secrétaire du comité d’éthique de l’IHU. Une structure directement touchée par les critiques du dernier rapport de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) évoquant les « graves manquements » de l’institut dans le domaine des recherches impliquant la personne humaine. Mais qui, selon nos informations, ne serait pas pointée par le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) actuellement dans sa phase contradictoire.

La condamnation d’Eric Ghigo, 49 ans, à dix-huit mois de prison dont six fermes par le tribunal correctionnel de Marseille, lundi 4 juillet, trouble plus sérieusement le tableau. Ce scientifique, reconnu pour ses découvertes sur le ver planaire, a été jugé coupable d’agression sexuelle et de harcèlements moral et sexuel sur des collègues féminines au sein de l’IHU. Son avocat a fait savoir qu’il ferait appel de cette décision de justice. Lors du procès, début mai, M.Ghigo a cité comme témoins de la défense plusieurs membres de l’institut du professeur Raoult dont Pierre-Edouard Fournier qui assure « n’avoir jamais été témoin d’aucun agissement répréhensible » du prévenu.


Un climat de « maltraitance des personnels » à l’IHU

Les liens entre Pierre-Edouard Fournier et Eric Ghigo sont nombreux. Le professeur et son collègue ont cosigné de nombreuses études, y compris depuis la radiation d’Eric Ghigo du CNRS en 2017, suite aux faits dénoncés. Les deux hommes ont été associés au sein d’une des nombreuses start-up lancées par l’IHU, Techno-jouvence, qui compte également comme actionnaire Didier Raoult.« Je ne considère pas que continuer à travailler avec M. Ghigo, tant qu’il n’a pas été condamné, constituait un délit », confie au Monde M.Fournier.

Une situation qui fait bondir la section CGT-FERC Sup d’Aix-Marseille Université, qui dénonce depuis de nombreuses années un climat de « maltraitance des personnels » au sein de l’IHU. « Nous nous interrogeons très sérieusement sur la capacité de M. Fournier à changer le cap après le départ de Didier Raoult. Il est là depuis longtemps et n’a jamais rien fait contre le management toxique de la direction » attaque Cédric Bottero, secrétaire général CGT-FERC Sup d’AMU. Le syndicat annonce dans un communiqué qu’il fera « tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher cette mascarade de succession ».


L’interpellation laisse Pierre-Edouard Fournier serein. « J’entends les critiques et je ne peux pas y répondre tant que je ne suis pas nommé. Mais ma volonté est bien de changer profondément l’IHU » se défend le professeur, qui reconnaît aujourd’hui que « tout n’a pas été réussi » dans la gestion du Covid-19 au sein de l’institut.