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Covid long, la vague scélérate

Symptômes variés, causes mal comprises, prise en charge difficile… La recherche médicale multiplie les pistes pour essayer d'aider les médecins à gérer cette autre vague de Covid-19, celle des personnes qui, des mois après l'infection, ne sont pas complètement guéries. Une vague dont l'ampleur peine à se dessiner, en particulier chez les enfants. Enquête.

 

Covid long

30 % des 7 millions d'adultes ayant contracté le Covid-19 à la fin 2021 en France souffraient en avril de séquelles à long terme, selon Santé publique France. Fatigue, problèmes respiratoires, perte d'odorat, troubles cognitifs comptent parmi les principaux symptômes.

 

Deux millions : c'est l'estimation du nombre d'adultes touchés par un "Covid long" en France début avril, publiée cet été par Santé publique France. Autant dire qu'alors que l'on commence à parler de maladie endémique plutôt que d'épidémie, ce serait une erreur de penser que l'on en a fini avec le Covid-19.

 

Deux millions, c'est environ 30 % (près d'un tiers !) des 7 millions d'adultes ayant été infectés à la fin 2021, avant la vague Omicron. Tous souffrent d'une "affection post-Covid" telle que définie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : des symptômes ne pouvant pas être expliqués autrement, persistant au moins deux mois et apparus dans les trois mois après l'infection. Si les autorités de santé françaises en reconnaissent aujourd'hui 25, dont la fatigue, l'essoufflement, la perte d'odorat ou le dysfonctionnement cognitif, ce ne sont pas moins de 62 symptômes qu'une équipe de chercheurs de Birmingham (Royaume-Uni) a associés au Covid long dans Nature Medicine ! Y figurent également la perte de cheveux ou de libido et des difficultés d'éjaculation.

 

À ces deux millions d'adultes, il faut ajouter un nombre indéterminé d'enfants. Indéterminé car la maladie est peu diagnostiquée et mal connue chez les mineurs. Aussi, les associations de patients craignent une épidémie de cas non diagnostiqués, avec des séquelles à long terme dans les années à venir. "Je vois arriver des gens toutes les semaines et je reçois des centaines de messages. Les parents sont désespérés car très peu de professionnels de santé les prennent au sérieux ", explique Andreea-Cristina Mas, à la tête du Collectif Covid long pédiatrique C19.

 

Une méta-analyse publiée dans Nature en juin chiffre la prévalence du Covid long chez les enfants et les adolescents qui ont contracté la maladie dans le passé à 25,2 %. Les symptômes les plus fréquents sont des perturbations de l'humeur (16,5 %), la fatigue (9,7 %), des problèmes de sommeil (8,4 %), des céphalées (7,8 %) et des symptômes respiratoires (7,6 %). "Ces symptômes sont couramment présents dans la dysautonomie, un dysfonctionnement du système nerveux autonome, expliquent les auteurs. Cependant, on ne sait toujours pas si elle est le résultat direct de l'infection par le Sras-CoV-2, de l'interaction avec d'autres virus ou de processus immunitaires. "

 

Chez l'enfant, les symptômes sont donc différents de ceux observés dans les formes de Covid long chez les adultes, avec en particulier moins de séquelles respiratoires. Ces "formes aspécifiques" deviennent préoccupantes lorsqu'elles s'accompagnent d'un retentissement social et scolaire, avec un absentéisme important. Pour aider les professionnels de santé à bien interpréter les symptômes, le Covid long chez les enfants a obtenu sa propre définition, décrite dans le British Medical Journal comme "complémentaire " de celle de l'OMS : il s'agit d'un symptôme ou plus, persistant pendant au moins douze semaines après une infection confirmée au Covid-19 et qui ne peut être expliqué par un autre diagnostic. La définition précise que "les symptômes ont un impact sur le fonctionnement quotidien, peuvent continuer ou se développer après l'infection au Covid-19 et peuvent fluctuer ou rechuter avec le temps. "

 

Un risque accru de suicides

"Les patients atteints de Covid long rapportent d'abord un très gros impact négatif de la maladie sur leur vie, puis cet impact diminue, avant de remonter après six mois", constate Viet-Thi Tran, épidémiologiste et premier auteur d'une étude publiée dans Nature Communications à partir des données recueillies sur une cohorte de malades du Covid long (Compare Covid Long). L'impact sur le quotidien ne semble pas uniquement lié à l'intensité des symptômes rapportés, qui au contraire ont tendance à diminuer avec le temps. Alors pourquoi cette fluctuation ?

"Nous pensons que c'est dû à la durée des symptômes, qui leur pèsent de plus en plus. Les patients se rendent compte qu'ils vont devoir vivre avec et aménager leur vie personnelle et professionnelle dans la durée ", explique l'épidémiologiste. Indépendamment des effets physiologiques de la maladie, ses aspects psychologiques peuvent donc en alourdir la charge au cours du temps. Au point que des études s'inquiètent d'ores et déjà des risques d'augmentation du nombre de suicides. 

"On sait depuis plus d'un siècle que les crises économiques et sociales aggravent les risques suicidaires dans la société ", affirme le professeur de médecine légale et psychiatre Michel Debout. Dans un rapport de la Fondation Jean-Jaurès, il s'inquiète d'observer un taux de passage à l'acte de 30 % en France parmi les personnes sondées ayant des pensées suicidaires, un record parmi les six pays européens examinés.

 

Une vulnérabilité cérébrale provoquée par le virus

Comment expliquer cette diversité de symptômes ? Et comment prédire leur évolution sur le long terme, sachant que dix-huit mois après avoir été infectés, 22 % des adultes en présentent encore ? Pour tenter de répondre à ces questions, de nombreux scientifiques cherchent à éclairer les mécanismes physiopathologiques sous-jacents. Les principales hypothèses soupçonnent une persistance du virus dans l'organisme, une inflammation qui dure, des troubles fonctionnels - d'origine psychologique et non lésionnelle -, des troubles de la coagulation ou encore des antécédents de comorbidités qui peuvent affecter l'intensité des symptômes. "Toutes les hypothèses restent d'actualité, affirme Olivier Robineau, infectiologue au centre hospitalier de Tourcoing et coordinateur de l'action Covid Long de l'ANRS Maladies infectieuses émergentes. Il est très peu probable que l'ensemble des symptômes n'aient qu'une seule cause, qui peut aussi dépendre du profil des patients. "

 

"Je pense que la capacité du Covid-19 à envahir de nombreux types de cellules peut avoir un impact très large sur l'organisme ; c'est pour cela que les symptômes sont si divers ", avance Panagis Galiatsatos, pneumologue au Johns-Hopkins Medical Center à Baltimore (États-Unis). Lui fait la différence entre les syndromes post-Covid, dans lesquels une lésion identifiable à un organe est responsable de l'état du patient et peut donc être traitée, et le Covid long, dont on ne sait pas grand-chose. "Le syndrome post-Covid est un syndrome post-viral, il n'est pas propre au Covid-19 : d'autres virus comme Epstein-Barr peuvent causer des complications à long terme ", poursuit le pneumologue. Mais le Covid long semble être "spécial ". "Les analyses de sang, les examens, tout redevient normal. Cela signifie que les organes eux-mêmes sont intacts, et que les dommages se situent plutôt au niveau du cerveau ", interprète Panagis Galiatsatos.

L\'activité en baisse de ces zones cérébrales (en rouge, vues au Pet scan) est liée aux perte d\'odorat, confusion, douleurs et insomnies du Covid long. Crédit : E. GUEDJ ET AL.

L'activité en baisse de ces zones cérébrales (en rouge, vues au Pet scan) est liée aux perte d'odorat, confusion, douleurs et insomnies du Covid long. Crédit : E. GUEDJ ET AL.

 

Des organes plus fragiles, même après guérison

Un an après l'infection, les personnes guéries du Covid-19 ont 50 % de risque en plus de faire un AVC, 60 % en plus de faire un infarctus et 5,4 fois plus de risque de déclarer une myocardite (inflammation cardiaque), d'après une étude américaine publiée dans Nature. Et plus la maladie a été sévère, plus le risque augmente. Le lien entre Covid-19 et fonction cardiaque pourrait s'expliquer par l'endommagement de cellules par le virus, des troubles de la coagulation, des lésions du tissu cardiaque ou encore une trop forte inflammation. Même constat pour le rein, dont le risque d'altération de la fonction est significativement plus important chez les survivants du Covid-19.

 

C'est cette composante neurologique qu'explore Vincent Prévot, directeur de recherche à l'Inserm, en examinant le cerveau des patients décédés du Covid-19. "Le virus attaque les cellules endothéliales et crée des microhémorragies puis des zones d'hypoperfusion (moindre apport en sang et donc en oxygène, ndlr) dans le cerveau qui ont causé le décès des patients ", explique-t-il. Même potentiellement réversibles, ces lésions ainsi que les troubles cognitifs observés chez beaucoup de Covid longs sont le signe d'une vulnérabilité cérébrale. "Elle pourrait prédisposer leur cerveau à moins bien vieillir et donc à plus facilement développer une maladie neurodégénérative plus tard dans la vie, autour de 70 ans ", redoute le chercheur.

 

Une prédiction qui concorde avec ce que l'on sait des survivants de la grippe espagnole, qui, au siècle dernier, ont semblé montrer un risque accru de développer la maladie de Parkinson. De plus, les effets délétères du Covid-19 semblent notamment se concentrer sur les régions limbiques du cerveau qui sont particulièrement vulnérables dans les démences, comme l'hippocampe, le gyrus parahippocampique ou le cortex entorhinal, pointe Gwenaëlle Douaud, chercheuse en neurosciences à l'Université d'Oxford (Royaume-Uni) : "Les atteintes cognitives liées au Covid peuvent parfois ressembler à certains symptômes de la maladie d'Alzheimer. "

 

Dans une étude publiée dans Nature, son équipe et elle ont ainsi observé des dommages cérébraux détectables en imagerie chez des malades du Covid-19. À voir si ces lésions persistent. "Il est tout à fait envisageable que ces anomalies détectées dans le cerveau quelques semaines ou mois après l'infection s'estompent en grande partie progressivement, tout comme les difficultés cognitives, car notre cerveau est plastique ", explique Gwenaëlle Douaud.

 

Des programmes aident les patients à récupérer du Covid long : à gauche, tests pulmonaires dans une clinique de Bad Ems, en Allemagne ; à droite, exercices de rééducation et de psychomotricité à l\'hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine). Crédit : SEBASTIAN GOLLNOW/DPA/MAXPPP

Des programmes aident les patients à récupérer du Covid long. Ici, des tests pulmonaires dans une clinique de Bad Ems, en Allemagne. Crédit : SEBASTIAN GOLLNOW/DPA/MAXPPP

 

Une IA aide à identifier les Covid longs

Poser le diagnostic : une étape essentielle aussi bien pour la prise en charge que pour conduire des recherches. Mais au vu de la variété des symptômes, une mission extrêmement délicate. Afin de la faciliter, des chercheurs de l'Université du Colorado (États-Unis) ont dévoilé en juillet dans la revue The Lancet Digital Health une intelligence artificielle qui analyse toutes les données médicales des patients avant et après l'infection au coronavirus afin d'identifier les cas de Covid long.

Elle a d'abord été entraînée avec les données de 597 patients suivis dans trois cliniques spécialisées dans le traitement du Covid long aux États-Unis. Le modèle a ainsi identifié les facteurs les plus prédictifs, dont des symptômes respiratoires ou des traitements pour ces symptômes ; certains symptômes non respiratoires fréquents comme des problèmes cardio-vasculaires ou des troubles du sommeil ; et des facteurs de risque tels que le diabète ou une maladie rénale. Il parvient ainsi à identifier les patients atteints de Covid long avec un taux de réussite de 82 %. Testé sur près de 2 millions de personnes de plus de 18 ans ayant eu le covid au moins 90 jours avant la date de l'analyse, l'IA aurait déjà permis d'identifier plus de 100.000 personnes souffrant de Covid long.

 

En France, aucune prise en charge spécifique des enfants

Même si elles n'ont pas encore abouti à des recommandations de prise en charge, les pistes pour expliquer les Covid longs sont donc nombreuses. Or, les études sont conduites presque exclusivement sur des adultes. Et quand elles existent, celles sur les enfants souffrent de biais méthodologiques importants, affirme une méta-analyse publiée en mars sur le site de prépublications scientifiques MedRxiv. Ainsi, nombreuses sont celles qui n'ont pas de groupe témoin, c'est-à-dire de groupe d'enfants non malades avec lequel comparer ceux atteints de Covid long. Et même quand ce groupe existe, les doutes subsistent.

 

"Le problème, c'est qu'on n'est absolument pas certain que les enfants recrutés dans les groupes de contrôle n'aient pas été contaminés par le Covid-19, explique Andreea-Cristina Mas. En effet, les enfants n'ont pas été beaucoup testés au début de la pandémie, car on disait que la maladie ne les touchait pas. "

 

Ce qui pourrait expliquer les résultats paradoxaux des deux plus vastes études sur le Covid long chez les enfants, selon lesquels les enfants non infectés par le Covid-19 présentaient également des symptômes de Covid long… "Beaucoup de symptômes du Covid long, comme les maux de tête ou la fatigue, peuvent avoir de nombreuses causes autres que celles d'une infection par le virus, précise néanmoins Julian Hirt, auteur de l'étude publiée sur MedRxiv et chercheur en soins infirmiers appliqués à l'Université de Bâle (Suisse). Selon notre analyse, aucune des études n'a fourni de preuves qu'une infection au Sras-CoV-2 aurait un impact sur le long terme. " Le flou est total…

 

Les souffrances n'en sont pas moins réelles. Aussi, de nombreuses consultations spécialisées ont été mises en place dans le monde pour répondre à la demande des patients. En Europe, les hôpitaux de Genève, de Zurich (Suisse) ou encore de Munich (Allemagne) proposent des circuits spécifiques pour les enfants et adolescents souffrant de Covid long. Au Royaume-Uni, le National Health service a débloqué 100 millions de livres sterling (118 millions d’euros) consacrés à la prise en charge du Covid long, dont des services spécialisés pour les enfants et les jeunes.

 

Mais en France, il n’existe à ce jour aucune prise en charge réservée aux enfants atteints de Covid long. "Ces patients sont vus dans des consultations de pédiatrie générale, dans les services de maladie infectieuse ou dans des consultations spécialisées dans la douleur ", explique François Angoulvant, professeur de pédiatrie générale à l’hôpital Robert-Debré à Paris. Une errance médicale que de nombreuses associations pointent du doigt. "On voyait déjà des adolescents avec ce genre de plaintes avant la pandémie de Covid19, d’où l’importance de ne pas leur coller trop vite des étiquettes", tempère le pédiatre.

 

"J'apprends à gérer les symptômes et à anticiper le repos"

Céline C. est infirmière libérale, souffrant de Covid long depuis 2 ans et demi. Elle est membre de l'association de patients AprèsJ20. Elle nous livre son témoignage : 

"J'ai eu le Covid mi-mars 2020. Une forme assez bénigne avec de la toux, une légère fièvre, des maux de tête. Mais surtout une fatigue qui est allée en augmentant. À tel point que lorsque j'ai repris le travail, je n'étais capable d'y consacrer que deux heures le matin et deux heures l'après-midi. Après deux mois, j'ai commencé à ressentir des fourmillements, engourdissements et faiblesses musculaires qui m'empêchaient par moments de marcher ou lever les bras. Fin mai, je ne pouvais plus marcher.

Les médecins ont évoqué un syndrome de Guillain-Barré ou une sclérose en plaques, mais les analyses n'ont rien révélé d'anormal. Finalement un PET scan a mis en évidence des anomalies dans l'activité cérébrale dont on sait à présent qu'elles sont caractéristiques du Covid long. J'ai essayé de reprendre le travail mais cela a conduit à une rechute qui m'a obligée à me déplacer en fauteuil roulant. Aujourd'hui, les symptômes sont fluctuants, même si j'ai la chance qu'ils s'atténuent avec le temps. J'apprends à les gérer et à anticiper le repos. Le piège, c'est de trop profiter des périodes où l'on se sent mieux. Il faut se freiner, sinon on le paie plus tard. ”