Objectif : pé-da-go-gie. Chaque année depuis neuf ans, les Journées de l’économie (Jeco) se donnent pour ambition de vulgariser l’économie. Pendant trois jours, dans divers lieux de la ville, conférences et débats réunissent des dizaines d’intervenants, devant 10 000 participants, à l’initiative de Pascal Le Merrer. Cette année, l’événement, dont l’Opinion est partenaire, se tient du mardi 8 au jeudi 10 novembre 2016.
On croit savoir ce qu’est la monnaie internationale mais on ne la rencontre jamais. On ne peut utiliser que des monnaies nationales dans les échanges internationaux. En effet, toute monnaie est investie d’une souveraineté. Au niveau national, la monnaie est unifiée par la souveraineté déléguée à la banque centrale par le souverain politique. Cette délégation légitime la forme supérieure de liquidité dans cet espace. La seule exception est l’euro qui est institué par un traité international en tant que monnaie unique dans l’espace des pays qui l’ont approuvé. Ce statut est vraiment unique, puisque la Banque centrale européenne est une puissance publique qui ne réfère à aucun souverain politique.
Cependant, le capitalisme ne respecte pas les frontières nationales. La logique du capitalisme est de se globaliser pour satisfaire sa finalité qui est l’expansion illimitée de la valeur exprimée en monnaie. Les transactions internationales qui en découlent mobilisent la liquidité qui est régulée dans le cadre des nations. Comme il n’y a ni souveraineté universelle, ni coordination institutionnalisée des politiques nationales, il n’y a pas de monnaie internationale au sens strict. Dans leur usage international, les monnaies nationales sont des devises. Devise quesaco?
Certes, mais alors pourquoi les marchés ne réalisent-ils pas l’intégration internationale parfaite des échanges ? La force de la liquidité est son pouvoir d’achat unanimement accepté. Des devises sont donc équivalentes si leur pouvoir d’achat sur les marchandises dans le monde est le même. La globalisation financière réaliserait une intégration parfaite si toutes les devises étaient convertibles et respectaient la parité des pouvoirs d’achat. Or les relations monétaires internationales sont à des années-lumière de cela.
Il ne suffit pas de dire qu’il y a des imperfections pour comprendre que le système monétaire international ne fonctionne pas dans l’unité. Il y a une très grande inégalité dans l’usage des devises et cette inégalité reflète un ensemble complexe de rapports de forces, économiques, financiers, politiques et militaires entre les nations qui émettent ces devises. En outre, il existe une devise qui perdure en position dominante pendant une longue période historique. C’est la devise clé. Depuis l’âge classique du capitalisme émergeant dans les années 1830-1840, le monde n’a connu que deux devises clé, la livre sterling puis le dollar.
Le principe de la devise clé.
Le marché ne peut pas faire émerger une devise clé dans un univers de devises concurrentes. Car la liquidité est un bien public. Elle est d’acceptation unanime. Chacun la demande parce qu’il pense que les autres la demandent. Les demandes individuelles ne sont pas séparables, de sorte que la demande de chacun est fonction croissante de la demande des autres. Ainsi la demande agrégée ne respecte-t-elle pas les propriétés qui permettent de déterminer un prix d’équilibre lorsque deux ou plusieurs devises sont candidates pour être le support de la liquidité ultime, celle que tous les acteurs de la finance internationale recherchent lorsqu’ils sont pris dans le tourbillon d’une crise financière.
La devise clé est une question de rapports de puissance qui peuvent être institutionnalisés par convergence des nations (étalon or) ou accord international (Bretton Woods). Elle peut aussi s’imposer sans règle communément acceptée. C’est le cas du dollar depuis le coup de force de Nixon, mettant fin unilatéralement à l’accord de Bretton Woods le 15 août 1971.
Si donc deux devises sont candidates pour la liquidité ultime, soit l’une chasse l’autre, soit elles sont non distinguables. Dans le monde réel plus deux devises sont substituables, plus leurs taux de change sont instables. Car les plus petites perceptions de discordances dans les politiques monétaires ou tout autre événement qui modifie les croyances déclenchent des mouvements de capitaux entre les devises qui prétendent au statut de fournisseur de la liquidité internationale.
La devise clé est donc une question de rapports de puissance qui peuvent être institutionnalisés par convergence des nations (étalon or) ou accord international (Bretton Woods). Elle peut aussi s’imposer sans règle communément acceptée. C’est le cas du dollar depuis le coup de force de Nixon, mettant fin unilatéralement à l’accord de Bretton Woods le 15 août 1971. Le dollar s’est imposé comme devise clé de facto, puis le coup de force a été accepté par les accords de la Jamaïque en 1976.
Dans cette dernière configuration, le pays émetteur de la devise clé mène une politique unilatérale, sans qu’aucune règle de bouclage ne garantisse la compatibilité avec les besoins du reste du monde dans cette monnaie. Les autres pays s’en accommodent s’ils sont dans l’orbite politique du pays hégémonique ou s’ils amortissent les effets de sa politique unilatérale par des contrôles de capitaux.
La grande mutation du 21° siècle.
Le rôle de la devise clé implique fonctionnellement une domination hiérarchique dans les systèmes de paiements internationaux. C’est le cas du dollar. Une érosion du système se produit lorsque le poids économique des Etats-Unis régresse et surtout lorsque leur influence prépondérante dans la résolution des tensions géopolitiques internationales est contestée. Ces forces sont en mouvement depuis la crise financière qui a affaibli l’idéologie unificatrice du consensus de Washington après l’effondrement de l’URSS, fondée sur le fondamentalisme du marché.
L’intégration du monde en ce siècle ne sera pas celle du tout marché, mais celle des biens publics et des biens réseaux transnationaux et globaux dont la production requiert des investissements colossaux de long terme. L’impulsion et la garantie des puissances publiques seront prépondérante dans cette nouvelle révolution industrielle. Il en est ainsi pour la révolution environnementale, le partage des ressources naturelles, le développement intégré urbain rural, la transformation des transports, bref tout ce qui va faire passer d’un mode de vie ancré sur la propriété privée à un mode de partage.
Corrélativement la montée de la puissance chinoise est porteuse d’une autre intégration mondiale fondée sur les infrastructures. Son fer de lance est le projet emblématique Belt and Road, conçu pour intégrer l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Le système monétaire pour soutenir cette finance de long terme est un système multilatéral, sans hégémonie monétaire, donc sans devise clé.
Un tel système va rencontrer l’instabilité propre à la recherche de la liquidité ultime. Il va donc se reposer le problème qui fut écarté à Bretton Woods par la surpuissance américaine de l’époque : un minimum viable de coopération monétaire et une liquidité ultime universelle qui ne soit la dette d’aucun pays.
Michel Aglietta, économiste français, est conseiller scientifique au CEPII.
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