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Comment, en cinq ans, Parcoursup a instauré la sélection à l’université

La « phase complémentaire », pour les candidats pas encore affectés, prend fin le 16 septembre. Opacité, stress… Cette année encore, la plate-forme alimente les critiques. Des améliorations sont promises par le gouvernement.

Par Soazig Le Nevé

 

Le 16 septembre s’achèvera la cinquième campagne de Parcoursup. Depuis sa création, en 2018, la plate-forme s’est imposée dans les paysages scolaires et universitaires, mais nourrit toujours les critiques. Elle reste, pour les candidats et leurs parents, largement insaisissable, tout comme pour les professeurs de lycée, incrédules lorsque, entre deux élèves présentant le même profil scolaire, seul l’un a obtenu une place dans la formation convoitée.

L’ancienne ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a tenu bon pendant cinq ans, défendant bec et ongles sa réforme. Au printemps 2018, son cabinet avait produit en moins de six mois cette plate-forme sur laquelle quelque 640 000 lycéens et 200 000 étudiants en réorientation postent leurs candidatures.

Lors de la campagne présidentielle du printemps 2022, Parcoursup a été brandi comme un épouvantail par l’ensemble des candidats de gauche, qui ont demandé sa suppression. Aucun n’a précisé par quoi la remplacer.

Dans les rangs du gouvernement, pour ce second mandat d’Emmanuel Macron, le ton change. « Parcoursup va rester mais Parcoursup est perfectible », scande désormais le nouveau ministre de l’éducation nationale. Pap Ndiaye promet des améliorations en 2023, « notamment sur des questions de transparence et d’orientation ». L’engagement est le même de la part de sa collègue de l’enseignement supérieur, Sylvie Retailleau. Ce quinquennat sera-t-il celui des inflexions ? Sur la table de travail, beaucoup de dossiers peuvent être ouverts.

 

Une sélection qui ne dit pas son nom

La création de Parcoursup s’inscrit dans « une séquence politique particulière », rappelle Leïla Frouillou, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre, spécialiste de la ségrégation à l’université. En 2017, la plate-forme précédente, Admission post bac (APB), s’était trouvée plus saturée que jamais, avec 110 licences « en tension » – soit deux fois plus qu’en 2016 –, obligées de recourir au tirage au sort pour plus de 35 000 candidats afin de les départager. « Cette saturation a donné l’opportunité politique de basculer sur une plate-forme généralisant la sélection sur dossier scolaire », note la chercheuse.

A bas bruit, Parcoursup a instauré une sélection à l’entrée à l’université sans que jamais la ministre Frédérique Vidal assume le terme. A ses yeux, il n’est question que de favoriser la réussite d’étudiants ayant choisi leur voie dès le lycée. Les chiffres lui donneraient-ils raison ? A la session 2020, la réussite en première année de licence a été plus élevée que les années précédentes, selon une note du service statistique du ministère de l’enseignement supérieur, publiée en novembre 2021 : 53,5 % des bacheliers 2019 sont inscrits en deuxième année à la rentrée 2020, soit 8 points de plus que pour les bacheliers 2018. Des résultats liés en partie au « contexte de la crise sanitaire » et à la plus grande mansuétude des jurys, et dont la tendance reste à confirmer.

 

Le point aveugle de la satisfaction des vœux

La plate-forme est devenue la grande affaire d’une génération qui sait qu’avoir le bac ne garantit pas un accès à l’enseignement supérieur. Cette réalité préexistait à Parcoursup mais est apparue plus flagrante. Lors de la première campagne, en 2018, les réponses aux candidatures sont advenues entre le 22 mai et le 26 septembre, soit une période de quatre mois. A la mi-juillet, un tiers des candidats attendaient toujours une place ou une proposition plus conforme à leurs vœux. L’extrême lenteur de l’algorithme, totalement dépendant des désistements de candidats mieux placés, avait créé une immense déception.

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Cinq ans plus tard, la phase d’admission a été resserrée sur trois mois, du 2 juin au 16 septembre, et à la mi-juillet, 10 % des néobacheliers et 20 % des étudiants en réorientation n’avaient reçu aucune proposition. Pour réduire encore les délais, cet été, Sylvie Retailleau a décidé de réintroduire, uniquement lors de la phase complémentaire, une hiérarchisation des vœux restés en attente.

Un peu plus rapide à rendre des réponses, Parcoursup ne permet pas de mesurer la satisfaction réelle des candidats au moment où ils acceptent une proposition, tous les vœux étant mis sur le même plan. Assumée au nom de la « lutte contre l’autocensure », l’absence de hiérarchisation des choix a rompu avec la pratique d’APB, qui était justement fondée sur ce principe.

Afin de combler en partie ce vide et fournir au grand public des éléments plus qualitatifs, le ministère commande depuis deux ans un sondage, réalisé par l’Institut Ipsos auprès d’un panel d’un millier de néobacheliers. Publiée le 29 septembre 2021, la dernière étude révélait que 30 % des lycéens (21 % en 2020) ne sont pas satisfaits des réponses obtenues de la part des formations et 36 % (contre 26 %) du délai avec lequel ils ont reçu ces propositions. Plus largement, 82 % jugeaient la plate-forme « stressante » (contre 77 %) et 61 % estiment qu’elle n’est pas « juste » et ne traite pas tout le monde de la même manière.

 

Des candidats qui disparaissent

Chaque année, une part importante de la cohorte s’évapore, en quittant officiellement la plate-forme ou, tout simplement, en cessant d’être comptabilisée dans le tableau de bord ministériel, faute d’avoir reçu une proposition. « Il faudrait utiliser les bases de données du ministère pour travailler sur la catégorie des “Exit”, connaître leur profil, savoir à quel moment ils quittent la plate-forme, quelles sont les propositions qui leur ont été éventuellement faites et qui n’ont pas été acceptées », avance la sociologue Leïla Frouillou.

Qu’est-ce qui pousse un candidat à quitter Parcoursup ? « Les raisons sont extrêmement diverses, estime le chef de la plate-forme, Jérôme Teillard, qui supervise l’outil au ministère de l’enseignement supérieur depuis 2018. Certains ont le projet de partir à l’étranger, d’autres en service civique ou en année de césure. Enfin, la situation de l’emploi est telle, dans les filières en tension, que des bacheliers décident de se lancer directement sur le marché du travail. Parcoursup n’est pas hors de la société. »

Dans son rapport annuel publié en février, le comité éthique et scientifique de Parcoursup s’interroge sur le profil des 109 000 candidats néobacheliers non admis à l’issue de la procédure 2021. Les chiffres « montrent qu’une moitié des candidats non admis restent actifs sur la plate-forme après le 17 août et n’avaient donc peut-être pas réellement d’autre projet » que leurs vœux sur Parcoursup, constate le comité.

 

Une éducation à l’orientation balbutiante

A son actif, la plate-forme peut se prévaloir d’incarner « une dynamique », celle du « bac − 3/bac +3 », qui consiste à adoucir le passage du lycée à l’enseignement supérieur, jusqu’ici « un impensé », affirme Jérôme Teillard. « Avec APB, il n’y avait tout simplement rien pour accompagner les candidats. La loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, qui a créé Parcoursup, a fait de cet accompagnement tout au long de la procédure une priorité, poursuit-il. Créer un pont entre l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur est un travail très fin, mobilisant tous les acteurs. »


A l’aide du moteur de recherche, un lycéen peut accéder aux fiches de présentation de près de 20 000 formations, sélectives, universitaires ou en apprentissage. Il y a cinq ans, seuls figuraient « les attendus », c’est-à-dire les principales connaissances et compétences requises pour postuler dans chacune d’entre elles.

Une pièce manque pourtant au puzzle pour lisser la marche entre lycée et enseignement supérieur : l’accompagnement à l’orientation, décrit par les lycéens comme très variable d’un établissement à l’autre. Une hypocrisie de la réforme du lycée, qui, entrée en vigueur un an après Parcoursup, proclame l’existence de cinquante-quatre heures par an consacrées à l’orientation, alors que les lycées ne reçoivent en réalité aucune dotation horaire correspondante.

Nombre de professeurs principaux en classe de terminale témoignent de leur incapacité à mesurer l’ensemble des paramètres en jeu lorsque leurs élèves participent à un recrutement devenu subitement national. Auparavant, l’algorithme d’APB donnait la priorité aux candidats résidant dans l’académie où se situait la formation placée en premier vœu.

 

Une opacité qui perdure

Le Conseil constitutionnel, en avril 2020, a exigé davantage de transparence de la part des formations, à travers un affichage clair et informatif des attendus, mais aussi des critères d’examen des vœux, ainsi que la publication de rapports annuels sur les critères de sélection utilisés par les commissions d’examen des vœux. « Un des axes de travail, grâce à l’écoute des usagers que nous conduisons, est de rapatrier au sein des fiches formation, sur la plate-forme, une partie de ces données. Elles existent déjà en open data, mais ne sont pas forcément visibles et comprises en l’état par les candidats », reconnaît Jérôme Teillard.

La transparence reste toute relative, car la majorité des formations opèrent, afin de faciliter le travail des commissions, un préclassement des dossiers sur des critères quantitatifs, « sans que les candidats le sachent toujours ni en connaissent précisément les barèmes », alerte le comité éthique et scientifique de Parcoursup dans son rapport. « Nous demandons aux formations d’assumer leurs choix en les rendant publics, argue Catherine Moisan, statisticienne et membre du comité. Les licences universitaires font aujourd’hui ce que les classes prépa aux grandes écoles ont fait depuis la nuit des temps en toute opacité et sans que personne leur demande rien. Désormais, il s’agit d’une préoccupation nationale. »

Des candidats plus anxieux

Auprès des lycéens, prononcer le mot Parcoursup suffit à déclencher un flot de questions, à faire monter le stress. « Quels vœux d’orientation postbac correspondent à mon dossier scolaire depuis la seconde ? », « Le choix de tel enseignement de spécialité en terminale est-il judicieux pour intégrer telle formation du supérieur ? », « Ma mauvaise note à une évaluation du premier trimestre de première peut-elle invalider ma candidature ? »


Le résultat de ce flou artistique s’observe dans toutes les classes de terminale quand vient l’heure de valider les candidatures : « S’ils sont très angoissés par rapport à Parcoursup, c’est parce que les élèves ont le sentiment de ne pas contrôler la situation », analyse Emmanuelle Vignoli, maîtresse de conférences en psychologie de l’orientation au Conservatoire national des arts et métiers. Elle mène actuellement une enquête sur un panel de 1 000 lycéens suivis depuis leur préparation à Parcoursup jusqu’à leurs premiers mois dans l’enseignement supérieur.

Les professeurs et les chefs d’établissement, mais aussi parfois les parents, tiennent auprès d’eux « un discours ambivalent en leur recommandant de ne pas être trop anxieux tout en précisant que s’ils se trompent dans leurs choix, la suite risque d’être dure », décrit la chercheuse. S’ajoute l’idée largement véhiculée qu’« un algorithme va prendre la décision et pas des êtres humains », ce qui implique que lorsque les résultats d’admission tombent au mois de juin, des jeunes sont parfois désemparés de se retrouver sur des listes d’attente de plusieurs milliers de noms. « A cette date, ils ne sont déjà plus vraiment dans le système scolaire et l’accompagnement peut commencer à faire défaut », note Emmanuelle Vignoli.

Un lycéen « autoentrepreneur »

Depuis 2018, le coût d’entrée dans les études s’avère plus élevé. La « fiche avenir », comportant CV et lettre de motivation, adossée au dossier scolaire, dont les notes doivent être les plus performantes possible, constitue le faire-valoir du candidat, qui doit se présenter comme conforme aux attentes de la filière convoitée. « Lorsque vous n’êtes pas sûr de pouvoir, de savoir, d’avoir les compétences pour réussir dans cette formation, un prétri s’effectue en amont », souligne Leïla Frouillou, citant notamment le cas de jeunes filles et d’élèves « dominés scolairement » qui s’autocensurent.

En promouvant « l’autoentreprise de soi, poursuit la sociologue, Parcoursup a individualisé les parcours. Intuitivement, on a l’impression que l’individualisation est une dynamique qui va être favorable aux individus alors que ce n’est pas si clair que cela, l’asymétrie d’information et les choix multiples générant des inégalités ».

Les stratégies des lycéens et de leurs parents sont en train de se remodeler, observe Vincent Tiberj, professeur de sciences politiques à Sciences Po Bordeaux, dans un article publié dans La Vie des idées. « Avec Parcoursup, on pourrait voir émerger une nouvelle stratégie de “relocalisation” », pressent-il. Pour mieux valoriser le dossier scolaire de leurs enfants, « certains parents pourraient choisir d’en faire un bon élève parmi des élèves supposés moins bons », délaissant des lycées réputés, à la notation plus sévère et à la composition sociale homogène. Parcoursup aurait alors un dernier effet surprise : recréer de la mixité scolaire, là où l’assouplissement de la carte scolaire avait abouti à une plus forte polarisation sociale entre établissements.