Analyse L'attentat de Christchurch, au nom de la suprématie blanche
Le terroriste de Christchurch a motivé son acte en s’appuyant sur cette théorie raciste et xénophobe. Ce chercheur néo-zélandais appelle médias et politiques à ne pas alimenter le sentiment identitaire.
Le vendredi 15 mars, un homme est entré dans la mosquée Al-Nour, près du parc Hagley à Christchurch. Dans la demi-heure qui a suivi, il a abattu par balles 50 personnes dans ce lieu de culte et dans une seconde mosquée située à quelques kilomètres de là, dans la banlieue de Linwood. La police a arrêté cet homme, qui a été inculpé de meurtre, même s’il sera probablement accusé de terrorisme au titre de la loi néo-zélandaise sur la lutte contre le terrorisme.
Le prévenu est un Australien de 28 ans qui a vécu par intermittence en Nouvelle-Zélande à compter de 2013. Dans le “manifeste” publié sur Internet juste avant son passage à l’acte, il fait de nombreuses blagues pour initiés, le tout dans le but de gagner des points auprès de sa communauté en ligne de racistes et d’extrémistes.
Le thème principal du manifeste est bien plus dangereux. L’auteur y déclare son adhésion au nativisme, c’est-à-dire un mélange de nationalisme et de xénophobie exigeant que certaines régions soient sous le contrôle d’un groupe qui s’identifie comme le premier peuple véritable d’un territoire (quitte à ne pas en être les seuls habitants). Pour les populations autochtones de Nouvelle-Zélande, d’Australie et d’ailleurs, il est scandaleux (et risible) que des nationalistes blancs revendiquent un statut de premier peuple véritable sur ces territoires. C’est pourtant ainsi que se voient les nativistes blancs dans de nombreuses sociétés colonisées.
Un nativisme transnational
Aujourd’hui, le nativisme est de plus en plus transnational : les différents mouvements communiquent entre eux, s’influencent et coopèrent. Autrefois, les identitaires cherchaient à protéger la nation, mais leur combat est maintenant d’ordre racial et civilisationnel. Les catholiques, les Juifs, les Africains-Américains, les Chinois, les Européens du Sud et d’autres ont tous été la cible du nativisme par le passé, et ces agressions n’ont pas complètement disparu. Malgré tout, les musulmans sont actuellement les principaux visés.
Dans la plupart des cas, sinon tous, le racisme et le refus de l’immigration sont liés. Les nativistes (comme le terroriste de Christchurch) dénoncent fréquemment la natalité ou le taux de criminalité prétendument élevés de telle ou telle population immigrée. D’où les 56 occurrences du terme “envahisseur” dans le manifeste du tueur de Christchurch – presque une par page. Le but des nativistes est de susciter la peur de l’immigration chez la population prétendument “de souche”. Le concept néonazi de “génocide blanc” qu’utilisent abondamment les éditorialistes de l’alt-right et autres nationalistes blancs en est un exemple. Le “grand remplacement” [en référence au titre de l’ouvrage du Français Renaud Camus], que le tueur a choisi pour titre de son manifeste, en est un autre. Par la peur, et par la violence terroriste, les meurtriers entendent provoquer la division et le conflit ainsi qu’une guerre civile entre population locale et immigrée.
La banalisation des idées
Revenons sur de récentes violences nationalistes blanches. En 2011, Anders Behring Breivik avait fait 77 morts, en majorité des jeunes militants du Parti travailliste, à Utoya, en Norvège, parce qu’il était convaincu que ce parti encourageait la “conquête” et la “colonisation” musulmanes de son pays et du reste de l’Europe. À Québec, Alexandre Bissonnette a assassiné six fidèles d’une mosquée : il dit qu’il pensait sa famille menacée par des musulmans, et qu’il a décidé de passer à l’acte le 29 janvier 2017, quand le Premier ministre Trudeau a annoncé que le Canada accueillerait les réfugiés. Aux États-Unis, l’homme qui en octobre 2018 a tué 11 personnes à la synagogue Tree of Life de Pittsburgh a agi mû par l’idée que la Hebrew Immigrant Aid Society, une association juive d’aide aux migrants, faisait entrer “des envahisseurs qui tuent notre peuple”.
Tous les tueurs (à ma connaissance il n’y a pas de femme parmi les auteurs récents d’actes terroristes suprémacistes blancs) sont des émules et des admirateurs de ceux qui les ont précédés. Ce qui contribue plus encore à la banalisation de ces idées, c’est la reprise de ces revendications identitaires par des personnalités et partis politiques cherchant à séduire un certain électorat, de la formation d’extrême droite Notre Slovaquie à Aube dorée en Grèce, de One Nation en Australie au Parti républicain aux États-Unis. Les idées nativistes n’ont sans doute jamais joui d’une telle audience et d’une telle légitimité que depuis l’élection de l’actuel locataire de la Maison Blanche.
On peine à voir comment faire refluer la marée montante de l’idéologie identitaire et suprémaciste blanche. Facebook, Twitter et les médias nationaux doivent assumer leurs responsabilités et lutter contre les incitations à la haine et à la violence : s’ils n’en prennent pas eux-mêmes l’initiative, ils doivent y être contraints. Si ce n’est pas encore le cas, les forces de l’ordre doivent surveiller les nationalistes blancs avec la même vigilance, au moins, que les autres mouvements extrémistes. Plus crucial encore, les personnalités publiques, politiques, médiatiques, universitaires ne doivent jamais perdre de vue les périls du nativisme quand elles abordent le thème de l’immigration. Toute exagération d’un méfait commis par un immigré (sans parler de l’invention pure et simple de rumeurs), toute affirmation d’une prétendue menace que représenterait l’immigration pour une société, vient jeter de l’huile sur le feu du sentiment identitaire et lui donner une légitimité – et ce faisant, inciter à de nouveaux actes de violence.