TRIBUNE. Supprimer les pensions de réversion des veuves et veufs ? Au contraire : les associations de retraités lancent un appel pour les renforcer
Aujourd'hui en France, 4,4 millions de veuves ou veufs perçoivent des pensions de réversion. Deux représentants d'associations de défense des retraités – Francisco Garcia, président national de l'Union nationale des retraités et personnes âgées, et Pierre Erbs, président de la Confédération française des retraités – s'inquiètent de leur possible remise en cause.
À la mort d'une personne, son époux ou son épouse qui lui survit peut se voir reverser une partie de la retraite du défunt : c'est ce qu'on appelle les pensions de réversion. Le veuf ou la veuve d'un ou une salarié(e) du privé peut par exemple toucher, sous conditions, 54% de la pension de son ancien conjoint. En tout, 4,4 millions de personnes en bénéficient en France et touchent, en moyenne, 499 euros par mois, selon la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).
Le dispositif coûte au total 36 milliards d'euros par an. Mais "doit-on [le] maintenir ?" C'est la question posée dans un document du Haut Commissariat à la réforme des retraites, consulté par l'AFP, puis sous une autre forme sur la plateforme en ligne de "grande consultation citoyenne". Ce "n'est pas la question", a répliqué Agnès Buzyn, mais "il n'y a rien d'exclu". Au Sénat jeudi 21 juin, la ministre des Solidarités et de la Santé a expliqué que les pensions de réversion devaient selon elle être "harmonisées" et "remises à plat". Ce débat inquiète les associations de défense des retraités, qui militent pour une harmonisation par le haut, plutôt que par le bas, des pensions de réversion, essentielles selon eux pour permettre aux veufs et veuves de vivre dignement. Leurs représentants s'expriment ici librement.
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Faut-il maintenir les pensions de réversion ? Dans le cadre de la réforme des retraites qui instaurerait un système par points, Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire en charge du dossier, l'a demandé aux partenaires sociaux. Bien qu’il ait précisé ensuite que la question posée n'avait pas pour objet la suppression de ces droits, il n'en reste pas moins qu'elle n'est pas innocente, qu'il n'y a pas de fumée sans feu et qu'elle pourrait préparer les esprits à leur diminution, si ce n'est, à terme, à leur disparition.
Les premières victimes seraient les femmes, qui sont 89% à bénéficier des pensions de réversion : pour plus d'un million d'entre elles, c'est même le seul revenu.Les représentants des principales associations de retraités
D'une façon générale, elles sont moins bien rémunérées que les hommes durant leur carrière. L'âge de la retraite venu, leurs trajectoires professionnelles les conduisent, pour diverses raisons (familiales, temps partiel...), à des pensions inférieures, en moyenne, de 25% à celles des hommes.
Les droits à la retraite sont ainsi, de fait, inégaux. Or il est admis, à condition d'être marié, que le conjoint survivant a, de facto, droit à une partie de la retraite du défunt ou de la défunte, en considérant qu'il a contribué à la constitution de son montant. Ce retour est légitime. La réversion permet de réduire de 15 points l'écart entre les pensions des hommes et celles des femmes. C'est aussi un complément conséquent et justifié pour les 45% des femmes retraitées et 11% des hommes retraités dont la pension est inférieure au seuil de pauvreté.
Mais aujourd'hui, les conditions pour bénéficier de la réversion sont différentes selon les régimes de retraite. Leur mode de calcul diffère entre régime de base, régime des fonctionnaires, régime des complémentaires, régime des parlementaires... Certains permettent de la cumuler avec sa propre pension. D'autres l'autorisent mais en mettant en place un plafond ou en la modulant en fonction des ressources personnelles du conjoint survivant. Ces limitations excluent disproportionnellement les veufs, dont le montant des pensions est en moyenne plus élevé que celles des veuves.
Cette multiplicité de régimes invite à réfléchir sur l'opportunité de travailler à leur harmonisation. Aligner les pensions de réversion ne se fera certes pas sans réticences ni du jour au lendemain, d'autant que quand on parle d'harmonisation, deux perspectives s'opposent.
La première est comptable. Elle prend en compte l'accroissement du nombre de retraités dans les futures décennies, le ratio retraités/actifs, l'allongement de l'espérance de vie et l'éventuelle réduction de l'écart de salaires entre hommes et femmes, mais aussi le recul possible de l'âge de départ à la retraite. Elle conduit à reconsidérer les pensions de réversion, revoir leur montant à la baisse, geler le montant du plafond de cumul, voire créer des conditions telles que le nombre de bénéficiaires potentiels en serait considérablement diminué.
Dans son rapport annuel, le Conseil d'orientation des retraites estime que le système de retraite restera dans le rouge au mieux jusqu'en 2036, au pire jusqu'en 2070. Ces projections sont de nature à justifier de nouvelles mesures (hausse de la durée de cotisation pour une retraite pleine, recul formel ou de fait du départ en retraite, changement du mode de calcul des pensions...) qui diminueront le montant des pensions directes et donc celui des pensions de réversion, qui de surcroît seraient versées sur des durées moindres.
La qualité de la vie construite à deux doit être maintenue pour celui ou celle qui survit à l’autre, et qui a aussi, rappelons-le, contribué au montant de la retraite du défunt ou de la défunte.Les représentants des principales associations de retraités
La deuxième perspective, c'est de se mettre à la place des retraités concernés : l'essentiel des charges supportées par le conjoint survivant resteront quasiment les mêmes (loyer, entretien des biens, véhicule...).
Si la perspective d'une harmonisation de tous les régimes et modes de calcul des pensions de réversion est envisageable et souhaitable, elle ne peut intervenir en opposant les divers régimes, considérant que certains retraités seraient des privilégiés. Bien au contraire, en vertu du principe d'égalité de traitement des citoyens, un alignement de tous les régimes sur le plus favorable d'entre eux serait à étudier avec une mise en œuvre progressive. Aligner les pensions de réversion sur le régime le plus favorable ne serait qu'une mesure de justice sociale. Les principales bénéficiaires en seraient les veuves, qui verraient leurs conditions améliorées.
Mais alors, quel pourrait être le régime de référence ? Le plus favorable de tous est sans conteste celui des sénateurs, dont le conjoint survivant perçoit une pension de réversion égale à 60% de la pension du défunt ou de la défunte, sans plafond ni conditions de ressources. Commencer par relever progressivement le plafond pour tous les régimes concernés jusqu'à le supprimer serait déjà une première étape intéressante vers l'harmonisation des régimes. Dans le même temps, relever les pourcentages de réversion compléterait utilement la démarche prenant en compte les besoins des veuves et des veufs.
Permettre aux veuves et veufs de vivre dignement leur retraite serait une marque de respect envers les plus âgés.Les représentants des principales associations de retraités
Aussi la requête de Jean-Paul Delevoye, demandant aux partenaires sociaux s'il fallait maintenir les pensions de réversion, ressemble fort à un ballon d'essai qui doit être pris au sérieux. Il nous invite à rester vigilants sur la protection de nos droits.
Signataires : Francisco Garcia, président national de l'Union nationale des retraités et personnes âgées, Pierre Erbs, président de la CFR (Confédération française des retraités, qui regroupe la Fédération nationale des associations de retraités, L'Union française des retraités, la Confédération nationale des retraités des professions libérales, Générations mouvement, l'Association nationale des retraités de la Poste et d'Orange, et le groupement CNR-UFRB).