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 Si la situation explose en Algérie, il y a un risque migratoire compris entre 200 000 et plusieurs millions de personnes

 

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Valeurs Actuelles par Emmanuel Aumonier Publié le 13/03/2019

 

Historien spécialiste de l'Afrique, auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont “Algérie, l'Histoire à l'endroit” (2017, L'Afrique Réelle), Bernard Lugan décrypte les enjeux et les scénarios possibles de la crise algérienne. Et alerte sur le risque d'une vague migratoire sans précédent.

Le système Bouteflika est-il en train de s’effondrer ?
Nous sommes dans une phase authentiquement révolutionnaire, avec un système qui est à bout de souffle et essaie de trouver toutes les ruses possibles pour tenter de se maintenir en place. Ce système est composé d’un certain nombre de clans et n’a pas été capable de trouver un successeur à Bouteflika. Il essaie donc de prolonger le système sans lui. Il y avait deux possibilités : soit, capituler, soit prolonger le mandat de Bouteflika pour avoir une marge de manœuvre, gagner du temps, diviser l’opposition et être le maître du calendrier politique. C’est ce qu’ils sont en train d’essayer de faire.

Les Algériens vont-ils accepter ce cas de figure ?
C’est toute la question. La rue va-t-elle accepter de se faire déposséder de sa victoire ? On va le savoir vendredi : il y a un appel massif à manifester. Ce jour-là, il y aura deux possibilités : soit les protestations s’amplifient, soit elles s’essoufflent. S’il y a plus de monde, cela signifie que le régime est en train de perdre son pari. A ce moment-là, il y aura deux issues possibles : la première, un soulèvement progressif, avec des grèves générales et des manifestations. La deuxième, une intervention de l’armée. Pas avec les vieux chefs de l’armée qui sont discrédités mais avec les jeunes généraux et colonels qui feraient à l’intérieur de l’armée leur propre coup d’Etat silencieux, prenant le pouvoir et assurant en quelque sorte l’interim dans une solution démocratique électorale.

Pas de risque de guerre civile ?
On ne pas prévoir ce qui va se passer. Si l le régime rate son coup de poker alors tout est possible y compris la guerre civile. Le régime a la capacité d’organiser des provocations lors des manifestations à venir, notamment celle de vendredi, avec des poseurs de bombes et des casseurs. Si la situation dégénère, le régime peut crier à l’anarchie et se poser comme le seul garant contre le chaos. Là encore, la rue ne devrait pas l’accepter et il pourrait encore y avoir des dérapages et une option sanglante.

Y a t-il un risque islamiste en Algérie ?
Immédiatement, l’islamisme n’est pas un problème majeur en Algérie car le côté militant djihadiste a été liquidé par l’armée au prix de dizaines de milliers de morts. Il reste l’islamisme politique, qui pour essayer de survivre à la période d’épuration ayant suivi la décennie noire, a pactisé avec le régime. Pour l’opinion, les islamistes font donc partie du régime et doivent être liquidés avec lui. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne vont pas réapparaître mais actuellement ils font profil bas : on le voit dans les manifestations, il y a peu de femmes voilées ou de barbus.
A moyen terme, les islamistes peuvent néanmoins renaître. Ceux qui vont hériter du système - supposons que ce soient des démocrates au sens européen du terme - vont se trouver face à une crise économique absolument terrible. C’est à ce moment-là que les islamistes, pour le moment en embuscade, vont devenir dangereux, car le pays sera intenable économiquement. Si le système Bouteflika s’effondre, on a immédiatement 5 millions d’Algériens qui ne vivent que par les aides de l’Etat et du FLN qui vont devenir des clochards. Là, il n’y aura plus les moyens d’acheter ces gens et la paix sociale. La révolution qui se prépare aujourd’hui est peut-être l’amorce de la prochaine révolution qui se produira d’ici 4 ou 5 ans quand les effets de la première révolution se traduiront dans la réalité du corps social. C’est alors qu’il faudra se méfier des islamistes.

Cela fait des années que le régime aurait pu préparer l’après Bouteflika. Pourquoi ne sont-ils pas parvenus à lui trouver un successeur ?
Bouteflika est un légume. Tout le monde se disait que les différents clans allaient parvenir à se mettre d’accord pour trouver un successeur. Ces différents clans, ce sont les profiteurs du régime. Il y a d’abord ceux qu’on appelle les oligarques, ensuite c’est la famille, le clan régional de Bouteflika, puis l’armée et enfin le FLN, le parti historique. Mais ces clans sont divisés entre eux. Avant il n’y avait que cinq ou six clans mais maintenant il y a plusieurs dizaines de clans qui tournent autour du pouvoir. Par conséquent, ils ont été incapables de se mettre d’accord. C’est la raison pour laquelle ils ont été contraints de laisser Bouteflika faire un 5ème mandat, plutôt que de laisser le pouvoir à n’importe qui, qui pourrait les liquider. Mais là, ils sont pris à la gorge, ils se rendent compte qu’ils ont fait une erreur. Ils vont donc tenter de trouver un successeur. Quand le système va préparer une alternance avec une nouvelle constitution et un dialogue national, à ce moment-là, ils vont essayer de faire émerger quelqu’un dont ils sont sûrs qu’il puisse garantir leur sécurité. Car si le camp Bouteflika est renversé, il va y avoir des règlements de compte et une épuration terrible. Mais il n’y a personne car la rue rejette tout ce qui touche de près ou de loin au régime.

Quel est l’intérêt de la France et les risques en termes de migrations ?
La France a un seul intérêt, c’est de se taire. Il y a deux seuls moyens de faire l’unité en Algérie, c’est une guerre contre le Maroc ou de brocarder la France. La seule position c’est donc de ne rien dire. Mais je ne vois pas comment la France peut éviter un déferlement migratoire en cas de crise. Il y a en Algérie plus de 200 000 binationaux qui peuvent rentrer en France du jour au lendemain. Et puis, il y a le regroupement familial. En Algérie près de 40% de la population a des liens familiaux avec des binationaux et des Algériens vivant en France ou des français d’origine algérienne. Il faut que le gouvernement se prépare au pire. Gouverner c’est prévoir : il y a un vivier d’au minimum 200 000 personnes et au maximum de plusieurs millions si la situation explose.

Si on ne récupère pas ces Algériens, on récupèrera ceux du clan Bouteflika. Imaginons que la Révolution se passe de manière plus ou moins pacifiste, tout le clan régimiste, toute cette équipe qui a pillé l’Algérie pendant des années va fuir et ces gens ont des moyens, ils ont des appartements en France, des villas, des comptes en banque. Au mieux, nous récupérerons le clan des voleurs.

Peut-on être optimiste pour l’Algérie ? 
Le pays est ruiné, la rente pétrolière a diminué et les réserves de pétrole s’épuisent. S’il n’y a pas de découverte énorme dans les années qui viennent, dans 20 ans l’Algérie ne pourra plus exporter de pétrole. Il n’y a plus ni économie, ni industrie, ni agriculture. L’Algérie achète tout, elle ne produit même plus assez de tomates pour sa consommation, elle importe son couscous, son lait. Et il faut le payer, tout cela. Tant que le pétrole était une rente, cela allait, mais avec un baril de pétrole qui baisse et des quantités de pétrole disponible qui diminuent, ce n’est plus possible. La démographie a repris, avec un taux de presque 5 enfants par femme, ce qui fait que l’Algérie ne peut pas donner de travail à ses jeunes. Leur chômage est considérable, malgré une jeunesse éduquée. Vue de manière froide, la situation est dans l’immédiat sans issue. Il faut reconstruire entièrement un tissu économique, il faut refaire le système administratif. Le corps des fonctionnaires est pléthorique en Algérie encore plus qu’en France. Il y a 5 millions d’assistés. Je ne peux être qu’extrêmement pessimiste pour ce pays.