JustPaste.it
lefigaro.fr

 

Robert Vautard: «Selon le Giec, une submersion marine centennale pourrait devenir annuelle en 2100»

Par Marc Cherki
7-9 minutes

 

ENTRETIEN - Le directeur de l’Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL) fait un point sur les événements climatiques extrêmes à venir, leur fréquence et leur lien avec le dérèglement du climat.

Robert Vautard est directeur de l’Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL). Il contribue à l’initiative international World Weather Attribution, fondée en 2015, qui essaye d’attribuer les vagues de chaleur, les feux de forêts, les cyclones ou les pluies intenses au dérèglement du climat.

 

 

Réchauffement climatique: «Près de la moitié de l’humanité vit dans une zone de danger»

 

LE FIGARO. - Tous les événements extrêmes sont-ils en augmentation?

 

Robert VAUTARD. - Ce n’est pas aussi simple. Tous n’ont pas tendance à augmenter et certains sont même en diminution. Pour d’autres, nous manquons de données pour l’affirmer avec certitude.

 

Qu’en est-il des vagues de chaleur par exemple?

Sur ce point, les choses sont très claires: elles augmentent dans toutes les régions du monde. Elles reviennent plus souvent, été comme hiver, avec des pointes de températures plus élevées qu’auparavant. En Europe, le phénomène est très marqué, en particulier en France. Les trois jours de chaleur extrême que nous avons subis en juin 2019 n’auraient en principe qu’une chance par siècle de se produire. Avec le réchauffement, la probabilité d’avoir de telles températures a augmenté d’au moins un facteur 10! En Île-de-France, le pic de température aurait en outre dû se situer autour de 40°C ou 41,5°C au lieu des 43 °C effectivement mesurés.

 

Pourquoi l’Europe est-elle si touchée?

La lutte contre la pollution et les particules fines pourrait avoir amplifié les effets du changement climatique. On utilise en effet beaucoup moins de charbon, et de bien meilleure qualité, que dans les années 1950-1960. Or celui-ci émet beaucoup de particules fines et de sulfates qui réfléchissent le rayonnement solaire. Ce n’est pas encore avéré, mais l’hypothèse est étudiée.

Le sud de l’Espagne et le nord de l’Afrique pourraient même devenir désertiques et les pluies disparaître presque totalement dans le futur

Robert Vautard

Les sécheresses sont-elles en hausse?

Au niveau du bassin méditerranéen, très clairement. Le sud de l’Espagne et le nord de l’Afrique pourraient même devenir désertiques et les pluies disparaître presque totalement dans le futur. L’augmentation des sécheresses dans l’Ouest américain semble aussi attribuable au réchauffement. Ailleurs, les choses sont moins claires. Dans le nord de l’Australie et de l’Europe, il devrait au contraire y avoir de moins en moins de sécheresses.

 

Quel impact le réchauffement a-t-il sur les feux de forêts?

À part en Australie, on ne peut pas dire avec certitude qu’il y a aujourd’hui un risque accru d’incendie imputable au changement climatique, car l’augmentation des feux peut aussi être liée à une mauvaise gestion des forêts. Dans le futur en revanche, les conditions météorologiques seront plus favorables aux incendies, notamment en Méditerranée, dans le sud de l’Afrique, l’ouest de l’Amérique du Nord, le nord de l’Amazonie et dans toute l’Australie. Dans un climat plus chaud de 2°C, le risque d’incendie sera aussi plus élevé en Europe centrale. Dans tous les cas, il reste possible de se protéger des «méga feux» en améliorant la gestion des forêts et les moyens de surveillance des incendies.

 

Quels seront les autres impacts du réchauffement dans le monde?

La physique, en particulier les lois de la thermodynamique, est assez claire: 1°C de réchauffement, c’est 7% de plus d’humidité dans l’air. Il y a ainsi aujourd’hui un risque accru de pluies extrêmes pouvant s’étaler sur plusieurs jours en Europe du Nord. On semble également se diriger vers une augmentation des pluies extrêmes en Europe centrale et dans certaines zones d’Amérique du Nord. Nous avons aussi montré que les épisodes méditerranéens qui touchent le sud de la France - dans les Cévennes et le sud des Alpes - ont augmenté d’environ 20% en 50 ans (ce pourcentage est calculé à partir du cumul de la quantité d’eau qui tombe le jour où il pleut le plus). En l’absence de données homogènes sur de longues périodes en Afrique ou en Amérique latine, il est plus dur d’évaluer l’impact que le réchauffement a aujourd’hui sur les pluies extrêmes dans ces régions.

 

D’autres événements sont-ils en baisse?

Les vagues de froid sont en nette diminution. Les grandes vagues de froid de la fin du XXe siècle en France ont deux à trois fois moins de chance de se produire actuellement qu’au début de l’ère préindustrielle. Cette baisse est mesurée partout dans le monde. Mais elles ne diminuent pas aussi vite que les vagues de chaleur progressent. On ne sait pas encore dire exactement pourquoi.

Les cyclones actuels produisent déjà plus de précipitations qu’auparavant en général

Robert Vautard

Doit-on s’attendre à une recrudescence des cyclones?

Les cyclones devraient devenir moins fréquents, mais plus intenses dans le futur. Pour former un cyclone, il faut en effet peu de différences de vents entre les couches hautes et basses de l’atmosphère. Or le cisaillement des vents devrait au contraire augmenter avec le réchauffement. En revanche, la température de surface de la mer sera plus élevée, il y aura donc plus d’énergie pour les alimenter, ce qui devrait les rendre plus puissants. Les cyclones actuels produisent déjà plus de précipitations qu’auparavant en général. Le projet européen Aida tente d’évaluer dans quelle mesure des événements tels que les trois cyclones qui viennent de toucher coup sur coup Madagascar peuvent avoir été facilités par le réchauffement.

 

Qu’en est-il des autres tempêtes?

Pour les tempêtes extrêmes non tropicales, comme celle qui a touché récemment la Grande-Bretagne et le nord de la France, il y a plutôt une tendance à la baisse de la force des vents. Ce n’est pas lié au changement climatique, mais surtout à la rugosité des sols qui augmente. Dans l’hémisphère Nord, les vents les plus forts ont tendance à diminuer à cause des obstacles qu’ils rencontrent. Tout cela est à prendre avec précaution, car les mécanismes ne sont pas encore très bien compris.

 

D’autre part, la fréquence de la grêle, des tornades, les coups de vents orageux ne sont pas trop prévisibles ni attribuables au changement climatique pour l’instant. Mais les conditions favorables aux orages violents seraient en augmentation en Amérique du Nord et en Europe continentale.

 

S’il y a enfin peu d’études actuellement sur les submersions marines, les inondations seront de plus en plus marquées dans le futur avec la montée du niveau des mers. Selon le Giec, un événement de submersion centennal actuellement deviendra annuel à la fin du siècle si aucun effort n’est réalisé pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre.