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Indemnisation des victimes : dans les diocèses, on veut trouver les moyens quoi qu’il en coûte

Afin de commencer à « dissiper les ténèbres », la Ciase exhorte l’Église à prévoir une indemnisation financière pour chacune des victimes de violences sexuelles. La question sous-jacente est celle de la reconnaissance de la responsabilité de l’Église, indispensable au chemin de réparation.
Publié le 11/10/2021 à 16h56 I Mis à jour le 12/10/2021 à 11h50

 

Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), présenté le 5 octobre 2021, fait état de 330 000 victimes de violences sexuelles dans l’Église catholique depuis 1950. Ce travail de vérité, fruit de deux ans et demi de labeur, enjoint l’Église à une démarche de réparation du mal commis.

Pour ce faire, cette démarche doit prendre en compte l’indemnisation financière de chacune des victimes qui en feraient la demande, précise le rapport dans sa dernière partie. Si le « relèvement » d’une personne victime ne pourra jamais « se réduire à la compensation financière du préjudice subi », l’indemnisation financière demeure incontournable, estime en effet la commission de Jean-Marc Sauvé.

Cette dernière recommande, pour en garantir la portée et la justesse, de confier la tâche à un organisme indépendant et extérieur à l’Église. À cet égard, la Ciase valide la création du fonds de dotation souhaité et annoncé par la Conférence des Évêques de France (CEF) lors de sa dernière assemblée plénière en mars 2021.

La CEF avait toutefois prévu d’abonder ce fonds en faisant, pour partie, appel aux dons de fidèles, ce que la Ciase récuse absolument : « Un tel mode de financement apparaît incohérent avec la reconnaissance d’une responsabilité de l’Église catholique en tant qu’institution. Si l’Église est responsable, elle doit réparer, et l’une des dimensions de cette réparation est financière », insiste-t-elle.

Le denier de l’Église, un usage bien défini

Depuis la sortie du rapport, les questions affluent néanmoins quant à la capacité de l’Église à financer ce fonds d’indemnisation sans faire appel aux dons, puisque ses ressources reposent essentiellement sur le don des fidèles, justement. Élément que le président de la CEF, Éric de Moulins-Beaufort, n’a pas manqué de soulever, notant que la loi de séparation des Églises et de l’État limite l’usage de ces dons à l’activité purement cultuelle, dont l’indemnisation de victimes ne fait pas partie statutairement. Il s’exprimait ainsi sur Twitter au lendemain de la remise du rapport, mercredi 6 octobre : « Le denier de l’Église a un usage bien défini, et la loi de 1905 ne nous permet pas de l’utiliser pour autre destination que l’exercice du culte. »

Pour contourner cette difficulté, la Ciase recommande donc à l’Église de reproduire le mécanisme qui lui a permis de financer la commission Sauvé. En effet, le travail de la Ciase est soutenu par l’intermédiaire de l’Union des associations diocésaines de France (UADF), la structure juridique de la CEF. L’UADF pourrait être la solution puisqu’elle est, elle, une association loi 1901, qui peut donc utiliser ses ressources à des fins non cultuelles, et ainsi abonder le fonds de dotation à destination de l’indemnisation des victimes.

« Être au rendez-vous »

Ambroise Laurent, secrétaire général adjoint de la CEF chargé des questions économiques, précise que les premiers à avoir contribué à ce fonds sont les évêques eux mêmes, à titre personnel, et ajoute que ce fonds de dotation pourra être complété par des structures telles que les associations, mouvements, syndicats ecclésiastiques qui ne dépendent pas non plus de la loi de 1905. « Mais in fine, tout cela est, directement ou indirectement, l’argent des fidèles, puisque l’Église ne vit que de dons, insiste-t-il. Le plus important demeure que nous trouverons les moyens ensemble, évêques, supérieurs religieux et peuple de Dieu, d’être au rendez-vous de ce qu’il faudra faire pour les personnes victimes. »

D’autant que la question n’est pas tant de refuser l’usage de fonds provenant de dons de fidèles que de ne pas lancer d’appel aux dons spécifique à l’indemnisation des personnes victimes de violences sexuelles. Et ce, dans le but de ne pas entraver la démarche de reconnaissance de responsabilité de l’Église en tant qu’institution.

Nul ne peut encore savoir le montant exact des indemnisations que l’Église devra reverser aux victimes, ni combien de victimes en feront la demande. Les sommes pourraient bien se compter en centaines de millions d’euros.

Les diocèses risquent-ils de faire faillite ? Un économe diocésain de l'Est de la France répond sans ambages : « On ne doit même pas se poser la question. On doit plutôt se demander comment s’organiser collectivement pour indemniser les victimes », quitte à s’engager encore davantage sur la voie de la sobriété : « Si on doit supprimer des actions, nous le ferons. Je ne crois pas qu’on fera faillite, on sera peut-être plus pauvre, plus simple, plus sobre. »

Le chemin de réparation passe par la reconnaissance

Quelques autres pistes de financement peuvent aussi être explorées, précise un autre économe d'un petit diocèse du centre de la France : « Les diocèses peuvent quand même participer sans faire appel au don ni puiser dans le denier, car nous avons d’autres sources de financement : les ressources financières (c’est-à-dire les placements financiers de certains diocèses), loyers, fermages, etc. » Des ressources certes minimes par rapport au denier. « Nous sommes dans le flou, reconnaît-il, mais nous trouverons une solution. »

Quant à savoir si les diocèses vont pouvoir puiser dans leurs ressources immobilières, l'économe du diocèse de l'Est est plus dubitatif : « Ce n’est pas parce que ce patrimoine a une valeur immobilière intrinsèque qu’elle est à notre disposition maintenant ou même dans le futur. La partie d’immobilier de rapport (les immeubles loués par le diocèse pour générer de l’argent, ndlr) des diocèses est très faible. Cela ne correspond même pas à 1 % pour notre petit diocèse rural. »

 

Pour Antoine Garapon, magistrat et membre de la Ciase, la question est mal posée : « Il ne s’agit pas tant de savoir si et comment l’Église parviendra à payer, mais quel est le fondement de ce paiement. Si c’est un secours, elle décide souverainement, c’est la logique du don ; si elle considère que des crimes ont été commis en son nom, c’est une dette qui est fixée par un tiers de justice, et non par elle. »

L’indemnisation financière est d’autant plus importante qu’elle est hautement symbolique : « Dès lors qu’elle se fonde sur une responsabilité assumée et sur une reconnaissance sincère, (…) elle est le signe d’une diminution de l’institution ecclésiale, d’une sorte d’amputation qui répond à celle subie par la victime », résume le rapport de la Ciase.

Antoine Garapon insiste sur ce point : le chemin de réparation passe par la reconnaissance, « l’argent vient après ». Et ce, pour des raisons très profondes : « Si vous donnez de l’argent sans parole, cela veut dire que l’Église achète le silence. L’argent sans reconnaissance, il n’y a pas pis que cela. »