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L'air de rien

«Canto», l’appli subventionnée qui fait chanter l’extrême droite

 

L’application, qui propose les paroles de «chants populaires et professionnels», a reçu 40 000 euros du ministère de la Culture. On y trouve de tout, même des chants militaires du IIIe Reich.
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Chaque chant ajouté est modéré a priori par l’équipe de Canto, c’est-à-dire qu’il n’est pas publié si elle ne l’accepte pas. (DR)

par Pierre Plottu et Maxime Macé

publié le 19 octobre 2022 à 15h50

 

«Protéger, valoriser et transmettre la mémoire du chant populaire et traditionnel» : le projet Canto, lancé en 2020 et porté par l’association du même nom, fleure bon la sauvegarde du patrimoine immatériel. Via une application participative, permettant à chacun de proposer une chanson, l’objectif est «d’aller chercher et récupérer tous les chants populaires et traditionnels de France pour les sauvegarder en numérique» et les sauver de l’oubli. L’initiative est soutenue par le ministère de la Culture, qui la subventionne à hauteur de 40 000 euros. Jolie manne pour cette structure fondée et dirigée par des militants de l’extrême droite radicale, dont le carnet de chants compte quelques sulfureux morceaux. Contacté par Libération, le Centre national de la musique annonce l’ouverture d’une enquête.

De ritournelles paillardes (la Digue du cul, Fanchon) aux chants militaires, des comptines (Meunier tu dors, Une souris verte) aux monuments de la chanson française (les Copains d’abord, les Prisons de Nantes), Canto permet de (re) découvrir ses classiques. L’application joue aussi son rôle revendiqué de préservation de la mémoire, par exemple des airs de la Résistance comme le Chant des partisans. Mais de toutes les mémoires, même les plus abjectes. On y retrouve ainsi la Cara al Sol, l’hymne de la Phalange espagnole, le mouvement fasciste de Primo de Rivera. Mais aussi les Lansquenets, un chant très populaire chez les nationalistes de tout poil et la complainte catholique intégriste Claquez bannières de chrétienté. Ou encore des airs militaires en vogue sous le IIIe Reich comme le Panzerlied ou le Grün ist unser Fallschirmjäger, le chant des parachutistes de la Luftwaffe écrit en 1941. Des chansons soumises par des internautes, sous leur vrai nom ou un alias, dont le caractère «traditionnel de France» est loin d’être évident.

 

Le site antifasciste la Horde a récemment révélé que le secrétaire de l’association sur laquelle s’appuie l’application, Lucas Chancerelle, est un militant d’extrême droite. Tout comme son président et cofondateur qui présente un CV particulièrement radical. Membre du GUD à la fin des années 2000, l’homme aurait travaillé pour Frédéric Chatillon, «parrain» des jeunes gudards, ami personnel de Marine Le Pen et impliqué dans plusieurs scandales politico-financiers du RN. Ou avec Tristan Mordrelle, l’un des hommes qui a permis à Eric Zemmour de financer sa campagne pour la présidentielle, comme le révélait Libé. Nous avons également pu vérifier que des militants de groupuscules de l’extrême droite radicale socialisent à l’occasion dans les «apéros Canto» organisés par l’association.

«Dimension militante»

Pour se développer, l’association peut compter sur les sommes rondelettes récoltées grâce à la très droitière Nuit du bien commun, dont l’organisateur est par ailleurs proche des idées de Marion Maréchal selonl’Express. Mais aussi, donc, cette subvention de 40 000 euros versée par le Centre national de la musique (CNM) et qui permet à l’asso d’afficher sur son site qu’elle est «soutenue par le ministère de la Culture». Au CNM, on dit tomber de l’armoire : «Nous ouvrons une enquête afin d’envisager quelles mesures adopter, celles-ci pouvant aller jusqu’à l’annulation de l’aide en question.»

Politique, Canto ? «Si vous souhaitez écrire sur Canto uniquement en parlant des chants politiques, c’est prendre le sujet par un angle extrêmement réducteur», répond le directeur général, Gauthier Brioude, contacté par Libé. «Tout le monde peut contribuer. Le 17 octobre au soir, il y avait 1 718 fiches de chants sur Canto et nous en rajoutons chaque jour.» Un volume somme toute modeste pour un projet lancé il y a plus de deux ans. Surtout, chaque chant ajouté est modéré a priori par l’équipe de Canto, c’est-à-dire qu’il n’est pas publié si elle ne l’accepte pas. Ce qui serait récent, assure Gauthier Brioude.

«Nous allons créer une charte pour les contributeurs afin de recentrer le travail sur le cœur de la mission de Canto, à savoir le chant populaire français», promet-il à propos des chants étrangers (et sulfureux) hébergés sur l’application. Pour le reste, il assume : «Le chant politique fait partie de l’histoire du chant, et c’est à ce titre qu’il est répertorié. Certains sont apparentés à l’extrême droite, d’autres à l’extrême gauche (A las barricadas, l’Internationale, le Temps des cerises, la Butte rouge», l’Estaca, Bella Ciao…)».

Bref, «notre choix est simplement de répertorier tous les chants populaires», dit celui qui, selon nos informations, dirige également l’incubateur le Nid. Cette émanation de l’institut identitaire Iliade affiche une «dimension militante» et privilégie «les projets qui s’intègrent le plus au combat culturel et métapolitique»d’Iliade, décrit Brioude dans le dernier numéro de la revue d’extrême droite Eléments. Le hasard, sans doute.