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lepoint.fr par Florent Barraco, Jérôme Béglé

 

Pierre Charon : « Si on continue comme ça, ça finira mal »

 

Pierre Charon est l'un des piliers de « l'ancien monde ». Directeur adjoint du cabinet de Jacques Chaban-Delmas à l'hôtel de Lassay, il fut ensuite un collaborateur proche de Jacques Chirac à l'Hôtel de Ville, d'Édouard Balladur à Matignon et de Nicolas Sarkozy à l'Élysée. Sénateur de Paris depuis 2011, il figurera en bonne place sur la liste de Philippe Goujon maire du 15e arrondissement de Paris, un baron de la capitale qui ne s'est pas rallié à Rachida Dati. Mais le dissident Charon en a vu d'autres… Ce ne sont pas des vents mauvais qui le feront changer de trottoir… Des « chasses présidentielles », à la commission nationale d'investiture des Républicains, de la direction des relations extérieures de la loterie nationale au Conseil économique social et environnemental (CESE), ce « Baron noir » de la droite qui fut également assistant parlementaire de Marcel Dassault, conseiller à la direction d'Elf-Aquitaine et président du GIE France Galop connaît comme personne les lieux et les personnages de pouvoir. Trop malin pour flinguer ses adversaires, mais trop lucide pour encenser ses amis politiques, il porte un regard amusé, bienveillant mais sans illusion sur la pièce de théâtre dans laquelle il joue un rôle discret mais essentiel. Macron, la France de 2020, les municipales, la droite, Rachida Dati et Nicolas Sarkozy, le sénateur Charon ne mâche pas ses mots.

Le Point : Pensez-vous, comme le président de la République, que c'est un avantage d'avoir une majorité composée d'amateurs ?

Pierre Charon : J'ai été très surpris par cette phrase. Je pensais que la politique était une affaire de professionnels. Ça devrait être le cas et c'est encore plus vrai et nécessaire aujourd'hui. C'est fini l'époque où il suffisait aux maires de serrer des mains dans la rue pour se faire réélire. Maintenant, les citoyens veulent des VRP qui viennent à Paris avec des dossiers et qui repartent dans leur circonscription ou leur ville avec des résultats – c'est-à-dire de l'argent ou des projets. Je trouve que la phrase du président de la République est maladroite. C'est une façon de séduire 315 personnes qui ont été recrutées sur un clic, qui plus est par Jean-Paul Delevoye que l'on surnommait, de manière un peu moqueuse, quand il était président du CESE « Jean-Paul Delevoye de garage » (sourire). Quand j'ai vu que Delevoye était le recruteur en chef, je me suis dit : « ça va être intéressant » (rires). Sont arrivés des gens un peu hébétés, qui ont quitté leur cabinet de kiné – pour le reprendre dans cinq ans –, pour rendre service. Sauf que pour moi être parlementaire, c'est le Graal. Vous êtes militants, vous collez des affiches, vous montez les échelons et vous arrivez à l'Assemblée, c'est formidable. Eux, ils viennent rendre service… Cela pose également la question du calendrier électoral qui n'est pas adapté. Un président élu un mois avant les élections législatives est de fait le président de l'Assemblée nationale. Ça fausse tout.

C'est la décision de Jacques Chirac…

Oui, c'est le calendrier Chirac-Jospin. C'est une énorme bêtise. D'ailleurs, l'inversion du calendrier aurait sans doute évité la crise des Gilets jaunes. Les Français voient que le président est élu pour cinq ans, qu'ils ne peuvent rien faire pendant tout le mandat. Au lieu de le sanctionner dans les urnes, ils manifestent. Finalement, aujourd'hui, seul compte le fait présidentiel et on se fiche de tout le reste ? Non, justement on ne se fiche pas de tout le reste ! D'ailleurs, je salue l'initiative du président du Sénat, Gérard Larcher, qui a réuni le patron des régions de France, des maires et des départements. Quand vous avez toute la province contre vous, c'est que quelque chose ne va pas. Gérard Larcher a rehaussé le rôle du Sénat après le mandat très médiocre de Jean-Pierre Bel. La preuve : les décisions du Sénat sont désormais très redoutées.

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L'amateurisme n'est pas qu'à l'Assemblée. L'exécutif a vécu des dernières semaines compliquées avec la réaction de Nicole Belloubet sur l'affaire Mila, les polémiques sur la circulaire Castaner ou le président de la République qui pose avec un tee-shirt anti-LBD.

Si on continue comme ça, ça finira mal. Vous savez, La Fontaine en a fait des fables… Nicolas Sarkozy était à 31 % au premier tour en 2007. Emmanuel Macron a fait 23 %. Il était déjà fragilisé dès le départ. C'est comme une OPA hostile dans le monde de l'entreprise : ceux qui ont 20 % des voix (Mélenchon, Le Pen) sont dangereux. Le président de la République doit renverser la table : soit tout changer dans le gouvernement, soit faire un référendum.

On a vu qu'Emmanuel Macron et Édouard Philippe avaient eu du mal à remplacer un secrétaire d'État…

À l'Élysée, les gens sont clonés. Il manque quelqu'un de madré qui arrange les choses, parle seul au président de la République quand ça tangue dans le pays. Giscard avait Jean Riolacci, Chirac avait Maurice Ulrich, Mitterrand avait Charasse. Aujourd'hui, il n'y a personne.

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Mon camp n'est pas équipé aujourd'hui pour se faufiler entre le RN et le président Macron. La droite n'est plus incarnée depuis le départ Nicolas Sarkozy.

Comment voyez-vous le nouveau monde politique version Macron ?

Il nous a tous roulés. Je n'aurais jamais misé un kopeck sur lui quand je l'ai vu au 20 Heures dire qu'il allait créer un parti politique – avec ses initiales ! – et qu'il avait les plus grandes ambitions pour lui-même. Chapeau l'artiste. Il nous a épatés – même Nicolas Sarkozy. La France s'offre un président de quarante ans, on se dit qu'on en prend pour un bon moment, c'est plié. Eh bien, non, pas du tout. Quand la reine d'Angleterre a parlé d'annus horribilis, elle parlait d'une année. Le pouvoir vit une annus horribilis sur plusieurs années : les mauvaises nouvelles électorales s'accumulent.

Pourtant, certains LR sont tentés de rejoindre LREM…

Il faut dire qu'à Paris, au second tour de la présidentielle et aux européennes, LREM a fait des scores énormes… Cela a suscité chez un certain nombre d'élus un petit affolement – malgré la devise de Paris : Fluctuat nec mergitur… Ils ont sauté par-dessus bord et certains ont flotté allégrement avec LREM. Ils ont tort de confondre les élections. Les sondeurs vous disent, avec lucidité, que les élections municipales n'ont rien à voir avec les autres scrutins. On est très attaché à son maire et on ne regarde pas forcément l'étiquette. Tout ça pour vous dire que LREM ne gagnera pas les municipales – il n'y aura même pas de conquêtes –, ne progressera pas au Sénat et ne conquerra probablement pas beaucoup de départements et de régions l'an prochain. Et on sera à quelques mois de la présidentielle… Il n'y aura aucune bonne nouvelle pour aujourd'hui et pour demain.

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Il y a tout de même de bonnes nouvelles, notamment sur le front économique avec un taux de chômage au plus bas depuis 2008…

Est-ce qu'on peut être réélu sur son bilan ? On a connu ça avec Lionel Jospin. Je ne suis pas sûr que ça suffise. Mais faisons également notre autocritique : je pense que mon camp n'est pas équipé aujourd'hui pour se faufiler entre le RN et le président Macron. La droite n'est plus incarnée depuis le départ Nicolas Sarkozy. Il avait l'habitude de dire : « C'est celui qui en a le plus envie qui gagne. » Qui aujourd'hui dans ma famille politique en a le plus envie et surtout qui l'exprime ? La maison est tenue par Jacob. Il nous dit : « Je viens rendre service, je n'ai pas d'ambition. » On nous parle de Xavier Bertrand, de François Baroin, de Valérie Pécresse, de Bruno Retailleau. Mais iront-ils ? Je pense d'abord qu'il faut supprimer de nos statuts, l'article qui nous oblige à faire des primaires. C'était une énorme bêtise que nous avons lourdement payée…

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Avant l'incarnation, la droite ne doit-elle pas se doter d'un corpus idéologique ?

Pour moi, avant les programmes, il faut l'incarnation. Trouvons la bonne personne et le programme viendra. Nous avons relancé les travaux, notamment sous la houlette de Guillaume Larrivé, pour avoir sur chaque thème des propositions.

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Venons-en aux municipales à Paris. Les sondages montrent que la seule candidate qui offre une alternative à Anne Hidalgo, c'est Rachida Dati…

Les sondages mesurent peut-être l'image ou la notoriété, mais sont peu fiables sur les intentions de vote. À Paris, c'est un scrutin par arrondissement : je rappelle qu'il y a 6 ans, Nathalie Kosciusko-Morizet était créditée de 39 % au 1er tour devant Anne Hidalgo et à l'arrivée, nous fîmes, 45 %.

Édouard Philippe aurait pu être un très bon candidat de la droite à Paris ?

Si le Premier ministre Édouard Philippe avait voulu y aller, je pense qu'il y aurait eu des défections au sein des Républicains de Paris et notamment des maires LR d'arrondissement.

Très bonne réponse, mais ce n'était pas notre question…

(Rires) Mais ma réponse est un scoop. Selon les enquêtes que nous avions à notre disposition, il y a quelques mois, Édouard Philippe était le seul capable de battre Anne Hidalgo.

La République en marche est incapable de gagner les municipales et est obligée de se comporter comme un coucou qui vient dans le lit des autres pour s'occuper des petits dont ils ne sont pas les parents.

Les candidats redoublent d'imagination dans leurs propositions environnementales. Qu'en pensez-vous ?

C'est la course aux arbres, le concours Lépine des propositions les plus baroques : Central Park à la gare de l'Est, la plantation de dizaines de milliers d'arbres, etc. Sous la IVe République, Ferdinand Lop voulait « prolonger le boulevard Saint-Michel jusqu'à la mer et réciproquement »… On y est presque. Cela montre que l'électorat vert sera la grande inconnue de ces élections à Paris comme ailleurs. Quoi qu'il en soit, je voterai pour celui ou celle qui sera capable de battre Anne Hidalgo. Si c'est Rachida Dati, je voterai pour elle.

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Que seraient des municipales réussies pour le parti du président ?

La dernière fois à Paris, la droite a réussi à faire élire 55 candidats LR et 16 MoDem ou UDI. Nous n'étions qu'à une vingtaine de conseillers de la majorité, pour une campagne loupée, ce n'était pas si mal. Le groupe s'est disloqué par la suite après la présidentielle et les législatives tellement favorables à Emmanuel Macron. Dans l'état actuel des choses, La République en marche est incapable de gagner les municipales et est obligée de se comporter comme un coucou qui vient dans le lit des autres pour s'occuper des petits dont ils ne sont pas les parents. Ils en sont à négocier des places sur des listes pour pouvoir les estampiller et ensuite revendiquer la victoire. La circulaire Castaner, qui a été heureusement suspendue par le Conseil d'État, en est l'illustration. Mais malgré cela, ces élections seront un échec pour le parti du président. La droite les avait gagnées en 2014, nous allons probablement conserver nos positions et peut-être créer la surprise.

Benjamin Griveaux se retire de la campagne pour les municipales. Qu'est-ce que cette décision vous inspire ? 

Les réseaux sociaux sont l'occasion de procès à charge où tout est déballé. C'est particulièrement indigne de notre démocratie, surtout quand la vie privée d'un homme politique est jetée en pâture au grand public ! La démocratie, c'est le débat sur les projets, la confrontation des idées, pas la divulgation de vidéos obtenues par des procédés douteux et probablement illégaux !

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Vous êtes sénateur depuis neuf ans. Avez-vous l'impression d'être utile à votre pays dans cette fonction ?

J'ai réussi à faire voter des centaines d'amendements que j'avais déposés ou cosignés. Personne ne conteste aujourd'hui la subtilité des sénateurs dans leur travail législatif. Surtout quand l'Assemblée nationale est peuplée de plus de 300 députés novices appartenant à un même parti. Le Sénat est présidé par Gérard Larcher, qui connaît parfaitement les subtilités constitutionnelles et est d'une habileté redoutable. Avec l'aide de nos alliés centristes, de Bruno Retailleau et de Philippe Bas, nous avons repoussé un nombre incalculable de lois absurdes. Vive le bicamérisme !

Que vous inspire le feuilleton judiciaire autour du couple Balkany ?

La délinquance financière est très grave, mais la meilleure façon pour la justice de la réprimer, c'est de faire payer les fraudeurs. L'incarcération me semble en l'espèce un peu disproportionnée. D'autant plus quand on sait que Jérôme Cahuzac est actuellement chirurgien à l'hôpital de Bonifacio en Corse et qu'il n'a pas même fait une seule minute de garde à vue. Être ministre des impôts et tricher sur ses impôts me semble infiniment plus grave que de placer en Suisse l'argent d'un père qui sort d'Auschwitz. Les deux sont condamnables, mais la différence de traitement entre M. Cahuzac et M. Balkany me saute aux yeux…

Nicolas Sarkozy peut-il revenir en politique et redevenir président ?

Il est très en forme. Nicolas Sarkozy ne dit rien qui puisse être répété. Personne ne peut se vanter d'avoir une phrase de lui qui révèle son véritable état d'esprit. Il a inventé un nouveau métier : ancien président de la République, républicain et élégant. Une fonction que son successeur n'a visiblement pas choisi d'occuper… Il honore de sa présence des cérémonies républicaines et représente souvent la France à l'étranger à la demande du président Macron. Quoi de plus normal ?

Voyez-vous des points communs entre Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy ?

Moins qu'on ne le dit. Jamais Nicolas Sarkozy n'aurait laissé faire à Paris ce qui s'est passé, c'est-à-dire une guerre fratricide entre deux députés de la majorité : Benjamin Griveaux et Cédric Villani. Lorsqu'il a vu les mauvais sondages dont était crédité David Martinon, éphémère candidat aux municipales de Neuilly, il l'avait proprement « débranché » en 48 heures. Il avait voulu Neuilly, il a eu Kaboul.

Le personnage du Baron noir de Canal+, c'est vous ?

Le Baron noir est un homme de gauche. Pas moi ! Cela fait 50 ans que je suis dans le même parti et que je m'adapte…

Quelle personnalité politique avec laquelle vous avez travaillé vous a le plus impressionné ?

Jacques Chaban-Delmas ! J'ai travaillé avec lui dès mes 27 ans. Seul un homme qui avait été général de la Résistance à 29 ans pouvait faire confiance à des jeunes. Il m'a tout appris. Comme le respect de l'adversaire. « En politique, me disait-il, il n'y a pas d'ennemi, il n'y a que des adversaires, car l'ennemi, lui, vient de l'étranger. » Je suis encore chabaniste. À l'époque, Chaban s'était présenté à la présidence de l'Assemblée contre Edgar Faure, le candidat officiel de l'UDR. Avec quelques autres jeunes, nous avons littéralement pris d'assaut l'hôtel de Lassay. Ce qui est formidable en politique, c'est que l'on n'attend pas la mort de son chef de service pour grimper dans les échelons : c'est exécutoire ! Nous avons d'ailleurs célébré à l'Assemblée nationale le 50e anniversaire du discours d'octobre du 16 septembre 1969 sur la nouvelle société. Édouard Philippe reconnaît lui-même qu'il est encore le plus beau discours de politique générale jamais prononcé par un Premier ministre.

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La politique vous excite-t-elle encore ?

Oui, toujours. Et pourtant, à cause d'elle je me suis retrouvé deux fois au chômage. Comme je ne suis pas fonctionnaire, je n'avais pas de filet de sécurité, j'ai donc vraiment pointé à l'ANPE. Ça permet de savoir de quoi on parle…