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Vampires nouveaux

     Slas retardait toujours le moment où il devait se rendre à la banque de sang, presque au point de s’en rendre faible. Non pas parce qu'il éprouvait une quelconque pitié pour ces êtres inférieurs, mais bien parce qu'il détestait assister au spectacle de leur misère. Parfaitement installé dans les bâtisses individuelles rectangulaires et bien chauffées du quartier numéro 2, bien placés sur les rives du fleuve pourpre nouveau, il évitait ainsi toujours le spectacle affligeant des classes humaines inférieures s'agglutinant dans les ruelles sombres du bas quartier afin de se réchauffer, jouant et riant malgré leur manque flagrant d’énergie, au nom du bonheur passé et de leur piètre humanité. Rien ne le dégoûtait plus (lui et les autres de son rang) que ces êtres qui s'efforçaient à ne pas se soumettre à l’inévitable progrès, progrès de la race auquel même leur évolution avait été réfractaire, et ce au nom de quoi ? Au nom d’un triste passé lointain.
     Slas préférait tout de même aller à la banque de sang, bien qu’assez paradoxalement, il avait en horreur le fait que les castes humaines inférieures osent ainsi vendre leur sang, et leur dignité au rabais. Parfois il se demandait pourquoi ceux-ci s'efforçaient à vivre alors que ce monde ne leur apportait rien, alors que cette terre leur était si dure, si infertile, et que leurs propres frères de sang les haïssaient. Peut-être s’efforçaient-ils par romantisme, par amour de la vie ou bien par décence pour les populations qui autrefois moururent dans la grande guerre et l’effondrement de la Terre ; alors qu’eux eurent la chance de s’installer sur une colonie nouvelle. Mais pouvait-on réellement parler de chance ?  Slas savait pertinemment qu’il faisait partie des privilégiés, des bénis de l’évolution qui avaient réussi à s’adapter à cette terre aride, sans soleil, où il était impossible de faire pousser quoique ce soit. Il se demandait même comment les premiers humains installés survécurent jusqu’à ce que leur organisme s’adapte et évolue. Mais ceux dont l’organisme n’avait pas évolué n’étaient alors que des fantômes du passé. Des humains archaïques. Méprisables. Les castes inférieurs aimaient appeler ceux de la race de Slas des “vampires” en référence à d’anciennes créatures du folklore terrien, par mépris et peur pour cette évolution. Ils étaient sans cesse tournés vers le passé, et c’est ce que Slas leur reprochait. Car cette évolution pour Slas n’avait rien de monstrueuse. Elle était un don. Le même don qui permit autrefois aux Sapiens de prendre le dessus sur les Néandertaliens. Les castes inférieures étaient alors des néandertaliens qui tentaient misérablement de survivre alors que l’histoire avait déjà prévu l’avènement du sapiens. Ou plutôt du règne du Strigoi Sapiens. Élevé dans ce mépris pour les non-évolués (sûrement dû à un dégoût radical de tout ce qui pouvait rappeler aux nouveaux humains leur bijou perdu, la Terre), bien que Slas s’intéressait grandement à la culture et à l’histoire humaine pré-coloniale et d’avant l’effondrement par érudition, il ne pouvait les comprendre car un trop grand fossé les séparait : celui de l’évolution.
     Mais Slas ne pouvait se résoudre non plus à aller chasser ses ancêtres biologiques avec ceux de son espèce qui avaient développé sur cette Nouvelle Terre 37 un certain penchant sadique. Leur évolution comprenait encore quelques mystères que leur science ne pouvait percer. Certes, les crocs, la peau blanche, tout cela avait un sens. Sur la Nouvelle terre 37 il n’y avait pas de soleil, ou du moins la terre ne bénéficiait que de maigres rayons d’un soleil fort lointain, et ne pouvant uniquement à leur arrivée se nourrir que de sorte de mammifères insectivores gorgés de sang chaud (Slas pensait que le Tatou terrien était ce qui ressemblait le plus à ces animaux qu’il connaissait) , les crocs tranchant leurs devinrent essentiels et remplacèrent ainsi armes en tout genre. Ces crocs devinrent une extension de leurs corps qui remplacèrent les traditionnelles lames. Mais comment expliquer le tempérament si particulier de sa race ? Toute cette haine, ce sadisme, cette sournoiserie ? Peut-être était-ce là l’expression particulière de leur nostalgie pour la Terre ? Bien que parmi la génération de Slas de nombreux jeunes se revendiquaient désormais totalement indépendants de l’ancienne race humaine. Slas n’était pas si extrême. Il ne comprenait pas pourquoi les Strigoi prenaient autant de plaisir à chasser les humains archaïques, à les tourmenter. Leur peine n’était-elle pas assez grande ? Ainsi, puisque la Nouvelle terre 37 suivait les tendances démocratiques et libertaires de l’ancienne, il avait le choix d’aller se nourrir aux banques de sang.

     En attendant pour recevoir sa ration réglementaire, Slas croisa le regard d’un jeune homme d’à peu près son âge, pâle (sûrement à cause de l’extraction d’une grande quantité de son sang) qui lui ressemblait fortement. En effet, bien que Slas possédait des crocs et avait une peau presque transparente, une mâchoire bien plus dessinée et des épaules plus larges, son image se reflèta dans celle de ce jeune homme comme s’il se tenait devant un miroir. La seule chose qui les distinguait était leur statut, leur différence biologique et de rang dans la chaîne alimentaire. Mais leur ressemblance réunissait ce qu’ils avaient étrangement tous les deux en commun : leur humanité première. Cette grande ressemblance le troubla.

 

En attendant pour recevoir sa ration réglementaire, Slas croisa le regard d’un jeune homme d’à peu près son âge, pâle (sûrement à cause de l’extraction d’une grande quantité de son sang) qui lui ressemblait fortement. En effet, bien que Slas possédait des crocs et avait une peau presque transparente, une mâchoire bien plus dessinée et des épaules plus larges, son image se reflèta dans celle de ce jeune homme comme s’il se tenait devant un miroir. La seule chose qui les distinguait était leur statut, leur différence biologique et de rang dans la chaîne alimentaire. Mais leur ressemblance réunissait ce qu’ils avaient étrangement tous les deux en commun : leur humanité première. Cette grande ressemblance le troubla.