JustPaste.it
 Source atlantico.fr par Bruno Parmentier

 

L’effet chaleur : qu’allons-nous manger et boire cette année après les canicules à répétition ?

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

 

Atlantico : Les canicules à répétition à travers l'Europe auront-elles des conséquences notables sur notre assiette pendant l'année ? Quelles sont les conséquences sur les récoltes et les vendanges ? 

 

Bruno Parmentier : En agriculture, le mauvais temps n’est pas tant le fait d’une situation ponctuelle (à part la grêle, la tempête ou le gel) mais d’une situation qui se prolonge. Le soleil n’est pas bon « en soi », mais quand il ne peut plus jamais, ça devient du mauvais temps ; la pluie n’est pas bonne « en soi », mais quand l’eau tombe sans discontinuité pendant des semaines, ça devient du mauvais temps. Là, en 2018, nous avons eu du mauvais temps cet hiver parce qu’il y a eu une sécheresse prolongée, suivi de mauvais temps au printemps, cette fois-ci parce qu’il a plu sans discontinuer.

Maintenant, nous affrontons la canicule ; commençons par dire que c’est une canicule « bien élevée », car elle arrive à son heure, fin juillet début août. Le blé, par exemple, qui n’aime pas du tout la canicule en mai-juin, est maintenant stocké (bien au chaud !) dans les silos, et donc sa récolte n’a pas été affectée par cette canicule-ci (contrairement à ce qui s’était passé en juin 2015) ; en revanche le printemps trop pluvieux a provoqué, semble-t-il, une baisse de production de 6 à 7 %. Le maïs, lui, est une plante tropicale qui supporte relativement bien la chaleur, mais à condition d’avoir de l’humidité. Donc, partout où on pourra arroser, et donc prélever dans les nappes pratiques qui ont été largement remplies printemps, tout ira bien ; en revanche le maïs non irrigué a du souci à se faire !

La chaleur va probablement faire accélérer le mûrissement des fruits et légumes, enfin de ceux qui pourront disposer d’eau. Les ouvriers agricoles devront probablement travailler davantage, probablement de plus en plus tôt pour ne pas risquer l’insolation, et partager leur temps entre l’irrigation et la récolte. Mais il n’est pas sûr que les débouchés soient là car les consommateurs ne flânent pas sur les marchés quand il fait trop chaud ! Et donc, à court terme, il risque d’y avoir des excès de production et des baisses des cours.

Ceux qui risquent d’être les plus affectés sont les éleveurs, car les animaux, comme les humains, souffrent de la chaleur (il n’y a qu’à voir la propension qu’ils ont à se mettre à l’ombre, tout comme nous !). On aura donc probablement moins d’œufs, moins de lait et de la viande de moins bonne qualité… mais certains éleveurs réagissent déjà en installant dans leurs locaux des ventilateurs-brumisateurs qui permettent de gagner une dizaine de degrés, ce qui soit dit en passant représente une augmentation notable des coûts de production dans une profession qui est déjà économiquement très fragilisée.

Les animaux ruminants qui sont aux pâturages vont souffrir du manque d’herbe disponible, même en montagne, et les éleveurs devront souvent entamer précocement leur stock de foin de l’hiver. Sans compter que les ruisseaux de montagne se tarissent, ce qui oblige par exemple en Suisse l’armée et des sociétés privées à monter dans les alpages par hélicoptère des centaines de milliers de litres d’eau pour approvisionner les abreuvoirs (les besoins en eau d’une vache, qui sont d’une cinquantaine de litres d’eau par temps froid et humide, peuvent monter à 200 litres quotidiens en période de canicule !).

La vigne, elle, aime le soleil. On fait de très bons vins dans le sud de l’Espagne et l’Italie, donc quelques degrés de plus pendant quelques jours ne devraient pas être dramatiques en Champagne ou dans la vallée de la Loire. Le problème de la viticulture mondiale est celui du réchauffement climatique qui fait que la zone favorable à la production de vin a tendance à remonter en latitude. La France n’est pas la plus affectée parce qu’elle est au milieu de cette zone, mais il n’est pas impossible qu’au lieu d’avoir des concurrents siciliens, nous en ayons des Anglais et des Danois dans les prochaines décennies. Rappelons d’ailleurs qu’en France il est interdit d’arroser la vigne, pour l’obliger à développer ses racines afin d’aller chercher l’eau dans des nappes phréatiques plus profondes.

Doit-on s'attendre à une hausse des prix sur les matières premières ? 

Dans un marché européen et maintenant largement mondialisé, la baisse de production dans une seule région n’affecte pas nécessairement fortement les prix des aliments « transportables ». Souvenons-nous par exemple que l’énorme baisse de production de blé française en 2016 (la production avait baissé d’un tiers) n’avait pas empêché un effondrement des cours mondiaux, car, justement cette année-là, la plupart des autres producteurs avait fait d’excellentes récoltes, en particulier en Amérique du Nord, et en Russie. Pour que les intempéries affectent les cours mondiaux, il faut qu’il y ait simultanément de gros problèmes de production dans plusieurs bassins de production. Il est encore trop tôt pour dire si ce sera le cas cette année 2018, et pour quelle production.

On peut néanmoins estimer que, si les fruits et légumes mûrissent plus tôt cette année, on devrait avoir des cours relativement bas au mois d’août mais qui pourront peut-être remonter en septembre, car la production qui a déjà été récoltée ne sera plus à venir.

Quels mécanismes européens nous protègent-ils de telles conséquences (du moins en théorie) ?

Bruno Parmentier : L’Europe actuelle n’aime plus distribuer des aides conjoncturelles du type catastrophes naturelles car ses théoriciens préfèrent que les agriculteurs soient « confrontés aux forces et aux aléas du marché ». Lorsque la situation devient réellement catastrophique, elle fait parfois quelques exceptions à sa règle libérale, par exemple dans le cas du lait et du porc dans les dernières années. Mais on est très loin du compte actuellement avec cette canicule qu’il faut bien considérer comme dorénavant « ordinaire ». Notons cependant que les agriculteurs allemands ont d’ores et déjà réclamé 1 milliard d’euros d’aides exceptionnelles en raison de la sécheresse prolongée qu’a dû affronter ce pays voisin.

Le problème de fond est celui de l’adaptation de nos agricultures au réchauffement climatique, malheureusement inéluctable à court terme. Nous avons su créer en Europe de l’ouest une agriculture productive, la plus productive du monde, que certains qualifient d’ailleurs de « productiviste » ; il nous reste à la créer également « résiliente ». On doit faire en sorte de produire, même quand il fait chaud, même quand il fait sec, même quand les printemps sont très humides, etc. Si vraiment on va vers 45 jours annuels de canicule à la fin du siècle, plus d’eau l’hiver et moins l’été, avec davantage de parasites, les techniques agricoles devront évoluer fortement. Et là l’Europe n’a pas encore pris conscience de l’énorme effort à accomplir, en recherche, expérimentation, formation, accompagnement du changement, etc.