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Source: leMonde Éric Nunès 7/11/2018

Les métiers du nucléaire peinent à séduire

 

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Alors que les besoins pour l'entretien des centrales sont déjà de 4 000 experts par an et que l'assainissement à venir des installations va s'étaler sur plusieurs décennies, l'atome suscite peu de vocations

Al'âge où les ados punaisent des portraits de sportifs dans leur chambre, " moi, j'étais fasciné par l'énergie que -contient l'atome et les possibilités extraordinaires du nucléaire ", raconte Jean-Baptiste Potoine. Dix ans plus tard, le jeune ingénieur des Arts et Métiers n'a rien lâché de son rêve. A 24  ans, il suit une année de spécialisation en génie atomique à l'Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN), grande école du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), à Saclay (Essonne).

Une filière d'avenir, quel que soit l'épilogue du débat sur la transition écologique en France. Car, si les nouvelles centrales se font rares dans l'Hexagone (la dernière connectée au réseau, Civaux, l'a été en  2002), le démantèlement de certaines autres ouvre un marché dont on ne pourra pas faire l'économie. Il durera au moins jusqu'à la fin du siècle en France et un peu -partout sur la planète. Un terrain -d'expérimentation immense pour les -aficionados de l'atome.

L'enjeu du démantèlement

" Le parc nucléaire européen vieillit, constatait la Commission européenne, en mai  2017, dans une communication sur le programme indicatif nucléaire (PINC). On compte actuellement 129  réacteurs nucléaires en fonctionnement dans quatorze Etats membres. L'âge moyen de ces réacteurs est de 30 ans. " En l'absence de programme de prolongation de la durée de leur exploitation, " environ 90  % des réacteurs existants seraient fermés d'ici à 2030 ", poursuit la Commission.

Même si de nombreux pays européens, dont la France, continuent de s'appuyer sur l'énergie nucléaire pour produire une partie de leur électricité, le démantèlement et l'assainissement des sites sont dès maintenant un enjeu majeur. " Et les entreprises européennes ont la possibilité d'occuper la première place mondiale dans ce secteur ", affirme-t-on à Bruxelles.

Problème : le vieillissement des installations nucléaires et le besoin accru dans le domaine du démantèlement ne s'accompagnent pas d'une hausse des vocations pour la filière. Une étude réalisée en  2012 par EHRO-N, observatoire européen du nucléaire, a montré un manque important dans ce secteur, qu'il s'agisse des ingénieurs, physiciens, radiochimistes et experts en radioprotection.

En effet, en Europe, les formations existantes en relation avec le domaine de l'énergie permettent de diplômer quelque 2 800  experts par an. Or, EHRO-N a identifié que le besoin européen en experts nucléaires pour le fonctionnement des réacteurs est de 4 000 par an, au moins jusqu'à 2020. " Soit un manque de 1 200  experts par an, sinon plus – car une partie des 2 800  jeunes formés finissent par changer de domaine et s'orienter vers les énergies renouvelables ", analyse Abdes-selam Abdelouas, enseignant-chercheur à l'IMT Atlantique. Cette école des Mines ouvrira, à la rentrée 2019, un nouveau master dédié à la gestion des déchets radioactifs et au démantèlement des installations.

Ce manque d'appétence pour la filière, Constance Coston, directrice de formation en génie nucléaire à l'INSTN, le relie à la catastrophe nucléaire de Fukushima, au Japon, en  2011. " Le nombre d'étudiants qui candidataient à nos formations est tombé d'environ 30  %, révèle-t-elle. Cet accident a enclenché une perception de danger à travailler dans les entreprises du secteur, qui n'ont pas l'adhésion du public. "

La lenteur de la construction du réacteur EPR (réacteur pressurisé européen) à Flamanville n'arrange pas les choses. " Commencé en  2007, le chantier devait durer cinq ans, mais, finalement, la centrale ne devrait être opérationnelle qu'en  2020. Cela ne renvoie pas l'image d'une industrie d'avenir ", regrette l'enseignante. Quant à l'enjeu de la fin du nucléaire… " les jeunes veulent -construire. Ils ne veulent pas démanteler ", constate Abdesselam Abdelouas. " Personne n'a envie de s'occuper des poubelles, ironise Pierre Benech, administrateur général de Grenoble INP. Les pronucléaires remplissent plus nos cursus que les anti. "

Pourtant, la filière nucléaire, pour le seul domaine du démantèlement, a de beaux jours devant elle. Un rapport de la Cour des comptes de 2012 note que le démantèlement des seules installations d'EDF, soit 58  réacteurs, " est estimé à 18,4  milliards d'euros ", une estimation qui se situe " dans la fourchette basse ", précisent les auteurs. Ce type de chantier durant entre vingt et cinquante ans, plusieurs générations de techniciens et d'ingénieurs sont donc encore indispensables. " Le secteur a l'avantage de la pérennité, cela donne de la visibilité aux entreprises, et les entreprises adorent ça ", souligne Philippe Corréa, directeur de l'INSTN.

Compétences multiples exigées

Les compétences exigées, quant à -elles sont multiples et complexes, à l'image des travaux qu'il faut réaliser avec des contraintes de sûreté drastiques. Jean-Marie Détriché, spécialiste en maîtrise d'ouvrage, résume ainsi les missions : " Il faut écrire le scénario du démantèlement, l'enchaînement des opérations, maîtriser les processus, les règlements, définir le choix des procédés, la robotisation des interventions, estimer les coûts, s'adapter à la tran-sition numérique… "

Des ingénieurs multitâches, donc, " aptes à être compétents dans tous les secteurs ", estime Philippe Corréa. " C'est l'intérêt du boulot, confirme -Julien Roustang, 30  ans, diplômé du master d'ingénierie nucléaire, spécialisé en assainissement et démantèlement des installations nucléaires de l'université de Grenoble-Alpes et employé de Millennium, société spécialisée en sûreté nucléaire. Nous passons sans cesse d'un métier à un autre, face à des situations complexes et inédites. "

Enfin, la maîtrise de l'outil nucléaire est stratégique en France. Maintenir le parc en l'état ou le démanteler nécessite " connaissance, expérience et expertise, et, pour le bien commun, il faut savoir transmettre ", avertit Philippe Corréa. " Il y a urgence ", appuie Abdesselam Abdelouas.

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