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Garantir le droit à l’info : un chantier sans illusion en France

Garantir le droit à l’info : un chantier sans illusion en France

Après l’affaire du JDD et les convocations de journalistes, les états généraux de la presse en France s’ouvrent sur un volcan. Pour quels débouchés ? Tout dépendra de la volonté de l’Elysée. Indépendance des médias, financement, fake news, secret des sources… les états généraux de la presse se sont ouverts ce mardi en France. Indépendance des médias, financement, fake news, secret des sources… les états généraux de la presse se sont ouverts ce mardi en France. - AFP. Joëlle Meskens Envoyée permanente à Paris
Par Joëlle Meskens
Publié le 3/10/2023 à 20:06 Temps de lecture: 3 min

C’est un travail qui va s’étaler jusqu’au printemps. Avec un menu copieux : l’indépendance des médias, leur financement, les ingérences étrangères, les fake news, l’intelligence artificielle et le secret des sources, notamment. Les états généraux de la presse se sont ouverts ce mardi en France sous la houlette de Christophe Deloire, le patron de Reporters sans frontières (RSF), désigné délégué général. « Ce sera un moment historique, avec un dispositif de rencontres et des délibérations citoyennes », nous expliquait-il cet été. Ces assises avaient été promises de longue date par Emmanuel Macron. A peine réélu, en 2022, il avait juré que « la France serait toujours du côté de ceux qui luttent pour nous informer ». Mais les travaux démarrent en plein climat de tension.

 

L’affaire du Journal du dimanche et sa grève historique restent dans tous les esprits. Depuis que son propriétaire, Vincent Bolloré, a placé à sa tête Geoffroy Lejeune, venu du magazine d’extrême droite Valeurs actuelles, le titre n’a plus rien à voir avec ce qu’il a été pendant 75 ans. Après le séisme meurtrier au Maroc début septembre, il n’y avait pas une ligne en une sur la tragédie, l’hebdo préférant titrer « Allons enfants de la Patrie » pour saluer l’entrée en lice de l’équipe nationale de rugby. Pascal Praud, qui se demandait, il y a quelques jours sur CNews, s’il n’y avait pas un lien entre les migrants et les punaises de lit, y tient une chronique très en vue. « Plus de 90 % des journalistes sont déjà partis ou sont sur le départ », explique Bertrand Gréco, ancien responsable de la société des journalistes. L’équipe organisera d’ailleurs le 9 octobre au Châtelet une soirée pour présenter un nouveau projet collectif.

L’autre tourbillon qui agite la profession est la récente garde à vue d’Ariane Lavrilleux qui a suscité des questionnements sur une possible atteinte au secret des sources. Après une perquisition à son domicile marseillais, cette journaliste du site Disclose avait été entendue pendant 40 heures par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Les policiers avaient saisi ses documents ayant trait à une enquête menée sur le détournement d’une mission française de renseignements menée en Egypte. A la suite de l’interrogatoire de la journaliste, un ancien militaire, qui aurait été identifié comme la source présumée d’informations classées « secret-défense », a été mis en examen. Un épisode qui avait d’autant plus choqué qu’au même moment, trois journalistes de Libération qui enquêtaient sur des violences policières avaient été convoqués par la PJ de Lille.

Un président ambigu

Les états généraux de l’information débuteront d’abord par une phase de diagnostic. Cinq groupes de travail (citoyenneté et démocratie, gouvernance et régulation, etc.) seront animés par des experts, mais ouverts au-delà de la profession. Les travaux pourraient déboucher sur des mesures législatives, fiscales ou budgétaires. Cofondateur du site d’investigation Disclose, Mathias Destal ne verrait pas d’un mauvais œil la constitutionnalisation du secret des sources, par exemple. « On aurait au moins un texte fort à invoquer. RSF propose aussi que les journalistes ne soient pas soumis au délit de compromission du secret de la défense nationale sauf s’ils mettaient en danger de façon grave et inconsidérée la sécurité de la nation. Les journalistes travaillent en responsabilité, on n’est pas là pour déstabiliser un pays ! »

 

Benoît Collombat, de la cellule Investigation de Radio France, est plus sceptique. « J’y vois une opération de communication politique. On voit bien qu’il n’y a actuellement aucune volonté politique pour s’attaquer à la question structurelle du fonctionnement des médias. A la distribution de l’argent public, par exemple. Aujourd’hui, il profite en grande partie à des hommes d’affaires millionnaires qui n’ont pas besoin de ces aides publiques. On ne voit pas non plus la volonté de repenser les lois anti-concentration pour faire en sorte qu’un homme d’affaires qui a des contrats avec l’Etat ne puisse pas détenir des médias. »

L’ambiguïté d’Emmanuel Macron est aussi mise en avant. N’était-ce pas ce président qui avait voulu restreindre le droit de la presse en soumettant la couverture des manifestations à une accréditation ? N’était-ce pas ce président qui, pendant l’épidémie de covid, avait été tenté, via un éphémère site « désinfox », de passer au filtre du gouvernement les articles sur le virus ?

Les états généraux de la presse s’ouvrent dans une atmosphère de discrédit et de confusion. Selon une enquête de l’institut Harris Interactive, 68 % des Français jugent l’information qu’on leur propose décalée par rapport à leurs attentes.

 

Le Parlement européen adoube l’espionnage des journalistes

Les députés se sont prononcés sur le Media Freedom Act, un projet-règlement visant à renforcer la liberté de la presse en Europe. Le forcing de la France pour autoriser les logiciels espions a passé la rampe. Belgaimage-44637125.jpg AFP. Philippe Laloux Journaliste au pôle Economie
Par Philippe Laloux
Publié le 3/10/2023 à 20:06 Temps de lecture: 2 min 

 

Au final, le texte adopté ce mardi par les députés n’a plus tout à fait la même couleur, du moins en ce qui concerne le premier point. Plusieurs dispositions, renforçant globalement les standards de la liberté de la presse, singulièrement dans les pays ne respectant pas l’Etat de droit (comme la Hongrie ou la Pologne), ont certes été saluées positivement. C’est le cas de l’interdiction de détentions de journalistes, les fouilles de documents et perquisitions, ou encore la protection de leurs sources. En clair, une telle loi serait de nature à empêcher l’épisode de garde à vue de la journaliste Ariane Lavrilleux par les autorités françaises.

 

Un autre point de crispation, lui, a finalement fait l’objet d’un compromis. Il concerne le « pouvoir de censure » que les plateformes peuvent exercer sur les contenus postés par les médias. L’idée globale consiste à dire qu’un article légal hors ligne ne doit pas pouvoir disparaître en ligne sur la seule décision de Facebook ou X (ex-Twitter). Le texte du Parlement prévoit donc l’obligation pour ces plateformes d’avertir le média 24 heures avant de procéder à une éventuelle suspension, lui laisser le temps de se défendre. Trop long pour empêcher la désinformation de se répandre, estiment certains. Trop flou pour éviter d’exclure certains médias alternatifs ou des ONG de cette protection, estiment d’autres.

 

Mais là n’est pas l’os. Sous la pression de la France, le Conseil européen avait ouvert la voie à la possibilité, pour des raisons de « sécurité nationale », d’utiliser des logiciels espions, de type Pegasus, à l’encontre de journalistes. Plus de 80 organisations et syndicats de journalistes, le groupe des Verts ALE au Parlement, se sont mis vent debout contre cette disposition synonyme, pour eux, d’un arrêt de mort pour la liberté de la presse. Et à tout le moins, bien en deçà des standards fixés, entre autres, par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

 

Avant son adoption, le projet de règlement doit encore faire l’objet de négociations entre le Parlement, la Commission et le Conseil.