Avec une économie dominée par l’industrie minière, l’Australie rechigne depuis plusieurs décennies à prendre des mesures contre les gaz à effet de serre. Elle est aujourd’hui la première victime de cette politique.
“L’Australie est entrée dans l’ère de la catastrophe climatique”, assène le romancier australien Richard Flanagan. Et elle commet un véritable suicide climatique. “Sa magnifique barrière de corail se meurt, ses forêts primaires brûlent, ses forêts sous-marines de kelp [algue] géant ont déjà disparu, de nombreuses villes n’ont plus d’eau ou n’en auront bientôt plus, et le vaste continent brûle à une échelle jusqu’alors inconnue”, écrit-il dans The New York Times.
Cet écrivain, lauréat du Man Booker Prize 2014 pour La Route étroite vers le Nord lointain (Actes Sud), compare les images des incendies actuels à “un mélange des films Mad Max et Le Dernier Rivage [datant de 1959, il raconte le sort d’Australiens derniers survivants d’une guerre nucléaire]”. “Des milliers d’individus poussés vers les plages dans une lumière orange qui évoque des tableaux médiévaux où se croise une foule d’hommes et d’animaux – moitié Bruegel, moitié Bosch – entourés d’incendies, les visages des survivants cachés par des masques. Des flammes hautes de soixante mètres. Des tornades de feux, des enfants terrifiés à la proue de frêles esquifs, voguant loin des flammes. Réfugiés dans leur propre pays.”
Les incendies ont déjà dévasté six millions d’hectares, poursuit-il. L’air de Canberra, la capitale australienne, le jour du nouvel an, était le plus pollué de la planète, du fait d’un panache de fumée aussi vaste que l’Europe.
Dans cette apocalypse, le romancier relève quelques anecdotes, comme cette librairie qui, dans le village de Cobargo menacé par les flammes, dans l’État de Nouvelle-Galles du Sud, a apposé sur sa devanture :
Les romans de nature postapocalyptique ont été déplacés dans le rayon Actualité.”
Pourtant, au milieu de tout cela, la réponse de la classe politique, déplore-t-il, se fait attendre. Elle “ne défend pas le pays mais l’industrie fossile, principale donatrice des deux [principaux] partis – comme s’ils voulaient conduire le pays à sa perte. Alors que les incendies explosaient à la mi-décembre, le chef du Parti travailliste, dans l’opposition, a entrepris une tournée dans les régions minières, signalant son indéfectible soutien à l’exportation du charbon.”
Richard Flanagan relève combien, depuis 1996, les gouvernements successifs ont combattu avec succès les accords internationaux sur le changement climatique au nom de la défense de l’industrie extractive. À Madrid, en décembre dernier, lors de la COP25, le représentant australien s’est opposé férocement à tout mécanisme contraignant.
Trois décennies de croissance grâce au charbon
De fait, précise le magazine américain The Atlantic, l’Australie, classée 57e sur 57 pays en matière d’action sur le changement climatique, souffre des maux causés par son industrie. “Depuis plusieurs décennies, ce pays aride de 25 millions d’habitants a soutenu son économie – menée par la beauté de ses plages et un secteur tertiaire dynamique – en vendant du charbon au monde entier.” Et en particulier aux pays d’Asie qui, pour alimenter leur croissance, s’avéraient extrêmement gourmands en énergie. Exporter de la nourriture et des minerais vers l’Asie “a permis [à l’Australie] d’engranger trois décennies de croissance. Elle n’a pas connu de récession depuis juillet 1991.”
Au vu du nombre croissant d’Australiens qui réclament une action en matière de changement climatique, le Premier ministre Scott Morrison “serait bien avisé de mettre en place une politique crédible pour le climat et pour la gestion du territoire, afin d’assurer une meilleure préparation du pays en prévision d’un prochain désastre”, qui, selon un éditorialiste du Sydney Morning Herald, ne manquera pas de se produire. Dans les pages Économie de l’édition australienne du Guardian, un éditorialiste va même jusqu’à suggérer d’exiger que l’industrie minière couvre les frais engendrés par les incendies.
Richard Flanagan, lui, ne croit pas que cette catastrophe suffise à réveiller une oligarchie aussi obtuse, selon lui, que celle de l’Union soviétique dans les années 1980, quand les apparatchiks tout-puissants avaient perdu toute légitimité morale pour gouverner. Certes, une majorité d’Australiens s’interrogent désormais sur “l’écart croissant entre l’idéologie du gouvernement Morrison et la réalité d’une Australie asséchée, qui se réchauffe et qui brûle”. Pour autant, conclut-il, “le pouvoir est devenu sclérosé et fait face à une réalité monstrueuse qu’il n’a ni la capacité ni la volonté d’affronter”.