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“Qui définit ‘l’esprit de la nation’ ?” Le projet de réforme qui effraie en Chine

Actuellement soumise à une “concertation” par l’Assemblée, une mesure destinée à punir les actes qui “sapent l’esprit” ou “blessent le sentiment de la nation chinoise” suscite des inquiétudes.

 

Publié le 7 septembre 2023
Réunion de clôture d’une session du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire, à Pékin, le 1ᵉʳ septembre 2023.
Réunion de clôture d’une session du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire, à Pékin, le 1ᵉʳ septembre 2023. PHOTO ZHANG LING/Xinhua/AFP

 

Sur son site officiel, l’Assemblée nationale populaire (ANP) chinoise lance une invitation au peuple pour une durée de trente jours, pour une “concertation sur le projet de révision de la loi sur les sanctions liées à l’administration de la sécurité publique”. Cette loi, connue sous le nom de “mini-Code pénal”, est conçue pour traiter les infractions mineures, qui ne constituent pas un crime. Avec les sanctions pénales, les sanctions de l’administration de la sécurité publique constituent un mécanisme important de répression.

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Le projet a suscité l’incrédulité de la population, comme en témoigne, sur Weibo, Lao Dongyan, professeure de droit pénal à l’université Tsinghua, à Pékin, qui raconte n’avoir pas cru cette information. “Je me suis rendue sur le site de l’Assemblée nationale populaire chinoise… Et j’ai appris que c’était bien le cas”, reconnaît-elle sur Weibo. La professeure Lao confirme son opposition aux dispositions prévues dans les alinéas 2 et 3 du projet de nouvel article 34, en appelant à “les supprimer”.

 

“Un crime fourre-tout”

L’alinéa 2 vise à sanctionner le fait de “porter ou faire porter dans les lieux publics ou forcer d’autres personnes à porter dans les lieux publics des vêtements ou des signes qui sapent l’esprit de la nation chinoise ou qui blessent le sentiment de la nation chinoise”.

Selon l’alinéa 3, “produire, diffuser, propager ou répandre des objets ou des propos qui sapent l’esprit de la nation chinoise ou qui blessent le sentiment de la nation chinoise” seraient d’autres comportements répréhensibles.

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De tels actes seraient passibles de cinq à dix jours de détention ou d’une amende de 1 000 à 3 000 yuans (de 130 à 380 euros), tout comme le fait de “se livrer à des activités dans les lieux publics qui nuisent à l’environnement et à la commémoration des héros et des martyrs”. Si les circonstances sont graves, la personne serait détenue pendant dix à quinze jours et condamnée à une amende de 5 000 yuans (640 euros). “Un crime fourre-tout”, proteste un internaute chinois sur Weibo.

 

Un “désastre” pour la justice chinoise

Comme la professeure Lao Dongyan, plusieurs professionnels du droit et du monde universitaire se sont exprimés pour avertir de la dangerosité de ce projet de révision de la loi.

“Qui définit ‘l’esprit de la nation chinoise’ ? En suivant quelles procédures ? Idem pour ‘le sentiment de la nation chinoise’. Ce sont de grandes questions qu’il est pratiquement impossible de traiter selon les principes de l’état de droit”, martèle sur Weibo Tong Zhiwei, professeur de droit constitutionnel à l’université des sciences politiques et du droit de Huadong (est de la Chine).

Tong redoute que cet article, une fois adopté par le Comité permanent de l’ANP, “ait inévitablement pour conséquence l’arrestation et la condamnation de personnes selon la volonté du chef”. Pour lui, ce sera un “désastre” pour la justice chinoise.

 

Si une Chinoise portait un kimono ?

“Si l’État interdit tel acte par le biais de sanctions pénales ou administratives qui ne reposent pas sur la protection des intérêts juridiques [fondée sur le droit], alors l’ingérence de la loi dans les libertés personnelles ne sera pas légitime”, affirme Zhao Hong, professeur à l’université chinoise de sciences politiques et de droit, dans un article initialement publié sur le média en ligne Pengpai, mais qui a ensuite été supprimé. Par conséquent, le professeur s’inquiète des “abus des pouvoirs publics” et de la transformation des sanctions pénales et administratives en “outils de promotion de certaines conceptions morales, portant ainsi atteinte aux droits et libertés garantis par l’état de droit”.

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Dans son article “S’opposer absolument à l’article 34 de la loi sur les sanctions de l’administration de la sécurité publique”, très répandu sur WeChat, l’auteur Gu Yuan lance ces questions qui tourmentent des Chinois : que signifie “nuire à l’esprit et au sentiment de la nation chinoise” ? Si mon smartphone est un Apple, est-ce que cela compte ? Et si je porte un costume ? Si une Chinoise portait un kimono pour une photo souvenir ?

Cette dernière question, qui peut sembler excessive, a été massivement évoquée sur les réseaux sociaux chinois en raison d’un événement dont le souvenir reste frais. “En août 2022, une Chinoise qui portait un kimono pour une séance de photos à Yangzhou, dans le Jiangsu, a été emmenée par la police, soupçonnée de provoquer des troubles sociaux et d’‘incitation à la haine ethnique’”, rappelle le journal de Singapour Lianhe Zaobao.

 

Zhang Zhulin