JustPaste.it

L’eau en bouteille massivement polluée par des nanoparticules de plastique

Des travaux publiés mardi font état de 240 000 particules par litre d’eau testée. L’impact sur la santé reste méconnu, en raison du manque d’études épidémiologiques.

Par Stéphane Foucart 

 

Des bouteilles en plastique d’eau minérale sur une ligne d’embouteillage,  Arcachon, France, en octobre 2018.

Des bouteilles en plastique d’eau minérale sur une ligne d’embouteillage, Arcachon, France, en octobre 2018. REGIS DUVIGNAU / REUTERS

Parfois préférée à l’eau du robinet pour sa pureté supposée, l’eau en bouteille souffre d’une contamination d’une ampleur insoupçonnée : celle des nanoparticules de plastique. C’est la conclusion saillante d’une étude américaine publiée mardi 9 janvier dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. Les auteurs, conduits par Wei Min (université Columbia, à New York), y détaillent une nouvelle méthode optique de détection et de caractérisation des micro- et nanoparticules de plastique, et la mettent en œuvre sur trois marques d’eaux conditionnées.

Le résultat est saisissant et indique la présence moyenne d’environ 240 000 particules par litre d’eau testée, soit « de cent à mille fois plus que précédemment rapporté ». Jusqu’à présent, la détection et l’identification de ces minuscules fragments se focalisaient sur des tailles supérieures au micromètre (µm), les particules plus petites ne pouvant être détectées simplement. Or, dans les eaux en bouteille analysées, ces nanoparticules sont bien plus nombreuses. Elles représentent, selon l’étude des chercheurs américains, environ 90 % des particules identifiées. Les auteurs ne divulguent pas les trois marques testées et estiment que, pour toutes les autres dénominations commerciales, des niveaux de contamination comparables sont à attendre.

 

Ces résultats sont d’autant plus importants que plus elles sont petites, plus ces particules sont susceptibles de traverser les barrières biologiques, donc d’entrer dans la circulation sanguine et d’être en définitive distribuées dans les organes, y compris le cerveau. Les risques sanitaires pour la population humaine demeurent méconnus, principalement en raison du peu d’études épidémiologiques. « Les connaissances manquent encore et beaucoup sont en cours d’acquisition, dit le toxicologue Nicolas Cabaton, chercheur, à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), à l’unité Toxalim de Toulouse. Mais on peut d’ores et déjà redouter que les substances toxiques transportées par ces micro- et nanoparticules, comme des bisphénols par exemple, n’ajoutent des effets délétères à la toxicité intrinsèque des fragments de plastique eux-mêmes. »

 

Effets néfastes sur la flore intestinale

Des études sur les animaux de laboratoire ou des cultures cellulaires suggèrent des effets nocifs sur le métabolisme, le développement cérébral, des dégâts sur le matériel génétique ou encore la respiration cellulaire. Des travaux français publiés en 2023, menés par Elora Fournier (université Clermont-Auvergne, Inrae) et Muriel Mercier-Bonin (Inrae), ont mis en évidence, pour la première fois, des effets néfastes de l’exposition répétée à des microparticules de plastique sur la flore intestinale. « Nous avons reproduit l’écosystème intestinal humain en bioréacteur et soumis le microbiote d’adultes et d’enfants à une exposition quotidienne à des microparticules de polyéthylène, explique Muriel Mercier-Bonin. Nous avons observé un bouleversement de la composition du microbiote, avec une augmentation de l’abondance de bactéries pathobiontes [espèces potentiellement pathogènes] et une diminution d’abondance de certaines espèces bénéfiques. »

Si les conséquences cliniques de telles observations demeurent imparfaitement évaluées, la contamination généralisée de la population humaine ne fait guère de doute, notamment par le biais de la chaîne alimentaire et de l’eau de boisson. En 2022, des travaux italiens ont ainsi montré que le lait maternel de la plupart des femmes allaitantes était contaminé, notamment par des microparticules de polyéthylène, de polytéréphtalate d’éthylène (PET) et de polychlorure de vinyle (PVC) – les microparticules détectées s’échelonnant de 2 à 12 µm.

 

La même année, une étude néerlandaise estimait pour la première fois – sur la base d’un échantillon d’une vingtaine de personnes issues de la population générale – que la quantité de plastique circulant dans le sang humain était de l’ordre de 1,6 milligramme par litre (mg/l). Mais cette estimation n’était fondée que sur l’analyse des particules de taille supérieure à 700 nanomètres. « Il est important de mettre au point de nouvelles méthodes analytiques capables de détecter, dans le sang, les organes ou d’autres matrices, des nanoparticules de plastique de très petite taille, comme ces nouveaux travaux semblent être en mesure de le faire dans l’eau, dit Mme Mercier-Bonin. Cela permettrait de lever un verrou fondamental dans la connaissance de l’étendue réelle de la contamination des milieux, des écosystèmes, de la chaîne alimentaire et les organismes. »

 

Indices sur les sources de contamination

Pour l’heure, dans l’eau des bouteilles des trois marques testées, les chercheurs américains ont mis en évidence sept types de matière plastique, en particulier du polyamide, du polypropylène, du polyéthylène, du PVC ou encore du PET. Les deux premières marques montrent une répartition comparable des plastiques identifiés, le polyamide représentant de 70 % à 80 % de la masse de plastique retrouvée dans l’eau. Le même plastique ne représente que 17 % de la masse de plastique retrouvée dans la troisième, dominée par le PET (63 %).

La répartition de ces différents plastiques dans les bouteilles donne des indices sur les sources de contamination de l’eau. Selon les chercheurs, la contamination au PET, notamment, pourrait provenir des bouteilles elles-mêmes puisque celles-ci sont constituées de ce matériau. En revanche, d’autres contaminants plastiques trahissent d’autres causes, comme le polyamide qui constitue, expliquent les chercheurs, les membranes de filtration de l’eau utilisées par les embouteilleurs.

Les nano- et microparticules de PVC et de polystyrène sont pour leur part plus abondantes à mesure que leur taille diminue, une « caractéristique unique » qui les distingue des autres fragments retrouvés. Une spécificité qui pourrait indiquer une source de contamination en amont du traitement et de l’embouteillage de l’eau, selon les chercheurs, c’est-à-dire une présence sans doute largement ubiquitaire dans l’environnement.

Stéphane Foucart