Guerre Israël-Hamas : ces entreprises françaises montrées du doigt pour leurs activités liées à la colonisation israélienne
Le 19 juillet, la Cour internationale de justice a déclaré « illégale » la colonisation israélienne de territoires palestiniens depuis 1967. Ce qui pourrait avoir des répercussions pour les groupes français qui y sont présents.
Par Julien Bouissou
Chantier du prolongement de la ligne rouge de tramway dans la colonie de Neve Yaakov, à Jerusalem-Est, le 6 août 2024. LUCIEN LUNG / RIVA PRESS POUR « LE MONDE »
L’avis rendu, le 19 juillet, par la Cour internationale de justice (CIJ) estimant que la colonisation israélienne de territoires palestiniens est « illégale » depuis 1967 ne sera pas sans conséquences pour les entreprises françaises, dont une partie des activités sont liées à cette présence, selon plusieurs juristes interrogés.
Trois groupes français figurent dans une base de données créée par les Nations unies, en 2020, qui répertorie les entreprises qui avaient, « directement et indirectement, permis la construction et la croissance des colonies de peuplement, les avaient facilitées et en avaient profité ». Cette liste est établie par le Haut Conseil des droits de l’homme, à la suite d’une résolution votée, en 2016, par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Elle ne concerne que certains secteurs et recensait, lors de sa dernière mise à jour, en juin 2023, 97 entreprises, en majorité israéliennes.
On y trouve Altice International, propriétaire de l’opérateur téléphonique SFR, le numéro deux mondial de la construction ferroviaire Alstom ou encore Egis, spécialisé dans l’ingénierie de la construction et l’exploitation d’infrastructures, dont la Caisse des dépôts est actionnaire à hauteur de 34 %.
« Quand la CIJ dit le droit, on peut considérer que c’est le droit, donc c’est un avis important, dont les tribunaux français vont forcément s’emparer s’il y a des recours contre les entreprises en question », avance Alain Pellet, professeur émérite à l’université Paris-Nanterre et ancien président de la Commission du droit international des Nations unies.
Devoir de vigilance
Même si les entreprises ne sont pas soumises au droit international, elles peuvent faire l’objet de recours devant les tribunaux, sur la base du devoir de vigilance. Ce principe, qui existe en droit français depuis 2017, s’applique aussi par une directive européenne mise en place en juillet, dont le non-respect peut entraîner une amende. Il oblige la plupart des grandes entreprises à s’assurer que leurs activités n’enfreignent pas les droits humains et respectent la protection de l’environnement partout dans le monde, et auprès de leurs clients ou de leurs fournisseurs.
« La CIJ invite les Etats à adapter leurs législations pour empêcher la colonisation ou le maintien de la puissante occupante dans ces territoires, ajoute Me Philippe Valent, avocat pénaliste au barreau de Paris. Ce qui signifie, pour l’Europe, d’imposer des règles de conformité aux entreprises et de décider d’un paquet de sanctions. Mais c’est peu probable à ce stade. »
Les entreprises pourraient être poursuivies pour d’autres motifs que celui de la participation à la colonisation « illégale », selon l’avis de la CIJ. « Il constate d’autres formes de violation comme les pratiques discriminatoires, complète Maître Philippe Valent. Donc un habitant des territoires occupés qui se considère comme victime pourrait, par exemple, assisté d’une ONG, tenter de s’en servir pour prouver l’infraction commise devant une juridiction en France. »
« Des clients de toutes confessions »
Aucune des entreprises interrogées par Le Monde ne déclare vouloir changer de politique, malgré l’avis de la CIJ. Altice International renvoie à son communiqué publié il y a quelques mois, dans lequel elle affirme que sa filiale Hot « respecte les réglementations locales ». Le groupe luxembourgeois de l’homme d’affaires franco-israélien Patrick Drahi, qui possède Hot Mobile et Hot Telecommunication Systems en Israël, a installé de nombreuses antennes-relais dans les territoires occupés, où il fournit aussi l’accès à Internet et à des chaînes de télévision. Le groupe dit « offrir ses services à des clients de toutes confessions et dans toutes les localités, notamment des chaînes de télévision et des contenus en arabe pour le bénéfice des clients arabes ».
Dans la liste des Nations unies, Alstom et Egis sont accusés de contribuer « à l’entretien et à l’existence des colonies de peuplement, y compris dans le domaine des transports ». Alstom est aussi épinglé pour « l’utilisation de ressources naturelles, en particulier l’eau et la terre, à des fins commerciales », sans plus de précisions. Le constructeur ferroviaire explique au Monde avoir été répertorié dans cette base de données pour sa participation « à la maintenance de la ligne rouge du métro léger de Jérusalem », qui relie la ville à plusieurs territoires occupés. Il affirme que cette coopération a cessé et a demandé son retrait de la liste en décembre 2023.
L’entreprise est aussi impliquée, à travers sa filiale Bombardier, dans la fourniture de matériel roulant sur la ligne à grande vitesse reliant Jérusalem à Tel-Aviv, qui traverse des territoires occupés. Interrogée sur cette activité, elle n’a pas répondu.
Egis explique au Monde avoir « fourni des conseils techniques sur la construction » de la ligne bleue de tramway reliant Jérusalem aux territoires occupés de Cisjordanie. Elle précise toutefois que ces conseils « ne comprenaient pas la sélection du tracé de la ligne » et ajoute que « lors des consultations publiques (…), les quartiers arabes de Jérusalem-Est [de l’autre côté de la frontière de 1949] se sont exprimés en faveur du tramway ».
L’entreprise dit avoir « exprimé au Haut-Commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme son désaccord avec l’inscription sur la liste », arguant que ses « activités à Jérusalem constituaient une assistance technique et non un soutien à l’établissement ou au développement de colonies de peuplement. »
« Pas d’impact commercial notable »
Sur la liste de l’ONU figure aussi le groupe Israélien Electra, dont la filiale Yenot Bitan a signé, en avril 2022, un accord de franchise avec le géant français Carrefour pour ouvrir cinquante magasins. Selon les chiffres de l’ONG israélienne Who Profits, Electra possède neuf magasins dans huit colonies. L’enseigne française, soumise au devoir de vigilance, rétorque qu’elle n’autorise « ni sa marque ni les produits de sa marque » dans les territoires occupés.
Elle a aussi été la cible d’un appel au boycott, notamment par le mouvement international Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS), après avoir fait don de colis alimentaires à l’armée israélienne. Une distribution dont elle relativise la portée auprès du Monde, évoquant des « initiatives individuelles datant des premiers jours d’octobre 2023 qui ont été stoppées immédiatement ». L’enseigne, présente dans tout le Moyen-Orient à travers des franchises qui emploient plus de 60 000 personnes, affirme ne « pas avoir enregistré d’impact commercial notable », sans donner aucun élément chiffré.
Les entreprises dont l’activité est liée directement ou indirectement à la colonisation israélienne courent le risque de voir les investisseurs se détourner d’elles. En juillet 2021, KLP, le plus gros fonds de pension privé norvégien, s’était désengagé d’Alstom et d’Altice, expliquant à l’époque que ces deux entreprises risquaient « d’être complices de violations des droits de l’homme en situation de guerre en raison de leurs liens avec les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée ».
En juin, le même fonds de pension s’est aussi désengagé de l’américain Caterpillar, au motif que « l’équipement de l’entreprise était utilisé par les forces de défense israéliennes dans le cadre de leur campagne militaire à Gaza à la suite de l’attaque du Hamas le 7 octobre », redoutant qu’elle « contribue aux violations des droits de l’homme et du droit international en Cisjordanie et à Gaza ».