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La réforme du RSA suscite inquiétudes et scepticisme

Le conditionnement du versement du revenu de solidarité active à une quinzaine d’heures d’activité par semaine, qui devrait figurer dans la prochaine loi « plein-emploi », soulève des questions sur les financements ou sur les éventuelles mesures coercitives à l’encontre des allocataires.

Par Thibaud Métais

Publié le 04 mai 2023

 

Une réforme de l’assurance-chômage à l’automne 2022. Un hiver rythmé par les défilés contre celle des retraites. En ce printemps, le gouvernement se penche sur une autre réforme, celle du revenu de solidarité active (RSA). Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le projet a été confirmé par la première ministre, Elisabeth Borne, mercredi 26 avril, lors de la présentation de sa feuille de route pour les « cent jours d’apaisement » voulus par le chef de l’Etat après l’éruption sociale des derniers mois. Pas sûr, toutefois, que le projet de loi « plein-emploi », qui doit être présenté par l’exécutif début juin, et qui portera la transformation de Pôle emploi en France Travail et, donc, la réforme du RSA, apporte la quiétude recherchée.

 

Si les contours précis du texte ne sont pas encore connus, le rapport France Travail remis par le haut-commissaire à l’emploi, Thibaut Guilluy, au ministre du travail, Olivier Dussopt, le 19 avril, donne de sérieuses indications sur son contenu. Le gouvernement souhaite que France Travail soit la « porte d’entrée pour l’ensemble des personnes en recherche d’emploi », et notamment les 2 millions de bénéficiaires du RSA. Aujourd’hui, seulement 42 % d’entre eux sont inscrits à Pôle emploi. L’objectif affiché est d’améliorer l’accompagnement des allocataires, qui peut se révéler particulièrement défaillant dans le système actuel, alors que 18 % d’entre eux (environ 340 000 personnes) « ne sont pas orientés vers un organisme d’accompagnement », selon le rapport.

 

C’est pour corriger cette situation que le gouvernement souhaite conditionner le versement du RSA à une quinzaine d’heures d’activité par semaine, dans une logique de « droits et devoirs ». Le dispositif doit être un des leviers de l’exécutif dans son objectif d’atteindre le plein-emploi pour 2027 – un taux de chômage autour de 5 %, contre 7,2 % aujourd’hui. En janvier 2022, la Cour des comptes avait critiqué les mauvais résultats du RSA en matière de retour à l’emploi. « Au total, sept ans après l’entrée au RSA (…), seuls 34 % en sont sortis et sont en emploi – et parmi ceux-ci, seul un tiers est en emploi de façon stable », notait la juridiction dans son rapport.

 

« Effet d’annonce »

Mais plusieurs voix font part de leurs doutes et de leur inquiétude à l’égard du projet gouvernemental. « Ça coûterait une fortune de donner de quinze à vingt heures d’activité à chaque allocataire du RSA », prévient Michaël Zemmour. L’économiste estime qu’une telle mesure n’est qu’un « effet d’annonce pour dire qu’on va remettre des gens au travail ». Dans son rapport, Thibaut Guilluy compte sur un investissement de 2,3 milliards à 2,7 milliards d’euros pour la période de 2024 à 2026.

Une somme « importante », pour Elisabeth Borne, mais « qui ne correspond pas du tout aux enjeux », selon le sociologue Jean-Claude Barbier. « L’échec des politiques d’insertion s’explique souvent par leur sous-financement », complète le directeur de recherche émérite (CNRS) à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne.

 

« Il ne faudrait pas refaire les ateliers nationaux de 1848 [créés après la révolution de 1848 pour fournir du travail aux chômeurs parisiens, et supprimés après quelques mois]. Donner administrativement une occupation aux gens, ça ne marche pas, met en garde Antoine Foucher, président du cabinet de conseil Quintet et ex-directeur du cabinet de Muriel Pénicaud, lorsque celle-ci était ministre du travail. S’il s’agit de développer des dispositifs d’accompagnement qui ont fait leurs preuves, l’intention est bonne, mais la question concrète va être de trouver des solutions sur mesure, ce qui est redoutablement difficile. »

 

Le gouvernement s’inspire notamment du contrat d’engagement jeune (CEJ), mis en place en mars 2022. Un dispositif réservé aux 16-25 ans et aux moins de 30 ans en situation de handicap qui ne sont ni en études, ni en activité, ni en formation, et qui peinent à accéder à un emploi durable. Ces derniers s’inscrivent dans un parcours d’accompagnement de quinze à vingt heures hebdomadaires en échange d’une allocation de 530 euros. « Si on veut faire aussi bien dans l’accompagnement du RSA que pour le CEJ, il va falloir mettre beaucoup plus d’argent sur la table », juge le président de la commission de l’insertion des jeunes au Conseil d’orientation des politiques de jeunesse, Antoine Dulin, qui chiffre les besoins à environ 2 000 euros par an par allocataire du RSA. « Qui va mettre ce budget ? », s’interroge-t-il.

« Régression sociale »

Les critiques entourent également le principe même de conditionner le RSA à des heures d’activité. « Transformer un allocataire en une main-d’œuvre sans droit est une régression sociale », a déploré, mardi 25 avril, sur Franceinfo, Martin Hirsch, qui avait mis en place le RSA en 2008 en remplacement du revenu minimum d’insertion. Jeudi 27 avril, Sur France 2, Elisabeth Borne a affirmé qu’« il ne s’agit pas de les faire travailler sans les payer, il s’agit de leur permettre de découvrir des métiers, de se former ». Olivier Dussopt a également soutenu, dans Le Figaro, mercredi 26 avril, que les heures d’activité « ne sont pas du travail gratuit ni du bénévolat obligatoire ».

 

Pour prouver le bien-fondé du projet et montrer l’efficacité de cet accompagnement intensif, Thibaut Guilluy compte sur les expérimentations menées depuis début avril dans dix-huit territoires – la Seine-Saint-Denis s’en est retirée avant son lancement. « Quand on part du terrain et qu’on démontre l’efficacité concrète des choses, on convainc plus facilement, veut croire le haut-commissaire à l’emploi. Les expérimentations doivent nous permettre de préciser les modes d’accompagnement les plus efficaces, de bien les cibler et d’outiller les acteurs pour que la coopération soit pleinement effective. »

Les trois collectivités de gauche participant à l’expérimentation menacent pourtant de se retirer si des « principes fondamentaux » ne sont pas respectés. Dans un communiqué du 24 avril, la métropole de Lyon et les départements d’Ille-et-Vilaine et de Loire-Atlantique préviennent qu’il ne doit pas « être question de créer un RSA sous condition renforçant les devoirs des allocataires et les sanctions à leur encontre ».

 

Car le gouvernement prévoit un éventail de sanctions pour contraindre les bénéficiaires du RSA à réaliser les heures d’activité. « Nous allons faciliter l’exercice des sanctions en cas de non-respect » des engagements, précise Olivier Dussopt dans Le Figaro, annonçant l’ajout « dans la loi d’une sanction intermédiaire, la suspension temporaire en cas de manquements constatés, avant la radiation et la suppression pure et simple dans la logique d’engagements réciproques ».

Des mesures coercitives qui suscitent, là encore, le scepticisme. « Les sanctions annoncées posent une vraie question opérationnelle, considère Antoine Foucher, du cabinet Quintet. Comment va-t-on, même partiellement, même provisoirement, diminuer le RSA des allocataires récalcitrants ? » Ces derniers « sont déjà très contrôlés, avec pas mal de sanctions », ajoute Michaël Zemmour, qui cite notamment « la mise sous surveillance » de leurs comptes en banque.

 

Discours « démagogiques »

Si les collectivités locales expriment ces craintes c’est aussi parce qu’elles pensent qu’une sorte de double discours existe au sein du gouvernement. « Nous sommes rassurés sur les conditions de l’expérimentation, mais inquiets concernant le contenu de la loi », lance Bruno Bernard. Le président écologiste de la métropole de Lyon dénonce les discours « démagogiques » du président de la République et du ministre des comptes publics, Gabriel Attal. Lors d’un déplacement dans l’Hérault, le 25 avril, ce dernier a opposé « les classes moyennes », « ceux qui comptent pour l’essentiel sur leur travail pour vivre, pas sur les aides sociales ni sur un gros patrimoine », aux opposants à la réforme des retraites qui accueillent les déplacements de ministres avec des casseroles.

Cette opposition entre les actifs et ceux qui bénéficient des minima sociaux avait déjà utilisée par Emmanuel Macron, lors de son entretien télévisé, le 22 mars. « Beaucoup de travailleurs disent “vous nous demandez des efforts mais il y a des gens qui ne travaillent jamais” », avait déclaré le locataire de l’Elysée pour justifier le conditionnement du RSA. « Ça n’a aucun sens de tenir de tels propos, c’est une posture purement politique, se désole Bruno Bernard. C’est ne rien comprendre à la situation des bénéficiaires du RSA. »

 

Une rhétorique qui trouve un écho dans la population et qui peut en partie expliquer la difficulté que peuvent avoir les opposants à mobiliser largement. « L’idée s’est imposée dans l’opinion publique qu’il y a trop de gens qui vivent de la solidarité nationale, analyse le directeur général délégué d’Ipsos, Brice Teinturier. Une forme de consensus sur le sujet s’est installé, donc une telle réforme du RSA ne sera pas vraiment contestée par les Français. » Un climat politique issu de vingt ans de discours sur le supposé « assistanat » auquel vient s’ajouter un contexte économique favorable.

Compte tenu des difficultés de recrutements rencontrées par les employeurs dans de très nombreux secteurs, ceux qui ne travaillent pas sont considérés comme profitant du système. Plusieurs études montrent qu’il y a surtout beaucoup de personnes qui peuvent prétendre au RSA et qui n’en bénéficient pas. « En 2018, un tiers (34 %) des foyers éligibles au RSA serait non recourant chaque trimestre, et un sur cinq (20 %) le serait de façon pérenne trois trimestres consécutifs », rappelle la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.

Dans son entretien avec les lecteurs du Parisien, le 23 avril, Emmanuel Macron s’appuie pourtant sur ceux qui « abusent » du RSA pour défendre la réforme. Un sentiment renforcé par la sensation qu’ont les actifs, et surtout les travailleurs dit de première et deuxième lignes, que leur travail est dévalorisé et ne paie pas assez. « La précarisation du monde du travail renforce le ressentiment de ceux qui ont l’impression de se lever tôt pour un travail difficile et mal payé envers ceux qui bénéficient des minima sociaux sans travailler », signale Brice Teinturier. Le parcours du futur projet de loi promet toutefois d’alimenter le débat. Pas forcément de manière très apaisée.

Thibaud Métais