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« Les responsables du Rassemblement national ont retenu la leçon de Dominique Venner »

Dans son livre « L’Assiégé », Renaud Dély retrace le parcours d’une des figures les plus extrêmes de la mouvance identitaire, dont l’influence ne faiblit pas, dix ans après son suicide spectaculaire à Notre-Dame-de-Paris.

Propos recueillis par Florent Georgesco 

 

Un portrait de Dominique Venner brandi au cours d’une marche marquant les trois ans de sa mort, à l’appel de l’organisation néofasciste italienne CasaPound, à Rome, le 21 mai 2016.<img src="https://jpcdn.it/img/a14fb2db1d4c0c9f48bbc2cdc44361cf.jpg" alt="Un portrait de Dominique Venner brandi au cours d’une marche marquant les trois ans de sa mort, à l’appel de l’organisation néofasciste italienne CasaPound, à Rome, le 21 mai 2016."><span class="Apple-converted-space"> </span> Un portrait de Dominique Venner brandi au cours d’une marche marquant les trois ans de sa mort, à l’appel de l’organisation néofasciste italienne CasaPound, à Rome, le 21 mai 2016. PATRIZIA CORTELLESSA/PACIFIC

« L’Assiégé. Dans la tête de Dominique Venner, le gourou caché de l’extrême droite », de Renaud Dély, JC Lattès, 246 p., 20,90 €, numérique 15 € (en librairie le 10 janvier).

Le 21 mai 2013, Dominique Venner, l’un des intellectuels les plus influents de l’extrême droite française, se suicidait au pied de l’autel de Notre-Dame de Paris « afin de réveiller les consciences assoupies » face au « crime visant au remplacement de nos populations [européennes] » par une ­immigration dont il dénonçait le « grouillement hostile »depuis les années 1960. Sur Twitter, Marine Le Pen écrivait : « Tout notre respect à Dominique Venner dont le dernier geste, éminemment politique, aura été de tenter de réveiller le peuple de France. » Editorialiste politique à Franceinfo, coanimateur de l’émission « 28 minutes » sur Arte, Renaud Dély consacre, sous le titre L’Assiégé, une enquête fouillée, rigoureusement documentée, à cette figure à la fois discrète et centrale, que le Rassemblement national, malgré sa stratégie de « dédiabolisation », n’a jamais reniée.

 

Comment avez-vous été amené à enquêter sur ­Dominique Venner ?

Quand je couvrais le Front ­national pour Libération, dans les années 1990, je savais que c’était une référence idéologique importante à l’extrême droite, même s’il restait en deuxième ­ligne. On trouvait toujours ses œuvres complètes dans les rassemblements organisés par le FN ou d’autres groupes de la mouvance, et je constatais qu’il faisait l’objet d’une vénération. Mais c’est son suicide, et le sens qu’il revêt au moment où Marine Le Pen est si proche du pouvoir, qui m’a décidé à me lancer dans cette enquête.

 

Car ce geste cristallise toute la vision du monde du personnage, son obsession pour le « grand remplacement », un fantasme qu’il a agité bien avant que Renaud Camus ne popularise l’expression – il faut se souvenir que le concept a été forgé au début des années 1950 par un militant raciste et antisémite, ancien de la division SS Charlemagne, René Binet [1913-1957]. Venner a lu Binet, et il était persuadé que l’Occident et la « race blanche » étaient assiégés, d’où mon titre. C’est d’abord cette terreur qui motive son geste, cette vision d’un Occident submergé et qui s’effondre. Il avait 78 ans, mais il était en bonne santé. Ce n’est pas un ­suicide lié à une quelconque déchéance physique. C’est un geste entièrement politique, un acte symbolique d’appel à la révolte de la « race blanche ».

 

Pourquoi a-t-il choisi Notre-Dame pour l’accomplir ?

Ce choix a surpris un certain nombre de gens, qui le savaient foncièrement antichrétien. En réalité, Notre-Dame ne lui importait que dans la mesure où elle aurait été construite à l’emplacement d’un temple gallo-romain. Il était, avec son ami Alain de Benoist, un des représentants du courant dit « païen » de l’extrême droite, opposé au courant catholique traditionaliste. Il consi­dérait le christianisme comme une religion de faibles qui, en défendant le pardon, l’accueil, a amorcé la décadence de l’Occident. Il a inscrit sa mort dans une célébration de cet idéal antique mythifié, où Sparte jouait un rôle central, comme symbole d’un culte de l’honneur et de la guerre. Mais Sparte a fini par être vaincue par Athènes. La pensée de la décadence absolue s’identifie toujours au camp des vaincus. C’est un défaitisme radical.

 

Il s’engage dans l’armée à 17 ans. A 19 ans, en 1954, il est en Algérie au moment où la guerre commence. Quel rôle cette expérience a-t-elle joué dans son parcours ?

Il y a deux expériences capitales pour Dominique Venner. L’Occupation et la guerre d’Algérie. Il était d’une famille collaborationniste, avec un père membre du Parti populaire français de Jacques Doriot et une grand-mère qui lui a appris à admirer l’« élégance », la « tenue » des officiers allemands. Il a souvent célébré, ensuite, le combat des pronazis français, ces gens « droits et admirables », et dit tout le mal qu’il pensait de la Libération, qu’il a écrit avoir vécue comme « le mythe fondateur de notre époque de merde ». Quant à la guerre d’Algérie, il y voyait une occasion de combattre pour la défense de l’Occident.

Il s’y est livré tout entier, sans ­limites. Lutter contre la menace existentielle qu’incarnait à ses yeux la rébellion algérienne passait par l’exercice d’une forme de terreur, y compris envers les ­populations civiles. Il était pris d’une sorte d’hystérie belliqueuse. Selon lui, aucune loi de la guerre ne pouvait s’exercer dans de telles circonstances. On sait que l’armée française a commis en Algérie nombre d’exactions, sur lesquelles l’état-major a très souvent fermé les yeux. Dominique Venner n’a jamais été inquiété. Mais il est tout de même arrivé que ses supérieurs lui reprochent d’aller trop loin. Il a fini par se lasser de ce « légalisme » et a quitté l’armée, dépité par la « mollesse » de l’état-major. Et décidé à continuer le combat en métropole.

 

Quelle forme son engagement politique prend-il alors ?

Il bascule vite dans l’action terroriste, aux marges de l’OAS. En 1961, il plastique, à Paris, le siège du MRP [le Mouvement républicain populaire, favorable à l’indépendance de l’Algérie]. Et, la même année, il prépare rien de moins que la prise de l’Elysée et l’assassinat du général de Gaulle. Mais le complot est éventé et il se retrouve en prison, où il va rester un an et demi. C’est le moment d’une mue fondamentale. Il comprend que l’action violente est vouée à l’échec. Il écrit un texte qu’il fait circuler depuis la prison de la Santé, Pour une critique positive [Saint-Just, 1964], où il appelle l’extrême droite à changer ses modes d’action, pour devenir plus moderne, plus professionnelle, et être enfin capable de prendre le pouvoir. Mais, désormais, de manière légale, plutôt que de passer par un coup d’Etat chimérique.

Il théorise la nécessité d’apprendre l’art de la dissimulation, qui va devenir une constante de l’histoire de l’extrême droite française, jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit de présenter ses thèses de la manière la plus inoffensive, de faire en permanence attention au registre lexical qu’on emploie, tout en parsemant son discours de sous-entendus à destination des initiés. Il insiste également sur l’importance du travail intellectuel, de la conquête des esprits. C’est ce à quoi il va se consacrer entièrement à partir de 1967-1968, quand il choisit, après un piteux échec électoral, d’abandonner toute action politique. Il se met à beaucoup écrire, en particulier des livres sur les armes, sa grande passion, et sur l’histoire.

 

Finit-il par renoncer à la ­radicalité de sa jeunesse ?

Non, en rien. Son suicide le montre, puisqu’il représente au contraire une revendication de cette radicalité. Simplement, il utilise des outils parfaitement ­légaux pour la propager. Il le fait dans ses livres, dans des interventions – en particulier sur Radio Courtoisie –, au travers de textes publiés dans des revues d’extrême droite, ou dans celles qu’il a lui-même fondées, Enquête sur l’histoire et La Nouvelle Revue d’histoire, où l’on retrouve toutes ses obsessions, sur l’identité européenne, le paganisme, la guerre, les armes et, bien sûr, la collaboration, qu’il cherche à réhabiliter.

Loin de renoncer à quoi que ce soit, il fait preuve d’une constance inouïe. Des années 1950 à sa disparition, il cultive le même rejet de l’altérité, la même peur de tout ce qui est étranger, de tout ce qui, dans ses fantasmes, souille la pureté occidentale. Il a toujours mené le même combat radical, mais avec des outils différents d’une époque à l’autre – l’engagement dans l’armée, le terrorisme, le militantisme, l’écriture, l’histoire et au bout du compte le suicide. Il faut noter qu’aucun de ces outils ne l’a ­conduit à la moindre victoire ­politique. Il a échoué en tout. Mais il n’a jamais changé.

 

Que reste-t-il de lui, aujourd’hui ?

Au premier abord, son héritage peut sembler marginal. Le Rassemblement national ne s’en revendique pas, pour des raisons de prudence électorale évidentes : il est trop radical, trop sulfureux. Mais les responsables du parti connaissent très bien son parcours, son message et ses écrits. Ils ont retenu la leçon. Il y a eu le tweet d’hommage de Marine Le Pen lors de son suicide. Ou la présence de son proche conseiller d’alors, Paul-Marie Coûteaux, à ses obsèques, où il était porteur d’un message de soutien et d’amitié.

De même, j’ai pu constater que des cadres du Rassemblement national comme du mouvement Reconquête ! d’Eric Zemmour fréquentent les colloques de l’Institut Iliade, que ses amis ont fondé à sa mort, selon ses dernières volontés. Cet institut « pour la longue mémoire européenne », qui reste totalement fidèle à son héritage, entend être un carrefour des extrêmes. Il reçoit des gens comme Marion Maréchal ou des personnalités européennes, des Espagnols, des Italiens, des Grecs, notamment d’anciens membres [du parti néonazi] Aube dorée…

Au demeurant, beaucoup de thèmes que Dominique Venner a imposés demeurent centraux à l’extrême droite. Il est le premier, dès le début des années 1960, à avoir mis en avant la question de l’immigration extra-européenne comme menace majeure pour l’Occident. De même, c’est lui qui a commencé à instrumentaliser les faits divers, à l’époque de sa revue Europe-Action[1963-1967], où il mettait en scène les crimes et délits commis par des immigrés. On ne peut pas ne pas ­penser à l’actualité récente, par exemple au meurtre du jeune Thomas à Crépol, sur lequel, quoi qu’il en soit de la réalité de l’affaire, l’extrême droite s’est précipitée, parlant de menace civilisationnelle.

Dominique Venner a théorisé et contribué à répandre la vision ­anxiogène d’un monde occidental menacé de disparition par le « péril migratoire ». Ce discours apocalyptique est de plus en plus influent en France et en Europe. Dix ans après la mort de Venner, sa mentalité d’assiégé hante plus que jamais nos sociétés et conduit son camp à des succès électoraux.

Lire un extrait sur le site des éditions JC Lattès 

https://www.liseuse-hachette.fr/?ean=9782709672849