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Le Chiapas, au sud du Mexique, saisi par la violence des trafics

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La région du Chiapas est le théâtre d’affrontements entre les cartels. Pour toute réponse, l’État fédéral envoie l’armée, une mesure mal vécue par la population. La militarisation réveille les blessures du passé au sein des communautés indigènes qui ont subi les exactions des paramilitaires contre le mouvement zapatiste.

 

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    Crucero La Campana, Chiapas, Mexique, 26 octobre 2023. Barrage éphémère de l’armée mexicaine. Dans la zone frontalière avec le Guatemala, une présence militaire visible fait partie de la stratégie du gouvernement mexicain. Depuis deux ans, les cartels de Jalisco Nueva Generación (CJNG) et de Sinaloa se disputent ouvertement le contrôle du territoire et des routes. Leurs affrontements se sont intensifiés au printemps 2023 et se répercutent sur la population. Prises au milieu des combats entre les groupes criminels, les villes de la frontière comme Frontera Comalapa, Motozintla ou Chicomuselo sont régulièrement coupées du monde par des barrages clandestins, forcées de se soumettre à l’un ou l’autre des cartels en place.

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    San Cristóbal de las Casas, Chiapas, Mexique, 25 octobre 2023. Des croyant·es défilent lors d’une procession pour la paix. Les manifestations contre la violence se sont multipliées partout au Chiapas, dans un climat de tension croissante. Quelques jours auparavant, l’organisateur d’une marche civique pour réclamer le retour de la paix dans une ville proche de la frontière a été assassiné. Ce soir-là, dans le quartier traditionnel de Cuxtitali, à San Cristóbal de las Casas, une centaine d’habitant·es a tout de même répondu à l’appel du prêtre de la paroisse, malgré un sentiment d’insécurité grandissant.

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    San Cristóbal de las Casas, 25 octobre 2023. La carte en relief du Chiapas révèle la complexité d’un territoire divisé. Celle-ci se trouve dans les bureaux de l’association de défense des droits humains Frayba, qui observe de près l’évolution de la situation. L’analyste Marco Ortega reconnaît que la nouvelle vague de violences provoquée par les cartels est « beaucoup plus préoccupante à cause du contrôle que ces groupes exercent sur la population et de leur capacité à pénétrer et s’installer durablement dans le tissu et la politique locale ».

    Selon l’expert, ce phénomène s’ajoute à une autre source de violences déjà existante au Chiapas : celle des successeurs des premiers groupes paramilitaires créés dans les années 1990 pour servir la politique contre-révolutionnaire. « Il s’agit des enfants, petits-enfants, voire des descendants politiques. Ils continuent d’utiliser les armes pour régler n’importe quel conflit. »

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    Frontera Comalapa, Chiapas, Mexique, 26 octobre 2023. Des militaires patrouillent dans le centre-ville de Frontera Comalapa. La petite cité est au cœur des combats entre les groupes criminels qui se disputent la zone. Ces affrontements pèsent sur une population qui subit les extorsions et la loi des cartels depuis des années. « Les gens tombent malade à cause de la peur constante », raconte discrètement une femme. Elle assure que la violence a atteint un niveau inédit dans la ville. Au printemps 2023, les criminels du cartel Jalisco Nueva Generación présents à Frontera Comalapa auraient recruté de force les habitant·es pour prendre part aux affrontements : « Quand Sinaloa a voulu pénétrer, ils ont utilisé des hommes et des femmes comme boucliers ! »

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    Crucero La Campana, Chiapas, Mexique, 26 octobre 2023. « L’armée est liée aux cartels, tout le monde le sait, confie une habitante de Frontera Comalapa. Nous avons dit aux militaires qui sont les chefs et où ils se trouvent, c’est une petite ville et cela n’est pas un secret, mais leurs convois passent devant et ils ne font rien. » Au Chiapas, le rôle de l’armée est fréquemment mis en cause par les habitant·es, et dans les communautés indigènes, beaucoup s’opposent à l’implantation des forces armées sur leur territoire.

    Mario Ortega, expert au Frayba, révèle que dans les zones où la Garde nationale occupe une base, l’association enregistre « une plus grande incidence de disparitions forcées, environ le double ». Selon le gouvernement, 15 000 militaires ont été déployés dans la région en 2023. Pas moins de 18 nouveaux quartiers de l’armée et de la Garde nationale ont été construits ou sont en travaux depuis 2020, mais la présence soutenue de l’armée au Chiapas n’est pas nouvelle. « Plus que de militarisation, nous parlons de remilitarisation », soutien Ortega. Depuis le soulèvement zapatiste en 1994, l’armée utilise les prétextes de la lutte contre le narcotrafic mais aussi des missions de service public, gestion de la pauvreté, réparation des désastres naturels, travaux publics ou contrôle migratoire, pour maintenir d’importants effectifs sur place.

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    Sabinalito, Chiapas, Mexique, 26 octobre 2023. L’épicerie et l’abribus de ce village situé à une heure de la frontière, déserté par ses habitant·es, ont été criblés de balles. Au Chiapas, la violence a forcé plusieurs milliers de personnes à abandonner leur logement. L’association Frayba a recensé des dizaines d’épisodes de déplacements massifs depuis 2019 et observe une augmentation des déplacements forcés depuis 2021. Néanmoins, ces événements font rarement l’objet d’une dénonciation publique ou devant les autorités. Les populations en fuite se dirigent majoritairement vers les autres villes du Chiapas, du Mexique ou même des États-Unis.

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    San Cristóbal de las Casas, 25 octobre 2023. Figure de la lutte contre la violence au Chiapas, le père Marcelo Pérez sort de l’église de Cuxtitali après une procession et une messe dédiée à la paix. Encore marquée par l’empreinte de la théologie de la libération, l’Église catholique tient un rôle central dans la gestion des conflits sociopolitiques au Chiapas. Le prêtre indigène tzotzil est à l’origine de nombreuses manifestations pour dénoncer la violence : « Elle progresse partout dans l’État, donc nous devons multiplier les actions pour la paix. » Son activisme lui vaut d’être la cible de menaces et d’intimidations. Depuis 2022, le père Marcelo est sous le coup d’un mandat d’arrêt du parquet du Chiapas. Accusé à tort d’enlèvement, il risque la prison.

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    Prison de San Cristóbal de las Casas, Chiapas, 25 octobre 2023. La criminalisation des activistes est un phénomène répandu au Mexique. Au Chiapas, l’association Frayba signale l’existence d’un véritable modèle de « fabrication de coupables ». Elle dénonce des dizaines de cas de détention arbitraire, d’emprisonnement et de torture de personnes innocentes. « Le système pénal est utilisé pour criminaliser les activistes, surtout les défenseurs du territoire ou de la cause indigène, affirme Mario Ortega. Il s’agit d’une méthode d’intimidation très utilisée ici. » En mai 2023, la justice a condamné cinq militants de San Juan Cancuc à 25 ans de prison pour un faux motif. Les jeunes indigènes tseltales s’opposaient à la construction d’un quartier militaire et d’une route touristique traversant le territoire de leur communauté.

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    Comitán, Chiapas, 23 octobre 2023. Socorro Hernandez surveille fréquemment la rue depuis la fenêtre de son bureau, situé sur les hauteurs de la ville. Elle dirige un refuge pour les femmes victimes de violences. Elle s’inquiète de l’augmentation de la criminalité liée au trafic de migrant·es et constate depuis plusieurs mois une hausse du nombre de migrantes parmi les femmes qu’elle accueille. Originaires d’Amérique centrale, « elles sont amenées au Mexique par un passeur qui les force à se prostituer »pour rembourser les frais de leur voyage. « Parfois, elles tentent de s’échapper et si les criminels les retrouvent, malheureusement souvent ces femmes disparaissent. » Cette militante ajoute que ces cas sont fréquemment invisibilisés par les pouvoirs publics : « Craignant les représailles, la police ne donne pas beaucoup de suivi à ces affaires. »

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    Gare routière de Tuxtla Gutiérrez, Chiapas, 27 octobre 2023. Des migrants se regroupent dans la capitale du Chiapas avant de continuer la route vers le nord en autobus. En pleine crise migratoire, le Mexique délivre peu de visas humanitaires aux personnes migrantes, ce qui leur permettrait de circuler librement dans le pays. Celles qui n’en n’ont pas risquent d’être arrêtées par les autorités migratoires dans les transports publics et n’ont d’autre choix que de traverser le Mexique à pied ou bien de faire appel à des transporteurs illégaux gérés par le crime organisé. La presse mexicaine rapporte régulièrement des accidents de camions surchargés emmenant des personnes étrangères agglutinées vers la frontière américaine. L’expert Mario Ortega, du Frayba, n’a aucun doute qu’il s’agit là « d’un important négoce » et s’interroge : « Comment ces camions peuvent-ils passer à travers les multiples barrages de la Garde nationale sans être détectés ? »

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    El Jocote, Frontera Comalapa, Chiapas, 26 octobre 2023. À l’entrée de la ville de Frontera Comalapa, des militaires contrôlent un barrage routier. Majoritairement composée de petites routes reculées dans les montagnes ou la forêt, la frontière entre le Mexique et le Guatemala est difficile à surveiller. Porte d’accès à l’Amérique du Nord depuis l’Amérique centrale, la zone est un lieu de passage important et un espace privilégié pour les trafics (drogues, armes, traite de personnes, matières premières), exacerbés par la pauvreté et la présence des groupes criminels.

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    San Cristóbal de las Casas, 24 octobre 2023. La ville de San Cristóbal de las Casas, avec son architecture coloniale, est prisée par les touristes mexicains et étrangers. La région du Chiapas est réputée pour ses paysages naturels et la richesse de son artisanat hérité des savoir-faire indigènes. Le développement du tourisme dans la région occasionne des tensions, notamment en ce qui concerne la gestion des ressources naturelles et la construction d’infrastructures dédiées au développement du secteur. La plupart du temps, les visiteurs et visiteuses du Chiapas cohabitent avec l’augmentation de la violence sans même la ressentir, sauf lorsque qu’un barrage routier clandestin coupe l’accès à un site touristique.

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    San Pedro Polhó, Chenalhó, 24 octobre 2023. Dans les montagnes de Los Altos de Chiapas persiste une forte influence zapatiste. La communauté de San Pedro Polhó est l’un des territoires autonomes qui disposent de leurs propres gouvernement et systèmes judiciaire, scolaire et de santé. Malgré les négociations avec le gouvernement mexicain qui ont abouti aux accords de San Andrés en 1996, l’autonomie de ces régions n’est pas reconnue par l’État. Depuis le soulèvement zapatiste, les communautés sont régulièrement victimes d’agressions de la part de groupes civiles armés créés et soutenus par l’État mexicain pour mener la contre-insurrection. En novembre 2023, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) a annoncé une restructuration de l’organisation pour améliorer sa défense face aux menaces sécuritaires, économiques et environnementales.

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    Chapelle d’Acteal, Chenalhó, Chiapas, 22 octobre 2023. Au cours de la décennie 1990, le Chiapas, particulièrement la municipalité de Chenalhó, est miné par les conflits entre les civils armés par le gouvernement et les communautés proches du mouvement zapatiste. La violence atteint son paroxysme le 22 décembre 1997 avec le massacre d’Acteal. Quarante-cinq membres de cette petite communauté indigène tzotzil, principalement des femmes et des enfants, sont abattus dans l’église par un groupe paramilitaire. L’État a reconnu sa responsabilité dans cette tuerie mais l’affaire n’avance pas devant la justice et le crime reste impuni. Après le drame, la communauté s’est renommée « terre sacrée des martyrs d’Acteal ». L’église est restée intacte et chaque mois la communauté rend hommage à ses défunts dans une chapelle reconvertie en mémorial.

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    Acteal, Chiapas, Mexique, 22 octobre 2023. En plus d’entretenir la mémoire du massacre, les survivant·es et les descendant·es d’Acteal se voient en lanceurs et lanceuses d’alerte face à la nouvelle vague de violences qui frappe le Chiapas. « Nous devons continuer la lutte non violente, non seulement pour nous-même mais aussi pour tout le monde, explique Guadalupe Vázquez Luna, porte-parole de la communauté. Après le massacre, la violence s’est calmée dans tout le Chiapas, mais à nouveau elle augmente chaque jour. » À travers l’association Les Abeilles d’Acteal, la voix de la communauté s’élève régulièrement pour dénoncer la complicité de l’État et le règne de l’impunité dans plusieurs affaires où les communautés indigènes sont victimes. « Nous ne voulons pas que l’histoire se répète. »